Intervention de Benoît Hamon

Séance en hémicycle du 22 novembre 2012 à 15h00
Prévention du surendettement — Présentation

Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, cette proposition de loi porte sur une question extrêmement lourde, que l'on ne saurait résumer à une affaire économique. Aujourd'hui, le surendettement est source de drames considérables. Certains ménages, certaines familles, dont la situation était parfaitement normale, sont précipitées dans le surendettement par un accident de la vie, un aléa – la perte d'un emploi, une séparation – comme on peut en connaître. Cela provoque parfois des suicides.

Voyez tout simplement ce que nous rapporte la remarquable association Crésus, qui traite de ces dossiers de surendettement, qui rencontre ces personnes surendettées que l'on voit également dans les permanences parlementaires. On peut basculer rapidement dans le surendettement, et cela vaut aussi pour des familles qui se considéraient jusqu'à présent à l'abri de tout risque et non vulnérables.

La réalité, aujourd'hui, c'est que 232 493 dossiers ont été déposés à la Banque de France pour l'année 2011, chiffre en hausse. Une légère inflexion put intervenir en 2012, mais l'année n'est pas terminée, et, en stock, il y a plusieurs centaines de milliers de dossiers de surendettement, qui nous renseignent d'abord sur la réalité de la crise économique et sociale, une crise qui a frappé de nombreux ménages. Il s'agit maintenant de savoir ce qui relève de la crise – ce qui relève donc de circonstances exceptionnelles – et ce qui relève de l'organisation du marché, notamment le marché du crédit, de la responsabilité du souscripteur et de la responsabilité du prêteur, sur laquelle je reviendrai.

Disons un mot encore du contexte. Ce qui est frappant chez les ménages, au-delà de la baisse du pouvoir d'achat, c'est la contraction du revenu disponible, ou plutôt « arbitrable ». Vous évoquiez, avec la proposition de loi de M. Borloo, la question des dépenses incompressibles ; eh bien, leur poids s'alourdit. En conséquence, le revenu arbitrable se contracte, ce qui peut pousser un certain nombre de ménages, de familles à contracter des crédits à la consommation pour conserver leur niveau d'équipement, continuer à pouvoir partir en vacances, notamment des crédits renouvelables qui peuvent, dans des situations particulières, les précipiter dans le surendettement.

Quelle est la responsabilité du crédit dans le surendettement ? Je ne prendrai pas le problème dans ce sens. La réalité, aujourd'hui, c'est que 78 % des personnes endettées ont un minimum de huit crédits à la consommation, que 52 % des personnes surendettées ont dix crédits à la consommation. Cela montre bien qu'il existe un lien évident entre le crédit à la consommation, en particulier le crédit renouvelable, et le surendettement.

Si l'on doit se préoccuper du surendettement, ce n'est pas, pardonnez l'expression, pour faire la peau au crédit à la consommation. Aujourd'hui, cela reste un moteur important de l'activité économique, un soutien au pouvoir d'achat des ménages. C'est, en France, un ménage, une famille sur trois qui recourt au crédit à la consommation. Cela représente un montant global de 150 milliards d'euros. Cet instrument est décisif si nous voulons soutenir la demande et la consommation. Une fois que le moteur des exportations s'est éteint, que celui des investissements s'est lui aussi, à force de contraction des marges des entreprises, éteint, reste celui de la consommation, mais, aujourd'hui, il tousse. Il est donc indispensable de maintenir le crédit à la consommation, en tout cas la capacité des Français à acheter à crédit.

La loi Lagarde, du nom, monsieur le rapporteur, de votre homonyme devenue directeur général du Fonds monétaire international – je ne vous souhaite pas moins, même si je ne veux nullement vous condamner à l'exil (Sourires) –, avait entraîné un certain nombre de progrès, notamment avec la fonction paiement au comptant, qui avait permis une baisse des transactions à crédit. Elle a aussi permis une baisse du prix du crédit, notamment du crédit renouvelable ; la nouvelle règle d'amortissement minimum a permis l'accélération du remboursement, donc une baisse du coût du crédit et, incontestablement, un recentrage du crédit renouvelable sur ce qui était son objet initial, à savoir les petits montants.

Cependant, il y a aussi des points négatifs. Le consommateur doit, en théorie, lorsqu'il achète un équipement et veut le faire à crédit, disposer d'une offre proposant une alternative entre crédit amortissable et crédit renouvelable. Las, dans neuf cas sur dix, il choisit le crédit renouvelable, soit en raison d'une mauvaise formation des forces de vente, soit parce que la loi n'est pas appliquée. Pour cette raison, nous proposerons, avec le projet de loi sur la consommation que je présenterai l'an prochain, de donner davantage de moyens de sanction administrative à la DGCCRF ; il s'agit d'éviter de devoir retourner devant les tribunaux pour sanctionner un certain nombre d'infractions.

