Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 22 novembre 2012 à 15h00
Prévention du surendettement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Les personnes qui, dans le groupe des écologistes et dans le groupe UMP, sont opposées au fichier, doivent assumer leur choix politique au lieu de se défausser sur la CNIL.

Selon Mme Dubié, un tel fichier serait sans intérêt, dans la mesure où il n'empêcherait pas la souscription abusive du crédit. Or, la Cour des comptes, la commission de préfiguration et tous ceux qui se sont penchés sur cette question ont démontré que, pour au moins 60 000 familles par an – même en retenant le chiffre de 25 % auquel votre rapporteur ne croit pas vraiment –, la création d'un répertoire des crédits permettrait d'éviter la spirale du surendettement. M. le ministre indiquait tout à l'heure que 52 % des personnes surendettées se retrouvent avec dix crédits renouvelables, ces dix crédits pouvant aisément être souscrits par une personne au cours d'une seule journée. Même dans le cas des accidents de la vie, que vous avez évoqué, les personnes concernées espèrent toujours que ce n'est qu'une mauvaise passe – ainsi, une personne se retrouvant au chômage pense qu'elle retrouvera rapidement un emploi – et que le recours à un emprunt va les aider à franchir un cap difficile. En réalité, ce n'est pas le cas, et ces personnes s'enfoncent, simplement parce qu'elles ont essayé de maintenir leur niveau de vie. C'est ce que l'expérience du terrain enseigne aux associations de lutte contre le surendettement, aux CCAS et, bien sûr, aux parlementaires dans le cadre de leurs permanences – bref, à tous ceux qui ont une vision pratique, et non pas uniquement théorique, de la question.

Vous avez également dit, madame Dubié, que les fichiers, lorsqu'ils existent – sous d'autres formes que celle que je propose, car je m'en tiens pour ma part à un répertoire ne contenant pas de données privées et n'ayant pas vocation à être utilisé à des fins commerciales ou de prospection, ce qui le rend plus sûr en termes de libertés publiques –, ne donnent pas de résultats probants. Je ne partage pas cet avis : pour moi, les fichiers, lorsqu'ils existent, donnent de vrais résultats. Comme l'a dit Mme Dagoma, le montant moyen des dettes des ménages français en surendettement est deux fois supérieur à celui des ménages dans le reste de l'Europe. Le premier effet d'un fichier serait de bloquer ceux qui vont trop vite avant qu'il ne soit trop tard. Le deuxième effet serait de limiter les dégâts : en France, le montant moyen d'un dossier de surendettement s'élève à 40 000 euros, contre moins de 20 000 euros dans les pays dotés d'un fichier. Malheureusement, je sais bien que ces chiffres n'empêcheront pas certains de prétendre, pendant encore des années, qu'un tel fichier est inefficace.

Pour ce qui est de la Belgique, que vous avez citée, madame Dubié, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un exemple probant, d'abord parce que la mise en place d'un fichier dans ce pays est trop récente pour que l'on dispose de chiffres fiables. Au demeurant, l'un de nos collègues du groupe UMP nous a fait observer en commission que la progression du nombre de dossiers de surendettement s'établissait autour de 16 % en France, contre 10 % en Belgique : au vu de cet écart, je ne vois pas comment on peut prétendre que le fichier ne présente pas d'intérêt – pour nous, en tout cas, cet intérêt ne fait pas de doute.

Vous dites, monsieur Serville, que le texte est un peu léger en matière de sécurité. Je ne suis évidemment pas d'accord et, afin que nos collègues votent en toute connaissance de cause, je veux préciser plusieurs points. Premièrement, il est prévu que le fichier soit confié à la Banque de France. Deuxièmement, l'organisme de crédit ne pourra le consulter qu'avec l'accord écrit préalable de l'emprunteur. Troisièmement, c'est cet accord écrit qui doit être conservé, et en aucun cas les données collectées au moyen d'un traitement informatisé. L'utilisation à des fins de prospection se trouvera empêchée par l'instauration d'une sanction pénale, définie par un décret pris en Conseil d'État.

Pour ce qui est des personnes exclues du crédit, que vous avez évoquées, je veux également souligner que notre proposition aurait pour effet « collatéral », si l'on peut dire, de faciliter l'accès au crédit. Les 40 % de la population les plus fragiles, ceux dont vous dites vous préoccuper, cher collègue, sont aujourd'hui exclus de l'accès au crédit par le système dit de scoring. En vertu de ce système, un étudiant ayant besoin d'un lit, d'un réfrigérateur et d'une télévision pour s'installer dans une chambre ne présente pas les garanties nécessaires pour se voir accorder un crédit, quand bien même il est solvable, disposant de ressources telles qu'une bourse ou un emploi à temps partiel – voire à temps complet, puisque c'est malheureusement le cas de nombre d'étudiants aujourd'hui. Ne pouvant bénéficier d'un crédit classique, cet étudiant va se tourner vers des formes parallèles de crédit, celles-là même qui, la plupart du temps, ont pour effet de d'entraîner les gens dans un engrenage de difficultés. Je vous le dis : si l'on se réfère à ce qui se fait dans d'autres pays européens, la mise en place du système que nous proposons permettrait à la moitié de cette population fragile d'accéder au crédit.

Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit lors de mon intervention initiale, le suivi de l'emprunteur par la banque engendre un coût de traitement du dossier élevé – proche du taux usuraire pour un emprunt de 1 500 euros –, qui dissuade la banque de prêter, puisqu'elle ne va pas gagner d'argent. En permettant de réduire le coût du dossier de l'emprunteur, notre proposition aurait pour effet d'élargir l'accès au crédit.

M. Blein, intervenant au nom du groupe SRC, nous a fait une démonstration pour le moins curieuse – et je pèse mes mots. Il a en effet expliqué que la création d'un fichier pouvait être utile mais que cette mesure ne pouvait être adoptée dans la mesure où elle ne constituait que l'une de celles figurant dans la proposition de loi déposée par Jean-Marc Ayrault et le groupe socialiste lors de la législature précédente. Pour moi, qui peut le plus peut le moins, et je ne vois donc pas ce qui vous empêche, monsieur Blein, de voter aujourd'hui notre proposition, si ce n'est une raison politique. Les autres éléments de votre proposition initiale – je pense notamment à l'action de groupe, à laquelle je suis personnellement favorable – pourraient toujours être défendus séparément.

Certains orateurs du groupe socialiste ont même tenté de nous convaincre qu'ils étaient les précurseurs de l'idée consistant à créer un répertoire des emprunteurs ! Pour mémoire, je rappelle qu'en 2004, M. Hervé Morin, alors président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, avait déposé à mon initiative une proposition de loi en ce sens, et que nous présentons aujourd'hui cette proposition pour la cinquième fois devant notre assemblée ! Pour votre part, vous avez attendu 2009 pour reprendre notre proposition sous une forme élargie, avant de venir nous expliquer en 2012, alors que votre majorité est au Gouvernement, qu'il faut encore réfléchir et consulter. Alors que vous étiez partants en 2009, comment se fait-il que vous ne le soyez plus trois ans plus tard, monsieur le ministre, tandis que les ménages continuent à se surendetter ?

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