Intervention de Agnès Saal

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Agnès Saal, présidente-directrice générale de l'Institut national de l'audiovisuel :

Vos questions traduisent l'intérêt que vous portez à l'INA ; je vous en remercie. Pour vous répondre, j'évoquerai successivement le projet de plate-forme culturelle de contenus numériques ; le prochain COM et les moyens de l'INA ; les obstacles juridiques qui peuvent entraver le développement de ses missions ; enfin, la question immobilière et celle des ressources humaines et financières nécessaires pour mener à bien les projets annoncés.

Quelques mots pour préciser notre beau projet de plate-forme culturelle de contenus numériques, dont le champ est assez large. Pour apprécier l'intérêt qu'il pourrait susciter, j'ai déjà noué de multiples contacts, avec des interlocuteurs que je connais bien, au sein d'institutions patrimoniales et de spectacle vivant relevant de l'État : l'Opéra de Paris, la Comédie française, la Cinémathèque française, les théâtres nationaux, d'autres encore. Tous ont exprimé un intérêt soutenu à l'idée de ce projet, qui consisterait à confier à l'INA leur patrimoine audiovisuel respectif : captations de spectacles, de répétitions générales, de masterclasses, de séminaires, de conférences, de prises de parole… Ces manifestations sont pour l'instant enregistrées sur des supports vulnérables ; le péril majeur est que leur consultation devienne impossible dans quelques années. L'INA serait parfaitement dans son rôle en entreprenant la préservation patrimoniale exhaustive et pérenne de ces fonds. Ensuite, l'INA n'étant pas le conservatoire d'une mémoire morte, ces archives seraient mises à disposition, une fois surmontés les obstacles juridiques relatifs à la libération des droits de propriété, que je ne mésestime nullement.

Selon moi, le périmètre de la plate-forme a vocation à s'élargir bien au-delà des institutions d'État. C'est pourquoi j'ai commencé à prospecter des institutions relevant des collectivités territoriales – ainsi, à la Ville de Paris, le Théâtre du Châtelet et le Musée d'art et d'histoire du judaïsme – suscitant l'enthousiasme de leurs dirigeants. Ce projet couvre tous les champs culturels, l'architecture et l'archéologie par exemple, mais aussi, pourquoi pas ?, les universités si elles ont des fonds pertinents.

Pour ce qui concerne le secteur privé, le champ envisagé est bien plus large que celui des seules entreprises du CAC40. Je pense particulièrement à celles dont la dimension culturelle est évidente. Je me suis ainsi entretenu de ce projet avec M. Alexandre Bompard, qui dirige la FNAC, et il a mentionné la quantité de captations de conférences faites dans les locaux de l'entreprise par des personnalités éminentes, un fonds auquel il faut garantir permanence et accessibilité.

Le projet de plate-forme consiste donc à rassembler des fonds audiovisuels de provenances variées et à tisser les passerelles documentaires qui permettront de les relier. Ainsi, une fois la plate-forme créée, l'internaute qui s'intéresse à Patrice Chéreau aura accès à des captations de ses mises en scène pour le théâtre et pour l'opéra, aux propos qu'il a tenus en diverses occasions, à certains de ses films et aux documents préparatoires, l'ensemble ainsi constitué étant lui-même rattaché, par rebonds, à d'autres créateurs et à d'autres oeuvres. Les documentalistes de l'INA savent fort bien mettre en relation les contenus, et la plate-forme y gagnera en profondeur.

Mon intention n'est pas tant d'entrer en guerre avec Google que d'engager l'INA dans une politique volontariste. Cessons de nous lamenter quand de grands acteurs internationaux s'implantent en France – réagissons ! En l'espèce, notre proposition tend, sans arrogance, à faire mieux que Google puisque nous ne livrerons pas des images et des sons en vrac mais en formant des parcours qui leur donneront un sens. C'est une spécificité de l'INA en réponse aux propositions de Google, dont les moyens sont infiniment supérieurs aux nôtres. Notre fonds documentaire, d'une extraordinaire richesse, ne doit pas être perdu. La mission de service public de l'INA est de le sauvegarder, et c'est pourquoi je veux absolument mener ce projet à terme. La tutelle me prête une oreille attentive, et je compte bien inclure ce projet dans le COM en cours de négociation, en redéployant pour cela les ressources humaines et financières jusqu'à présent consacrées au plan de sauvegarde et de numérisation. En faisant intelligemment travailler les équipes et en gérant rigoureusement les moyens qui nous sont accordés, nous pourrions ainsi absorber en grande partie le coût de la création de la nouvelle plate-forme.

Sur le modèle économique de l'accès à ces contenus, nous n'avons pas encore tranché. Spontanément, j'ai tendance à penser que si la totalité des coûts de ce projet – y compris celui de la libération des droits de propriété littéraire et artistique, afin que les ayant-droit soient justement rémunérés pour la mise à disposition de ces contenus très variés – est couverte, il n'y a pas raison d'exiger un paiement de la part des internautes, en tout cas pour la plus grande partie de ces contenus. Si ce n'est pas le cas et qu'il faut pencher en faveur d'un modèle mixte payantgratuit, nous le ferons, mais nous nous acheminons vers un accès très largement ouvert. Pour l'heure, ce qui importe est la validation politique du projet consistant à confier cette mission à l'INA.