Nous voulons donner à la DGCCRF les moyens de s'abriter derrière l'uniforme du client « mystère ». Cela lui permettra de savoir où une infraction est susceptible d'être commise, alors que, aujourd'hui, un agent de la DGCCRF est obligé de notifier sa qualité lorsqu'il se rend dans n'importe quel magasin d'équipement, dans n'importe quelle grande surface qui fait du crédit. Il est clair que la force de vente, dans ce cas, respecte scrupuleusement la loi…

Il faut renforcer les moyens. Pour que nous puissions appliquer correctement la loi, il faut que la DGCCRF ait des moyens en termes de personnel, d'agents. Je me félicite donc que le projet de loi de finances prévoit le maintien des effectifs de la DGCCRF, direction qui avait été bien abîmée au cours de ces dernières années.

Des efforts doivent être faits également en ce qui concerne la fiche de dialogue, supposée recenser ressources et charges du consommateur. Mais, pour l'essentiel, elle n'est que déclarative. Dès lors, beaucoup de consommateurs mentent ou, par méconnaissance de leur situation exacte, ne donnent pas toujours les bonnes informations.

Il y a donc des améliorations incontestables à apporter sur ce point.

Les professionnels ont pris des engagements lorsque l'instance de concertation, le comité consultatif du secteur financier, les a sollicités. Je m'en réjouis. Je me félicite particulièrement de ce que nous disposons réellement d'une offre alternative de crédit amortissable et de crédit renouvelable.

L'information sur le système dit du « n fois sans frais », qui s'apparente beaucoup à du crédit renouvelable, enregistre elle aussi des avancées importantes. C'est également le cas de du découplage entre carte de fidélité et crédit renouvelable : la confusion est parfois entretenue par le fait que la carte de fidélité donne aussi accès à une réserve d'argent. La tentation est alors forte, quand on a trois, quatre ou cinq cartes de ce type dans son portefeuille, d'utiliser ces réserves d'argent.

Pour information, et cela va dans le sens de ce que vous dites, lorsque les sénateurs se sont intéressés à la question du crédit à la consommation, le rapporteur au Sénat, M. Alain Fauconnier, a mené une expérience instructive. Un samedi après-midi dans un grand centre commercial lui a permis de contracter pas moins de quatorze crédits renouvelables ! Cela montre bien que, quel que soit le nombre de déclarations préalables obligatoires, si l'établissement de crédit veut trouver des emprunteurs, il en trouve ! Le prêteur a donc, incontestablement, une responsabilité.

Au-delà du renforcement des moyens, nous pourrions modifier notre approche de la question du crédit. L'emprunteur a lui aussi une responsabilité : la loi Lagarde exige ainsi la présence sur tout support publicitaire de la mention « un crédit vous engage et doit être remboursé, vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ». Cela revient quelque peu à culpabiliser l'emprunteur, mais il faut aller au-delà. Nous préférons adopter aujourd'hui une approche plus équilibrée, en responsabilisant cette fois-ci le prêteur. Le Président de la République avait rappelé avant l'élection l'importance de « responsabiliser les banquiers » afin qu'ils n'accordent plus de crédits à des personnes qui ne pourront pas les rembourser et de « maîtriser la situation de la personne endettée ». Tel est le sens de la politique équilibrée que le Gouvernement entend mener.

Des mesures favorables à la responsabilisation du prêteur ont été adoptées dès la loi Lagarde, comme l'obligation pour le prêteur de contrôler le fichier des incidents caractérisés de paiement, l'obligation de remplir une fiche de dialogue – dont j'ai cependant mentionné les limites – ou encore le renforcement des sanctions applicables aux prêteurs et aux intermédiaires. L'article 1er de votre proposition de loi, comme vous l'avez mentionné, prévoit des sanctions pour les prêteurs et les intermédiaires. Cependant il existe déjà à l'heure actuelle des sanctions pouvant aller jusqu'à une remise en cause du droit à obtenir des intérêts. Un dispositif de sanctions existe donc déjà. Je pense qu'il faudra aller plus loin pour faire respecter la loi.

Vous nous avez parlé de la question du registre national du crédit. J'en dirai quelques mots. Le rapport du Sénat présenté par Mmes Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier l'évoque. Il évoque également une autre possibilité. Beaucoup de solutions sont débattues par les associations de défense des consommateurs comme par les professionnels du crédit. Le Sénat propose pour sa part que toute personne demandant un crédit doive se munir pour cela de ses trois derniers relevés de compte bancaire, sur lesquels figure l'intégralité de ses dépenses. C'est à mes yeux trop lourd, puisque cela suppose que le futur emprunteur se mette en quelque sorte à nu devant l'employé chargé d'examiner la demande de crédit. Comme je l'ai dit au Sénat, le Gouvernement pense que ce n'est pas la meilleure solution.

Nous nous pencherons donc, dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi et au cours des semaines prochaines, sur la question de la création d'un registre national du crédit. Comme vous l'avez rappelé, un registre national des crédits aux particuliers serait une source supplémentaire de renseignements sur la solvabilité des emprunteurs, et serait incontestablement utile. En ce sens, je considère que ce serait une protection de plus pour les consommateurs, qui les empêcherait de contracter le crédit de trop. Il n'est d'ailleurs que de voir le nombre de crédits renouvelables utilisés à l'heure actuelle comme des lignes de trésorerie, et employés à rembourser d'autres crédits.

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