Comme tout fichier, un fichier des crédits pose un certain nombre de questions sur la protection des données personnelles. La CNIL et différentes associations de consommateurs se sont d'ailleurs inquiétées de ces risques.
De fait, si le comité de préfiguration a étudié les moyens d'encadrer les modalités de consultation du fichier pour éviter toute dérive commerciale ou abusive, ses préconisations semblent ne pas faire l'unanimité des parties prenantes.
Le texte de la proposition de loi paraît quelque peu « léger » quant à la nécessité d'empêcher les établissements bancaires privés de collecter les informations qu'ils obtiennent en consultant le répertoire des crédits, car comment faire réellement obstacle à ce que les banques compilent les informations obtenues ? Elles auront certainement la tentation de le faire, ne serait-ce que pour sécuriser les prêts consentis.
À ce titre, comment ne pas penser que la constitution du fichier risque d'avoir l'effet pervers de limiter massivement l'accès au crédit, non pour les seuls surendettés, mais bien pour tous les ménages modestes ? Les établissements bancaires pourront refuser systématiquement un nouveau crédit aux foyers déjà emprunteurs. En cette période de difficulté économique généralisée, le recensement des crédits dans le répertoire risque donc d'entraîner une fermeture du robinet. Cet instrument n'est pas de nature à inverser la tendance à l'assèchement du crédit que nous constatons depuis quelques années.
Cinq à six millions de Français ont déjà un accès limité aux banques. Ils ont certes un compte bancaire mais n'ont pas forcément accès au crédit et sont exposés à des frais exorbitants du fait même de leur fragilité. Le fichier positif ne doit pas participer à l'exclusion bancaire des plus modestes.
Par ailleurs, dès lors qu'un ménage ne figure pas sur le fichier, on peut penser que les banques lui octroieront alors systématiquement le crédit, en s'épargnant ainsi l'effort d'étudier réellement la situation financière des demandeurs.
Enfin, ultime argument, rien n'est fait pour empêcher les banques de développer des crédits particulièrement nocifs pour les ménages modestes – je pense à des taux proches de l'usure ou encore à des crédits renouvelables. On fait peser la responsabilité sur les demandeurs de crédit plutôt que sur les vendeurs.
À ce sujet, les députés du groupe GDR proposeront à la majorité de passer à l'action en procédant à l'interdiction pure et simple des crédits renouvelables, telle qu'elle avait été soutenue par toute la gauche lors de la précédente législature. Il s'agirait d'une réponse forte au problème du surendettement, sachant que les personnes les plus modestes sont les plus exposées à la violence des mécaniques de recouvrement, qui les mettent dans l'incapacité de rembourser.
Il est d'autant plus nécessaire de supprimer le crédit revolving que ce sont les filiales des grandes banques qui proposent ces produits. Cette forme de crédit est devenue très importante en s'adressant d'abord aux classes populaires au revenu annuel moyen compris entre 11 478 et 20 942 euros, qui représentent 41,5 % des crédits renouvelables. Selon la Banque de France, la part de l'encours de crédit renouvelable dans le total du crédit à la consommation a perdu six points entre 1998 et 2007, mais elle demeure à 21 %. Actuellement, son encours est de 1 105 euros par ménage, plaçant la France au troisième rang européen derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Cette forme de crédit agit comme un substitut au maintien du pouvoir d'achat des ménages précarisés et fragilisés, mais avec un taux effectif global énorme, qui dégage des marges indécentes pour les acteurs économiques du secteur.
C'est en interdisant ces produits financiers que nous contribuerons à prévenir le surendettement, pas en donnant quitus aux banques par l'intermédiaire d'un fichier positif, alors que ce sont elles les principales responsables du surendettement.
Plusieurs associations comme la Croix-Rouge nous invitent à réfléchir à l'amélioration de l'inclusion bancaire. En effet, si la loi a instauré le droit à un compte bancaire en 1984, les 99 % de détenteurs en France ne sont pas tous égaux devant son utilisation. Encore une fois, les plus pauvres sont les plus exposés aux sanctions, aux interdictions, aux agios, ce qui contribue à leur exclusion bancaire. La création d'un fichier positif risquerait d'aggraver cette tendance.
En tout état de cause, l'idée de confier ce répertoire à la Banque de France, et donc au service public, est une garantie que nous estimerions indispensable si un tel dispositif devait voir le jour, du moins si la Banque de France conserve son réseau, puisque l'implantation territoriale de ses succursales tend à se réduire sous l'effet de la pression « austéritaire ». Les établissements départementaux de la Banque de France sont en première ligne dans la lutte contre le surendettement des ménages. Il ne sert à rien de voter des dispositifs de lutte contre ce phénomène si, dans le même temps, les budgets des services publics de proximité sont asséchés au point d'engendrer des restructurations.