Les emplois dans les services à la personne ne sont en effet pas soumis à la compétition internationale, mais ils sont malgré tout très sensibles au coût du travail, pour deux raisons : l'élasticité de la demande est assez forte ; leur coût est très dépendant des finances publiques. Plus de la moitié des emplois dans les services à la personne et dans d'autres services – hôpital, nettoyage – dépendent de la valeur que la collectivité leur attribue. Dans le cas des aides à domicile, le phénomène est caricatural : c'est la valeur de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) qui décide du coût. L'amélioration de la situation des salariés, certes, ne creusera pas le déficit commercial, mais il aura un impact direct sur les finances publiques. Pour mémoire, une assistante maternelle est payée 20 minutes pour chaque heure travaillée. Son salaire est donc équivalent à un tiers du SMIC. Ce n'est pas une donnée de marché, mais l'effet d'une décision des pouvoirs publics.
Les services à la personne concentrent les difficultés. Seulement 72 % du temps d'une aide à domicile ou d'une travailleuse du secteur des services à la personne est payé, ce qui veut dire que 25 à 30 % du temps de travail n'est pas décompté. Il y a naturellement des différences d'une convention collective à l'autre, et la structuration du secteur est un véritable casse-tête. Il existe quatre conventions collectives différentes : celle du particulier employeur – pas de décompte du temps de transport ni d'indemnité kilométrique –, celle des entreprises privées de services à la personne – prise en compte d'un quart d'heure entre deux clients, indemnité de 9 centimes le kilomètre –, celle des associations – prise en compte au réel des temps de déplacement, indemnité de 37 centimes le kilomètre – ainsi que le statut de la fonction publique territoriale pour les centres communaux d'action sociale (CCAS), dont dépendent 15 % des salariés du secteur, et qui, lui, prend en compte ces temps d'équivalence. Les modèles sont donc différents, plus ou moins efficaces, et plus ou moins coûteux.
Quels remèdes ? J'en citerai quatre : premièrement, il faut privilégier un mécanisme d'autorisation de la tarification avec une tarification au réel des coûts et non pas un agrément selon la stricte loi concurrentielle.
Deuxièmement, le tarif de l'APA doit intégrer l'ensemble des temps dévolus au travail, et non pas seulement au face-à-face avec la personne âgée. Tant que l'on rémunère à l'heure un travail qui implique autre chose que l'heure d'intervention, on ne pourra pas améliorer significativement la situation. Les temps d'équivalence concernent de nombreuses professions, à commencer par la mienne – de manière plus confortable, il est vrai. Dans mon temps de travail sont comptées des choses qui ne se voient pas directement. Il faudrait qu'il en aille de même pour les services à la personne, mais l'APA ne le permet pas pour l'instant.
Troisièmement, il faut privilégier les sociétés prestataires par rapport aux particuliers employeurs, car les conditions de travail sont meilleures.
Quatrièmement, il faut développer des modes de tarification qui contournent la tarification horaire. Les expérimentations menées dans le cadre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) sont intéressantes et prometteuses.
Mais l'amélioration de la situation de ces 600 000 salariés ne se fera pas sans coût pour les finances publiques. Financer correctement ces emplois suppose une revalorisation de l'APA de 30 à 40 %, soit un effort de 1,5 milliard d'euros, ce qui correspond à la moitié des exonérations accordées à des services de confort, dont l'efficacité en termes de création d'emplois et d'amélioration des conditions de travail est très réduite.
