Intervention de Philippe Askenazy

Réunion du 15 novembre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Philippe Askenazy :

Merci de cette indication. Je consulterai donc ces données même si de mémoire n'est évoqué qu'un chiffre global non ventilé par pays de l'ordre de 100 millions d'euros de CIR – soit tout de même proche de la subvention de l'État à l'Université d'Orléans – et encore pour 2010 alors que les déclarations 2011 ont été déposées mi avril 2012.

Il n'en demeure pas moins que nous n'avons pas accès aux données microéconomiques, qui permettraient d'observer le comportement de chaque entreprise. Au niveau macroéconomique, la recherche et le développement français n'ont pas connu le saut attendu. Un rapport de la Direction du Trésor réalisé juste avant la mise en place du crédit d'impôt recherche prévoyait que ce dispositif créerait une situation très tendue pour les métiers de la recherche et obligerait la France à « importer » des chercheurs du monde entier pour satisfaire les besoins des entreprises. Cela n'a pas été le cas et les entreprises tendent plutôt à optimiser les financements.

Une évaluation de ce dispositif est nécessaire pour en mesurer les effets pervers. En effet, certains laboratoires de recherche publics obtiennent aujourd'hui assez facilement des commandes de la part de laboratoires privés qui externalisent leur recherche pour profiter du fait que le crédit d'impôt recherche est doublé lorsque la recherche est confiée à une entité publique. Paradoxalement, cette politique peut avoir pour effet une diminution de l'effort de recherche global : des fonctionnaires, qui reçoivent moins de crédits de la part des organismes publics dont ils dépendent, effectuent des recherches sous-traitées par le secteur privé, lequel réduit son propre effort de recherche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le secteur des sciences de la vie, où certaines grandes entreprises licencient leurs chercheurs et signent des contrats de plus en plus nombreux avec des laboratoires publics. Au total, le capital humain et la capacité de recherche diminuent. Une complémentarité entre recherche publique et recherche privée ne peut se construire par une substitution de l'une par l'autre mais par une montée simultanée des moyens notamment humains, en particulier public vers la recherche fondamentale. Dès lors, compte tenu de son coût – de l'ordre de 4 à 6 milliards d'euros par an – il faut justifier l'utilité du crédit d'impôt recherche d'autant que, à l'échelle macroéconomique, la différence avec nos voisins, et notamment avec l'Allemagne, n'a cessé de se creuser au cours des dernières années.

La question du traitement comptable du crédit d'impôt recherche pose celle de l'accès des entreprises françaises au crédit et des paramètres pris en compte en la matière par les organismes bancaires. La réflexion sur la BPI – organisme qui devra opérer la fusion difficile des deux stratégies différentes que sont les apports en fonds propres et en crédit – doit intégrer ces questions. Ce sont toutefois là des domaines dont je ne suis pas spécialiste.

La question de l'accès au crédit se pose tout particulièrement pour les entreprises exportatrices, car la politique française en la matière a toujours privilégié l'accès aux marchés plutôt que le maintien sur ces marchés. Nous disposons de nombreux outils de diagnostic permettant d'assurer le bon fonctionnement de la BPI, mais il nous faut garder à l'esprit que, si les entreprises sont nombreuses à entrer sur les marchés étrangers, elles sont également nombreuses à en ressortir car bien des opérations sont du type « one-shot ».

On ne peut qu'être favorable au dialogue social territorial, mais la question est de savoir quels outils déployer pour ce dialogue, qui part d'assez bas, avec un taux de syndicalisation très faible. Cette démarche sera longue et il n'existe pas de baguette magique pour améliorer rapidement la situation. Des efforts sont néanmoins possibles sur certains segments. Les pratiques de certains syndicats et de certains employeurs provoquent des blocages néfastes à l'établissement d'un dialogue social. Des travaux récents montrent que, dans leurs entreprises, les délégués syndicaux font souvent l'objet d'une discrimination en termes de salaire ou d'évolution de carrière. Les partenaires sociaux doivent mener une réflexion sur les moyens de renouer des relations de confiance, ainsi que sur la concurrence qu'il conviendrait de développer entre les partenaires sociaux, notamment pour ce qui concerne les organisations patronales, car cette concurrence touche déjà les organisations syndicales de salariés.

Les allègements de cotisations sociales employeur précédemment mises en place se concentraient autour du salaire minimum. De fait, lorsqu'on atteint deux à trois fois le SMIC, celui-ci cesse d'être la référence et l'employeur tient compte du coin fiscal et social, c'est-à-dire de l'ensemble des taxes sur le travail et des cotisations sociales employeur. Dans les pays où, comme en Allemagne, le financement de la branche famille est fiscalisé, l'impôt sur le revenu est plus important mais le coin socio-fiscal pour les ménages est équivalent. Il convient de ne pas trop concentrer les allègements de cotisations au niveau du SMIC, sous peine d'ouvrir une boîte de Pandore et de créer une trappe à bas salaires – les employeurs risquant d'être tentés de ne pas augmenter les salaires si une augmentation d'un euro doit se traduire par deux euros de versements supplémentaires.

Au total, il importe donc de tenir compte de l'ensemble des interactions et du schéma macroéconomique qui accompagnent les choix politiques.

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