Intervention de Sébastien Jakubowski

Réunion du 19 novembre 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Sébastien Jakubowski, chercheur associé au centre lillois d'études et de recherches sociologiques de l'université Lille 1 et enseignant à l'institut d'études politiques de Lille :

Le constat de banalisation se fonde sur une observation aussi objective que possible. Du reste, la logique de « désinstitutionnalisation » ne concerne pas seulement les armées. On a évoqué l'école, on pourrait prendre d'autres exemples.

L'introduction, depuis trente ans, de dispositifs nouveaux de gestion et de pilotage des administrations publiques contribue à modifier la légitimité du socle de valeurs et du cadre symbolique qui caractérisaient ces institutions. J'entends bien le risque de banalisation, encore qu'il ne m'appartienne pas de me prononcer sur ce point. La réappropriation par l'État d'une partie de ses grandes administrations est à l'évidence un enjeu démocratique et politique. Le monde et la société ont changé, les institutions peuvent également changer pour peu que l'on admette un aménagement de leur cadre symbolique.

Je soutiens, vous l'avez compris, une logique d'association professionnelle qui ne peut se concevoir que de manière complètement intégrée. Le but n'est pas de faire coexister, à l'intérieur d'une même institution, plusieurs organismes concurrents les uns des autres, mais de mettre en place un nouveau dispositif de régulation et de gestion contribuant à l'uniformisation de l'institution.

Colonel Michel Goya. Le droit de retrait existe de fait dans les armées puisque tout militaire a obligation de refuser un ordre illégal.

Je crois que c'est Maurice Thorez qui disait que les faits ne rentraient pas dans le domaine de ses croyances. Or il se trouve, monsieur Candelier, que l'armée est impliquée dans des opérations de sécurité intérieure depuis les années 1980 et peut donc comparer son mode de fonctionnement avec d'autres organes. Sans doute pouvons-nous en tirer quelques enseignements, mais il en ressort surtout que nous autres militaires n'avons pas du tout envie de fonctionner comme la police !

Quant à la professionnalisation, elle existe depuis très longtemps. Celle des troupes d'infanterie de marine, par exemple, est bien antérieure à 2002. Ce que j'y ai constaté, c'est que le système ce concertation interne fonctionnait de façon plutôt satisfaisante. Il y avait évidemment les présidents de catégorie, mais aussi, parmi les Polynésiens, des représentants de certaines catégories ethniques. Rappelons que la République accueille plusieurs royaumes en son sein. Dans certains régiments, des caporaux-chefs issus de Wallis et Futuna sont de sang royal et ont autorité sur des sous-officiers de même origine. On le voit, le dispositif est assez pragmatique.

Cela étant, la professionnalisation est encore récente et représente, dans certaines unités, un changement lourd. Alors qu'il n'est pas certain que l'évolution soit parvenue à maturité, nous devons affronter non seulement toutes les nouvelles réformes, mais aussi, aujourd'hui, l'éventualité d'un changement dans l'organisation des relations humaines.

Bien que mon discours ait pu paraître conservateur à certains, l'armée est sans doute l'institution la plus progressiste qui soit. C'est en tout cas celle qui se transforme et évolue le plus. En trente ans de vie militaire, j'ai connu des changements permanents tant dans les missions que dans l'organisation. Il ne faut pas se représenter une structure arc-boutée sur son passé. Nous acceptons les évolutions. Il convient néanmoins d'être prudent : en l'occurrence, le changement demandé tombe particulièrement mal et sera mal vécu, avec des conséquences peut-être imprévisibles.

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