Intervention de Boris Karthaus

Réunion du 16 octobre 2014 à 14h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Boris Karthaus, représentant d'IG Metall :

Je vous remercie de me délier de cette obligation, mon propos n'en sera que plus libre, et je pourrai notamment me permettre de citer des statistiques...

Le syndicat IG Metall est organisé par branches et compte 2,2 millions d'adhérents, dont 8 000 Français. Il couvre notamment l'industrie sidérurgique, l'automobile, mais aussi le textile. Grâce à la retransmission des débats, j'ai pu suivre l'intervention de mes collègues français, qui mettaient en garde contre les comparaisons d'un pays à l'autre. La curiosité intellectuelle a persisté toutefois, certainement à juste titre, car l'Europe s'enrichit précisément de sa diversité.

En Allemagne, nous ne connaissons pas de durée hebdomadaire légale du travail. La loi se contente de fixer à 48 heures par semaine le nombre maximum d'heures travaillées, mais inclut pour ce décompte le samedi parmi les jours ouvrables. Or, depuis 1967, à travers les conventions collectives, le samedi s'est peu à peu imposé comme n'étant plus un jour ouvrable. Les conventions collectives jouent donc en fait un rôle plus important que la loi en matière de durée du travail.

À partir des années 1980, plusieurs raisons ont poussé à ramener la semaine de travail de 40 à 35 heures, parmi lesquelles l'intensification du travail due à l'emploi de nouvelles technologies ou au travail à la chaîne, ou encore la volonté de lutter contre le chômage. Une grève de six semaines s'est ainsi engagée, à partir de Noël 1979, dans l'industrie sidérurgique de la Ruhr. Elle n'a pas eu pour résultat le passage de la durée hebdomadaire de 40 à 35 heures, mais l'obtention de jours supplémentaires de congé payé. Sur un sujet aussi symbolique, la différence mérite d'être soulignée.

En 1984, une grève dans la métallurgie a touché un demi-million de salariés, soit qu'ils aient été activement engagés dans le mouvement, soit qu'ils aient été empêchés de travailler. Elle a causé 12 milliards de deutschemarks de pertes, et a abouti au compromis suivant : instauration progressive de la semaine de 35 heures en contrepartie d'une plus grande flexibilité dans l'aménagement des horaires de travail au sein de l'entreprise. En 2003, ces dispositions n'ont pu être étendues aux Länder issus de l'ex-République démocratique allemande (RDA). Les conventions collectives y fixent donc la durée hebdomadaire du travail à 38 heures.

Dans les entreprises allemandes, le Betriebsrat, souvent assimilé au comité d'entreprise français mais largement différent en vérité, exerce un droit de codétermination en matière sociale, en matière de fixation des horaires comme d'aménagement du temps de travail. Son consentement est indispensable pour toute modification opérée dans ce domaine. Il se prononce également sur les postes d'alternants ou sur l'épargne-temps. En cas de désaccord entre lui et l'employeur, un arbitrage judiciaire est possible, mais il fait courir le risque aux deux parties de subir une décision qui privilégierait totalement l'un ou l'autre point de vue, plutôt que de bénéficier d'une solution de compromis.

Je souligne que le Betriebsrat ne détermine pas la durée, mais l'aménagement des horaires de travail. Ce sont les conventions collectives qui fixent le cadre de celle-ci. Elles permettent à une proportion de salariés variant entre 13 % et 18 % selon les régions de travailler 40 heures par semaine, sur une base volontaire, par conséquent, on pourrait dire que la durée conventionnelle moyenne du travail hebdomadaire s'établit à 35,9 heures. Les règles de flexibilité interne prévoient que les 35 heures hebdomadaires peuvent être aménagées de manière souple, dès lors que la durée moyenne calculée sur douze mois s'établit à 35 heures. Cela laisse beaucoup de flexibilité aux entreprises, comme vous pourrez vous en rendre compte en consultant des conventions collectives.

Après ce panorama général, je voudrais formuler trois observations.

Premièrement, depuis 2004, si une entreprise connaît des difficultés et dans un souci de sauvegarder l'emploi, des conventions à caractère dérogatoire peuvent prévoir que la durée des heures de travail sera relevée. Cela arrive souvent.