Plusieurs orateurs se sont dits préoccupés par les conséquences financières pour l'INA de l'accord collectif signé à l'automne 2012 après trois ans de discussion et mis en oeuvre au début de 2013. Je ne compte pas le renégocier ; nous éviterons ainsi de nouveaux mois d'une négociation éreintante. Cet accord a été avalisé par les tutelles et nous l'appliquerons, mais il se traduit en effet par une hausse annuelle de la masse salariale de 1,3 million d'euros que nous devrons assumer. Je proposerai donc dans le COM 2015-2019 un effort de rigueur destiné à financer et cette dépense et le schéma directeur informatique, dont le coût sera d'environ 55 millions d'euros. Cela peut sembler beaucoup, mais l'INA a consacré, au cours des cinq années antérieures, près de 50 millions d'euros à des dépenses informatiques qui n'ont pas été pensées de manière homogène. Avec une somme à peine plus importante, nous nous doterons du système informatique dont nous avons impérativement besoin ; il devra être financé par nos ressources actuelles, l'hypothèse étant que notre part de la contribution à l'audiovisuel public sera maintenue à son niveau actuel.

Le projet immobilier que je présenterai dans le COM 2015-20191 est le seul que l'INA ne pourra assumer intégralement. J'ai beaucoup de projets pour l'Institut, et je n'ai pas l'intention que mes collaborateurs et moi-même consacrions les cinq années qui viennent à la construction d'un nouvel immeuble ; nous avons mieux à faire, dans l'intérêt de la Nation. Je considère que les deux sites d'avenir pour l'Institut sont celui de Bry-sur-Marne, à l'est de Paris, et l'emprise d'Issy-les-Moulineaux, à l'ouest de la capitale, proche des clients naturels de l'INA. Cette double implantation est rationnelle. Mais nous louons aussi actuellement, à grands frais – plus d'un million d'euros par an – et, selon moi, inutilement, un immeuble situé dans le 13ème arrondissement de Paris où travaillent 40 personnes. Je compte mettre un terme à cette location et répartir les salariés concernés entre les deux autres sites. Il faut pour cela trouver un repreneur du bail, qui court malheureusement jusqu'en 2018.

D'autre part, sur notre site principal à Bry-sur-Marne, nous avons des terrains et des bâtiments, mais nous occupons aussi un immeuble vétuste et mal adapté à nos activités, que nous louons 1,3 millions euros l'an. Je veux également mettre fin à cette location au plus tôt, mais il me faut pouvoir accueillir ailleurs les quelque 600 personnes qui y travaillent actuellement. L'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) a pour cela validé l'hypothèse de la construction, sur les terrains qui sont la propriété de l'INA à Bry, d'un bâtiment de 4 000 m², simple et fonctionnel. Le coût cumulé de la rénovation des bâtiments Bry I et Bry II et de la construction nouvelle sera de 37 millions d'euros. L'INA apportera 12 millions d'euros. Restent donc 25 millions d'euros à financer, par une hausse de quelques millions d'euros de la contribution à l'audiovisuel public versée chaque année à l'INA pendant la durée du COM – ce qui, je l'admets, peut faire beaucoup –, ou par des crédits d'État, ou par un emprunt. Avant toute chose, un arbitrage est nécessaire : ou ce projet immobilier reçoit un avis positif et nous trouvons les moyens de le financer, ou l'on me dit que le financement nécessaire n'est pas mobilisable, ce qui peut se concevoir, et nous devrons nous contenter de l'existant. Dans ce cas, nous pourrons, avec les 12 millions d'euros de trésorerie dont nous disposons, améliorer les conditions de travail de mes collaborateurs en modernisant les locaux de Bry-sur-Marne et, en abandonnant les locaux du 13ème arrondissement parisien, faire quelques économies de fonctionnement.

Si je parviens à bien les gérer, tous les autres projets, qu'il s'agisse de développement externe ou de modernisation interne, peuvent s'autofinancer. Telle est, brossée à grands traits, ma proposition aux tutelles.

Je conclurai par les sujets d'ordre juridique qui peuvent faire obstacle au développement de nos projets. L'INA gagnerait en effet à ce que quelques verrous législatifs soient levés ; ce n'est pas chose simple, car nous sommes contraints par la loi nationale et par la réglementation européenne. Vous avez mentionné la durée de protection conférée à certains droits voisins, qui vient d'être allongée à 70 ans pour les oeuvres musicales, la protection restant de 50 ans pour les oeuvres audiovisuelles. Cette disparité est effectivement source de difficulté pour l'INA, sauf pour l'Institut à négocier avec chaque ayant-droit une nouvelle période de couverture au-delà de 50 ans – qui est une durée brève en matière audiovisuelle.

Il faudra aussi préciser la question de la capacité juridique de l'INA à pratiquer la fouille de données dans les contenus qu'il conserve, de manière qu'il puisse exploiter les fonds dont il dispose et les rendre accessibles en toute sérénité. Il faudra donc déterminer si l'état du droit le permet ou si une évolution législative est nécessaire.

Enfin, je vous l'ai dit, donner accès à des sources du dépôt légal à distance me semble tout à fait souhaitable mais cette évolution, qui suppose une modification significative des textes, provoque des craintes et des résistances. Il faudra les surmonter, car la consultation en ligne des fonds du dépôt légal conditionne l'avenir et la légitimité des institutions chargées de ce dépôt à poursuivre leur mission et à donner accès à ces fonds.

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