Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 22 novembre 2012 à 15h00
Prévention du surendettement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires économiques :

J'avais indiqué il y a quelques mois, lors de la discussion d'une proposition de loi similaire dont le rapporteur était Jean Dionis du Séjour, qu'en cas de rejet le groupe centriste reviendrait à la charge. C'est ce qu'il fait aujourd'hui, avec, je l'espère, davantage de succès. En effet, la crise économique contribue à l'aggravation du phénomène du surendettement et ce n'est pas en créant un énième groupe de travail, en continuant à attendre, que nous ferons avancer les choses.

Il est à nos yeux nécessaire d'achever le débat sur la création d'un répertoire national des crédits pour prévenir les risques de surendettement, comme l'avait d'ailleurs reconnu en son temps, au bout de longs débats, la ministre de l'économie Mme Christine Lagarde. Si le débat est tranché sur l'opportunité, il convient désormais de travailler aux modalités de mise en oeuvre du dispositif. J'ajoute, pour faire bonne mesure, que le Président de la République lui-même s'était montré très sensible à cette question du fichier national des crédits lors de la campagne électorale. Il avait déclaré le 27 février 2012 sur TF1, en réponse au président de CRESUS, une association reconnue comme importante et estimable : « Nous aurons à mettre en place ce mécanisme dans le respect du droit des personnes. » C'est cette démarche que le groupe UDI vous propose d'entreprendre aujourd'hui.

Je souhaite rappeler un certain nombre d'éléments nécessaires à la bonne compréhension du texte, sans vous assommer de chiffres ni de statistiques puisque vous les connaissez – et vous connaissez surtout la réalité, vous qui recevez nos concitoyens dans vos permanences. J'indiquerai donc juste, pour bien faire apparaître la dynamique en cours, que le rythme des dépôts de dossiers auprès des commissions de surendettement est passé de 180 000 par an en 2004 à 232 000 en 2011. Pendant ce temps que le Parlement n'a pas utilisé à légiférer, la situation a connu une belle aggravation ! Rien qu'entre 2010 et 2011, l'augmentation est encore de 6,6 %. Il y a bien urgence.

Il est temps, et c'est le sens de ce choix du groupe UDI, de relancer le processus, en s'appuyant en partie sur le rapport de préfiguration, dont certains choix sont néanmoins discutables, ainsi que sur l'expérience au quotidien des associations de lutte contre le surendettement, et en particulier de CRESUS.

Quels sont donc les objectifs de la création d'un fichier positif des crédits aux particuliers ? On peut distinguer un objectif principal, la prévention du surendettement, d'un objectif second : l'accès d'un plus grand nombre de personnes à un crédit raisonné.

Je veux être bien clair : dans notre esprit, le fichier positif n'est pas le remède miracle qui permettrait de mettre un terme à toute situation de surendettement. Il s'agit plus modestement d'un outil supplémentaire, qui permet d'avoir une meilleure visibilité de l'endettement d'un particulier qui souhaite souscrire un crédit et donc de responsabiliser les banques. Car pour nous, dans l'acte de prêt, il y a deux responsables : celui qui emprunte et celui qui prête, alors qu'aujourd'hui, seul l'emprunteur est tenu pour responsable.

On peut raisonnablement penser, monsieur le ministre, que le répertoire des crédits éviterait, à tout le moins, l'emballement des dettes des quelque 60 000 personnes qui, chaque année, s'engagent dans une série d'achats compulsifs, et qu'il permettrait également de limiter l'aggravation de la situation de plusieurs milliers d'autres. On sait que l'encours de la dette des personnes qui arrivent devant les commissions de surendettement est beaucoup plus élevé – près du double – dans notre pays que chez ceux de nos voisins qui sont dotés d'un tel dispositif.

Les statistiques de la Banque de France montrent en effet que les personnes ayant recours aux commissions de surendettement ont très souvent de nombreux crédits à la consommation en cours, que ceux-ci soient amortissables ou renouvelables. Une étude de l'association CRESUS le confirme : en 2010-2011, dans 78 % des 47 000 dossiers qu'elle a eu à connaître, les ménages surendettés étaient liés par plus de huit crédits renouvelables actifs, contre quatre à l'époque où nous avons débattu pour la première fois de cette proposition de loi, il y a sept ans. Vous comprendrez bien que nous ne pourrions pas nous satisfaire que l'on nous invite encore à attendre.

Il est évident, chers collègues, que le nombre de crédits à la consommation souscrits par les particuliers, qu'ils soient amortissables ou, pis encore, renouvelables, est un élément structurant du surendettement, qui peut survenir à la moindre difficulté. On peut parler dans de tels cas de surendetté potentiel.

La création du fichier positif est donc, à nos yeux, une mesure de bon sens, et je nous sais nombreux sur les différents bancs de cet hémicycle, au-delà des postures, à partager cet avis.

Alors pourquoi ce blocage ? Pourquoi cet isolement français en Europe sur cette question ?

Presque tous nos partenaires européens disposent d'un fichier positif. Pour résoudre cette énigme du retard français, j'en viens aux objections qui ont souvent été soulevées par les contempteurs du fichier positif, au premier rang desquels se trouvent des groupes de pression, notamment deux grandes banques, parmi les plus grandes françaises : la BNP dont l'organisme de crédit Cetelem est une filiale, et le Crédit Agricole auquel appartient Sofinco. Ces banques s'opposent à la création d'un fichier unique car elles disposent d'ores et déjà d'informations sur leurs clients, alors que les nouveaux entrants auraient tout à gagner d'une plus grande transparence.