Le manque de données sur les salariés sous le régime Aubry 2 ne peut plus être comblé par des enquêtes, mais il peut l'être par des travaux qualitatifs sur des secteurs donnés. Je peux tirer, par exemple, quelques enseignements de mes travaux sur l'hôtellerie-restauration et la grande distribution. Ces deux branches avaient au départ des points communs – industrie de main-d'oeuvre, travail non qualifié, peu rémunéré, conditions de travail assez mauvaises – et une différence : d'un côté un éclatement des employeurs et de l'autre de grands employeurs. Le bilan dans la grande distribution est loin d'être négatif, y compris pour les salariés non qualifiés. La réduction du temps de travail y a peut-être entraîné une intensification du travail, elle a sans doute incité à automatiser davantage et à augmenter la productivité au détriment de l'emploi, mais, en termes de qualité des emplois, l'impact est positif. Dans l'hôtellerie-restauration, c'est moins évident. Souvenez-vous du feuilleton des heures d'équivalence et de leur intégration dans la convention collective ! C'est une branche dans laquelle la négociation collective fonctionne très mal, alors que le dialogue social dans la grande distribution a été singulièrement amélioré, à cette occasion notamment.
D'ailleurs, on ne note pas suffisamment l'effet positif des 35 heures sur le dialogue social. On reproche à la loi de s'être substituée au dialogue social. C'est vrai, mais le dispositif original du mandatement qu'elle prévoyait a fait entrer dans les entreprises une présence syndicale. Cette structuration du dialogue social est jugée positivement par les salariés comme par les employeurs.
Quant au régime dual, les deux régimes se développent à côté du régime fordiste qui se maintient en partie – entre 50 et 60 % des salariés y restent soumis. Je qualifie l'un d'« autonome » car sa caractéristique première est de laisser au salarié un choix – qui n'est pas toujours un cadeau – en matière de temps de travail et surtout, de localisation de son temps de travail, et de garantir une certaine prévisibilité de ce temps. L'autre est dit « hétéronome » car les salariés subissent pleinement la variabilité, les temps atypiques, l'impossibilité de s'absenter pour raisons familiales ou autres. L'élément discriminant de ces deux régimes, qui s'écartent l'un et l'autre d'une norme centrale tendant à s'amenuiser, me semble être la possibilité plus ou moins grande qu'ils donnent de maîtriser son temps, élément au moins aussi important, me semble-t-il, que la durée globale du travail. Toutes les heures ne se valent pas : une heure le dimanche matin est bien plus pénible qu'une heure le lundi matin. La localisation, la prévisibilité et la maîtrise du temps distinguent davantage ces régimes que la durée elle-même. Il se développe une flexibilité, que certains peuvent maîtriser et que d'autres subissent totalement, et l'on constate, une fois de plus, une surreprésentation des femmes du mauvais côté de la barrière.
Quand on interroge les salariés peu de temps après la mise en place des 35 heures, les effets positifs ne sont pas perçus seulement par les cadres ou les grandes entreprises, mais ce sont eux qui vont réussir à conserver, par la suite, les avantages acquis à ce moment-là. Les 35 heures ont apporté des avantages, en matière de qualité de vie, à une grande partie des salariés, mais sous des formes différentes. Les modifications apportées ensuite et les remises en cause intervenues dès 2003 ont rogné beaucoup plus vite les avantages des salariés du bas de l'échelle que de ceux du haut de l'échelle. Les cadres ont gardé leurs jours de congé, les moins qualifiés ont récupéré en heures supplémentaires ce qu'ils avaient obtenu quelques années auparavant en gain de temps. Les 35 heures n'ont certes pas été appliquées de manière égalitaire et uniforme, mais leur remise en cause a été encore plus inégalitaire. Les plus fragiles ont négocié plus difficilement. Les transformations intervenues après 2003 ont été beaucoup plus individualisées, reposant sur un rapport de forces plus direct que sous la première loi Aubry.
Vous pointez un élément fondamental à mon sens : celui de l'intensité du travail, qui est difficile à mesurer. Peut-on légiférer ou favoriser la négociation sur l'intensité du travail ? J'y ai réfléchi souvent, malheureusement sans trouver de réponse. C'est pourtant un élément essentiel qui joue sur la qualité de vie, sur la qualité du travail ou sur le vieillissement de manière au moins aussi importante que la durée elle-même. Pourtant, il est très difficile à prendre en compte, particulièrement lorsque l'intensité n'est pas liée à des rythmes mécaniques ou automatiques, ce qui est souvent le cas.