Dans ces accords, des clauses peuvent stipuler une augmentation des heures de travail sans que celles-ci soient payées. Ces clauses sont, « entre nous » souvent appelées « clauses-morphine », car elles font diminuer le coût du travail et soulagent momentanément la douleur économique, mais n'incitent guère à traiter les problèmes structurels de l'entreprise, tels que l'absence de produit innovant, la faible productivité ou encore la mauvaise adaptation de l'entreprise au marché. Elles ne procurent donc à celle-ci qu'un avantage temporaire, et lorsqu'elles cessent ou ne sont pas prolongées, l'entreprise meurt et les salariés perdent leur emploi. Aussi IG Metall s'attache-t-il à ce que ces accords prévoient aussi le retour progressif aux 35 heures et la recherche de solutions aux problèmes structurels de l'entreprise, en y insérant des clauses qui étendent la codétermination au champ économique. L'augmentation des heures de travail s'effectue alors en contrepartie d'une codétermination étendue aux questions économiques dans une perspective de sauvegarde de l'emploi à moyen terme.

Deuxièmement, je vous ai dit que la semaine de travail de 35 heures s'entendait souvent en moyenne annualisée. Je dois souligner que 70 % des entreprises font recours à cette flexibilité en ouvrant aux salariés des comptes épargne-temps. En 2008 et 2009, au plus fort de la crise, ce ne sont pas moins de 1,4 million de salariés qui ont été touchés par le chômage partiel, que nous appelons Kurzarbeit. Or, le régime allemand du chômage partiel prévoit que des indemnités ne sont accordées aux salariés en chômage partiel que si leur compte épargne-temps est presque vide. Cela semble donc indiquer que les comptes épargne-temps étaient à un niveau proche de zéro en 2009.

Étant donné que la moyenne se calcule sur 12 mois, on aurait pu s'attendre à un rééquilibrage en 2010. Cela n'a pas été le cas, avec une durée moyenne de 39,5 heures de travail par semaine observée cette année-là, le rééquilibrage n'a pas eu lieu. Ce constat doit être tempéré par le fait que les heures supplémentaires payées ne sont pas exclues de ces statistiques, et les statistiques incluent aussi des entreprises qui ne sont pas soumises ni à des conventions de branche ni à des conventions collectives ni à des accords dérogatoires. Mais il y a le soupçon que « la réalité ne respecte pas la convention collective ».

Il n'en demeure pas moins que, selon les observations faites par nos adhérents sur le terrain, un grand nombre d'heures se sont accumulées sur les comptes épargne-temps des salariés sans que ces heures soient payées. Les conventions collectives prévoient pourtant qu'un compte épargne-temps plein doit faire l'objet d'une réduction. En pratique, cela rendrait cependant nécessaire un arrêt de la production, ce qui est toujours source de difficultés. Chez les salariés, le maintien de leur compte épargne-temps à un niveau élevé laisse d'ailleurs l'impression que ces heures surnuméraires ne sont pas perdues. Un « effet-écureuil » s'observe, chacun se disant qu'il aura, grâce à un compte largement garni, la possibilité de prendre des congés quand il le souhaite. En fait, le régime des comptes épargne-temps est prévu dans l'entreprise au niveau local et peut même être, comme c'est le cas chez Bosch, très différent d'un site à l'autre.

Troisièmement, IG Metall a conduit en 2013 auprès de ses adhérents une enquête qui portait notamment sur le temps de travail. Pas moins de 500 000 réponses ont été recueillies. Il en ressort que 63 % des salariés estiment, malgré les 35 heures, travailler en réalité plus longtemps. Ils sont d'ailleurs 29,7 % à vouloir travailler au-delà de 35 heures, et même 2,1 % à souhaiter travailler plus de 40 heures. C'est dans les entreprises de moins de 200 salariés que la volonté de travailler plus de 35 heures est la plus répandue. En outre, 22 % des salariés interrogés affirmaient travailler en dehors des horaires réguliers, par exemple le week-end, et 12 % le faire grâce à des ordinateurs ou téléphones portables.

L'enseignement le plus intéressant, qui a suscité l'étonnement jusqu'au sein du syndicat, est que 80 % des salariés interrogés estiment que cette flexibilité ne constitue pas un problème grave, dès lors que l'aménagement repose sur la réciprocité, c'est-à-dire prend aussi bien en considération les besoins de l'entreprise que ceux des salariés.

Je pourrais donc me résumer en trois points. D'abord, la semaine de 35 heures constitue, dans le secteur de la sidérurgie et de la métallurgie, la norme, mais non la réalité. Ensuite, la flexibilité des horaires est relativement grande ; elle est également bien acceptée s'il y a réciprocité, mais cette dernière est généralement insuffisante. Enfin, la mise en oeuvre de la flexibilité va de pair avec des comptes épargne-temps, qui ont tendance à se gonfler, leur gestion n'excluant pas alors certains abus.

IG Metall est favorable à une flexibilité basée sur la réciprocité, et demande notamment que le retour au temps plein soit possible après le recours au temps partiel, ce qui n'est pas garanti actuellement par la loi, ou encore à l'issue de formations externes de longue durée.

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