Ces objections peuvent être regroupées autour de trois thèmes.

Tout d'abord, certains font une distinction entre le surendettement actif, qui correspondrait, selon eux, à un recours imprudent au crédit, pour lequel le fichier positif serait utile mais qui serait très minoritaire parmi les dossiers déposés – 25 % à peu près, ce qui fait quand même 60 000 familles par an – et le surendettement passif, qui serait très majoritaire, découlerait des accidents de la vie – chômage, décès, divorce – et pour lequel le fichier positif serait sans intérêt.

Cette objection se heurte à la critique de la Cour des comptes, qui estime que la distinction établie par la Banque de France entre l'endettement actif et l'endettement passif n'est pas opérante. En effet, selon la Cour, une majorité de dossiers comporte une situation où des accidents de la vie, plus ou moins prévisibles, se cumulent avec des comportements de consommation imprudents – nombreuses cartes de crédit renouvelable, par exemple – qui rendent le surendettement inévitable. Oublions donc une fois pour toutes cette distinction fausse et abusive.

Cette critique rejoint celle, très largement mise en avant par les banques, selon laquelle il n'y a pas de problème au moment de l'octroi du crédit. C'est inexact, car les banques ne font pas leur métier, qui est d'analyser la situation individuelle de chaque emprunteur potentiel. Elles les catégorisent seulement – c'est le credit scoring – et, si vous êtes dans la bonne catégorie, on vous prête, sinon, non ; voilà la faille. Cette proposition de loi vise à obliger les banques à faire leur véritable travail. Les banques courent peu de risques : le pourcentage de créances non remboursées à l'échéance est assez faible et, de toute façon, il est compensé par le taux nettement plus élevé dont s'acquittent ceux qui parviennent à rembourser.

Deuxième série d'objections, le fichier porterait atteinte aux libertés individuelles et présenterait des risques de dérive mercantile. Il s'agit, d'une part, des réserves de la CNIL sur l'utilisation du numéro de sécurité sociale – le NIR – auquel le rapport de préfiguration préconise de recourir et, d'autre part, des risques d'utilisation dévoyée du fichier à des fins de prospection commerciale ou d'extension du fichier à des données autres que les seuls crédits.

À mon sens, le texte soumis à votre examen, que le temps a permis d'améliorer pour tenir compte de ces observations, ne nous expose pas à de tels risques.

Même si, monsieur le ministre, ce point relève du Gouvernement puisqu'il est d'ordre réglementaire, j'estime pour ma part, contrairement au rapport de préfiguration, que l'identifiant ne devrait pas être le NIR. Pourquoi, en effet, utiliser ce numéro, doté d'une fonction spécifique – la sécurité sociale – alors qu'il existe déjà dans le domaine bancaire un numéro, le FICOBA, acronyme du fichier national des comptes bancaires et assimilés, qui permet de recenser tous les comptes de toutes natures – comptes bancaires, comptes postaux, d'épargne – qu'une personne détient ? Il permet déjà de fournir des informations sur ces comptes à ceux qui sont habilités à les recevoir, par exemple les huissiers de justice dans le cadre de poursuites. Le FICOBA serait immédiatement utilisable alors que le NIR ne serait opérationnel qu'au bout de six ou sept ans, puisque le stock des dettes existantes ne pourrait pas être pris en compte. Voilà d'ailleurs qui explique, sans doute, la préférence des deux groupes bancaires que j'ai cités pour le NIR, puisque la mise en place effective d'un répertoire des crédits serait retardée. En outre, le FICOBA n'aurait pas besoin d'être sécurisé par une procédure complexe de double hachage, et ce choix permettrait enfin de désamorcer les critiques de la CNIL, qui craignait un mélange des genres.

Quant aux risques de détournement de l'usage du fichier positif, il convient de souligner que cette proposition de loi offre de nombreuses garanties, reprises des préconisations du rapport de préfiguration : la centralisation des données, qui seraient confiées à la Banque de France, ce qui constitue une forte garantie d'indépendance et de sécurité ; la consultation des données dans l'unique but d'examiner la solvabilité du souscripteur, avec l'accord préalable de celui-ci ; des sanctions pénales fortes au cas où le fichier serait dévoyé et où des informations en seraient extraites.

La troisième série d'objections porte sur la faisabilité du dispositif, et sa lourdeur disproportionnée au regard des résultats escomptés.

Si la question de la faisabilité d'un fichier qui pourrait recenser 25 millions de personnes et comporter 100 millions de lignes enregistrées pouvait être légitime il y a quinze ans, les évolutions technologiques et la standardisation de ce type d'architecture sécurisée, les estimations de coût qui figurent dans le rapport de préfiguration me semblent très excessives. Il s'agit en tout cas d'un investissement social dont le coût serait largement amorti par la facturation des consultations. En effet, les banques qui voudraient consulter le fichier devraient, à nos yeux, payer la Banque de France pour le travail qu'elle aurait fait pour elles. Enfin, la rationalisation…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion