Intervention de Thomas Fatome

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, DSS :

Mon propos liminaire sera bref : outre que mes services ont adressé hier un certain nombre de réponses techniques écrites aux questions adressées par votre commission d'enquête – et restent bien entendu à sa disposition pour les préciser –, la RTT, à proprement parler, ne ressortit pas de la compétence de la direction de la sécurité sociale (DSS). Celle-ci n'est pas directement en charge des politiques de l'emploi, et d'autres directions centrales – notamment la direction du Trésor et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES –, sans parler de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sont mieux à même de mener des évaluations sur le sujet.

Il est très difficile d'isoler l'impact des 35 heures sur les finances publiques. La réduction du temps de travail, en effet, s'est accompagnée d'allégements substantiels de cotisations patronales, selon une logique offensive dans un premier temps – via la loi de Robien –, puis défensive, afin d'accompagner la mise en oeuvre de la réforme : les deux mouvements, la RTT et la baisse du coût du travail, se sont en quelque sorte superposés. En tout état de cause, la DSS n'a pas mené de travaux sur l'impact des 35 heures, que ce soit pour la période récente ou pour le début des années 2000.

Cela dit, on peut rappeler un certain nombre d'éléments, s'agissant d'abord des incidences respectives de la croissance économique, de la RTT et des exonérations de cotisations sur l'évolution de la masse salariale de 1997 à 2008. En toute logique, l'évolution du produit intérieur brut (PIB) est étroitement corrélée avec celle de la masse salariale dans le secteur privé, même si des décalages momentanés peuvent apparaître, soit en raison de la conjoncture, soit en raison du temps de réaction de ladite masse salariale aux inflexions de la croissance, du fait des mécanismes de négociation ou d'ajustement des emplois au sein des entreprises.

L'élasticité de l'emploi a son coût, et celui-ci est maximal pour le SMIC, au niveau duquel ont donc été mises en oeuvre des exonérations de cotisations patronales. Cette politique a fait l'objet d'évaluations récurrentes et convergentes dans leurs conclusions : elle a permis, selon les travaux de la DARES, de l'INSEE ou de la direction générale du Trésor, de sauvegarder ou de créer, entre 1998 et 2005, de 600 000 à 1 million d'emplois. Le pacte de responsabilité s'inscrit d'ailleurs dans cette évolution – avec des allégements ciblés sur les rémunérations proches du SMIC à partir du 1er janvier 2015 –, de même que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

L'incidence de la RTT a, quant à elle, fait l'objet d'évaluations dès le début des années 2000 : ciblées sur les entreprises ayant mis en oeuvre les 35 heures, elles ont montré un effet favorable sur l'emploi.

Dans son questionnaire écrit, votre commission d'enquête m'a interrogé sur le fait de savoir si une séparation des régimes juridiques – et économiques – des secteurs exposés à la concurrence internationale était envisageable ; sur ce point, la DSS estime qu'en l'état actuel du droit français et, surtout, communautaire, les exonérations ciblées se heurtent au principe de la libre concurrence et de l'égalité de traitement – l'exemple du soutien au secteur du textile l'illustre. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, les allégements restent ciblés exclusivement sur des niveaux de rémunération.

Au sein des organismes de sécurité sociale, la réduction du temps de travail avait donné lieu, en l'absence d'accord national, à la création de 9 300 emplois supplémentaires. Cette décision, qui s'est traduite par une augmentation des effectifs de 4,6 % entre 2000 et 2002 pour le régime général, doit être rapportée à la décroissance des emplois de 2003 à 2013, avec 17 000 équivalents temps plein (ETP) en moins, soit près de 10 %. Cette évolution traduit le non-remplacement du départ à la retraite d'un certain nombre d'agents, du fait de la montée en charge de la dématérialisation – notamment pour la branche maladie – et des efforts de simplification entrepris par les caisses, efforts qui d'ailleurs se poursuivent, ainsi qu'en témoignent les conventions d'objectifs et de gestion pour 2014-2017.

S'agissant de l'impact des 35 heures sur la compétitivité des entreprises, de son coût et de ses bénéfices pour les acteurs économiques, la DSS n'a pas mené de travaux spécifiques. Elle reste néanmoins vigilante, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, sur la question sensible de la compensation des allégements de cotisations, selon le principe posé par la loi de 1994. Ce dernier, scrupuleusement appliqué aux allégements liés à la RTT – pour environ 20 milliards d'euros par an –, a connu des fortunes diverses ; depuis 2011, les choses se sont néanmoins stabilisées puisque la sécurité sociale perçoit l'équivalent des exonérations via un panier de recettes fiscales : ce système a heureusement remplacé la vérification annuelle a posteriori de la compensation à l'euro près. Le principe d'une stricte compensation pour la sécurité sociale s'appliquera encore dans le cadre des allégements visés par le pacte de responsabilité, aussi bien à travers l'affectation de recettes qu'avec le partage éventuel de dépenses, l'État ayant décidé de prendre en charge certaines d'entre elles en 2015, en particulier s'agissant des allocations logement. Quoi qu'il en soit, les partenaires sociaux, et les ministres concernés comme la DSS ont toujours veillé au principe de la compensation, si bien que le double mouvement de la RTT et des allégements de cotisations n'a généré aucune perte de recettes pour la sécurité sociale.

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