Intervention de François Nogué

Réunion du 6 novembre 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

François Nogué, directeur général délégué « cohésion et ressources humaines » de la SNCF :

Comme l'a expliqué Louis Gallois en 2003, les 35 heures ont été mises en place à la faveur d'un accord signé en 1999 par la CGT, la CFDT et le Syndicat national des cadres supérieurs. À l'époque, l'entreprise s'est montrée particulièrement vigilante aux conditions économiques dans lesquelles s'inscrivait cet accord, mais aussi aux modalités de mise en place de l'organisation du temps de travail réduit. Des bilans intermédiaires ont été réalisés, notamment à l'occasion de l'audition de Louis Gallois.

La réduction du temps de travail à la SNCF a pris la forme d'une réduction de la durée annuelle du temps de travail. Les roulants et les agents en service posté sont passés de 1 613 heures à 1 561 heures, et les sédentaires de 1 736 heures à 1 582 heures par an, soit une diminution de la durée annuelle de 8,9 %. La durée hebdomadaire n'a pour sa part pas baissé : elle est comprise, selon les catégories de personnels, entre 37 heures et 40 heures, ce qui se traduit par l'octroi d'un nombre important de jours de repos.

Il faut garder à l'esprit que l'entreprise n'a pas bénéficié des réductions de charges sociales prévues par les lois Aubry. L'aide de l'État s'est limitée à 30 millions d'euros en 2000 – alors que les exonérations de charges, si nous en avions bénéficié, auraient représenté 140 millions d'euros par an, soit 2 % de la masse salariale.

La RTT n'a pas touché de la même manière toutes les catégories de personnel. En effet, la majorité des personnels travaillaient 39 heures, mais 44 000 agents étaient déjà à 35 heures.

Pour mettre en place la RTT, l'entreprise à tenu compte de sa maquette industrielle en termes de productivité, de position par rapport aux entreprises ferroviaires européennes, de perspectives d'évolution de l'emploi.

Avant les 35 heures, l'entreprise envisageait de supprimer 1 500 à 2 000 emplois par an entre 1999 et 2002, soit 4 500 au total, et elle prévoyait d'embaucher 5 000 personnes par an, soit 15 000 sur la période, avec une perspective de 19 500 départs, soit un déficit net de 4 500 emplois sur trois ans. Après la mise en place de la RTT, elle a recruté, non pas 15 000, mais 22 000 personnes, ce qui a représenté 6 500 à 7 000 créations d'emplois nettes sur la période.

Pour compenser le coût de l'impact de ces emplois, l'entreprise a appliqué des mesures de modération salariale pendant dix-huit mois, qui lui ont permis d'économiser 100 millions d'euros, soit 1,2 % à 1,3 % de la masse salariale, comme l'a montré la Cour des comptes.

La SNCF, en privilégiant la diminution annuelle du temps de travail, s'est placée dans la fourchette haute des entreprises, 60 % d'entre elles étant en deçà de 1 582 heures annuelles. Nous avons également privilégié des amplitudes hebdomadaires et journalières plus longues, qui présentaient un intérêt pour l'entreprise, ce qui nous a amenés à octroyer des jours de repos. Ces choix ont été largement poussés par les salariés et les représentants du personnel, car le passage à sept heures par jour et 35 heures par semaine n'intéressait pas les salariés. En fonction des régimes de travail, nous avons attribué entre 10 et 20 jours de repos – voire 28 pour les agents en service posté travaillant 8 heures par jour et 40 heures par semaine. Ainsi, en termes de nombre de jours de RTT, l'entreprise se situe dans la fourchette haute des entreprises, une durée journalière élevée permettant d'obtenir plus de repos.

À l'époque, nous avons considéré que les amplitudes journalières ou hebdomadaires élevées présentaient des avantages. Aujourd'hui, si ce choix s'avère pertinent pour les personnels postés, en permettant d'enchaîner les roulements sans faire intervenir des équipes relais, mais aussi les personnels sédentaires, par exemple sur la maintenance du réseau, il ne l'est absolument pas pour les conducteurs et les contrôleurs. En effet, la RTT nous a conduits à privilégier des journées de 7 h 49, alors que nos conducteurs sont difficilement mobilisables plus de 7 heures par jour pour des raisons évidentes d'organisation des plans de transport. In fine, ce choix des repos nous désavantage par rapport à la concurrence.

Néanmoins, la RTT nous a amenés à introduire des flexibilités supplémentaires, en particulier l'extension à une grande majorité du personnel du principe du travail le week-end et des horaires décalés sans majoration supplémentaire du temps de travail, la modulation du temps de travail sur six mois – contre douze semaines dans un grand nombre de branches , ainsi que l'octroi de repos à l'initiative de l'employeur, et non du salarié.

Selon nos estimations, le coût des 35 heures est compris entre 3,5 % et 4 % de la masse salariale ; il s'explique par les 7 000 créations d'emploi, l'absence d'aide de l'État, et le coût supplémentaire des repos. Il n'a donc été que très partiellement compensé par les 100 millions d'économies générées par la modération salariale et par les flexibilités organisationnelles mises en place. Le président Gallois l'avait évalué entre 260 et 300 millions d'euros, une fois déduite la modération salariale.

Quinze ans après la mise en place des 35 heures, que pouvons-nous dire de l'accord signé à la SNCF ?

D'abord, le contexte économique a changé depuis les années 1998-1999. En effet, l'ouverture à la concurrence du transport de fret depuis 2005-2006 nous a fait perdre 30 % de parts de marché au profit des autres entreprises ferroviaires dont les personnels sont essentiellement des conducteurs. Or la disposition sur les repos issue de l'accord sur les 35 heures est devenue un handicap très important pour nous, car il est plus avantageux de faire travailler un conducteur davantage de jours dans l'année plutôt que par amplitude journalière de 7 h 50 au lieu de 7 heures. Nos concurrents octroient, conformément à leur réglementation, 104 repos par an, contre 126 chez nous. Cet écart s'avère considérable en termes de compétitivité. En effet, comme le montrent des études comparatives, l'écart de coût salarial entre la SNCF et ses concurrents dans le fret est compris entre 15 % et 20 %, dont 50 % à 60 % sont dus au différentiel de repos.

Lors de la mise en place des 35 heures, toutes les grandes entreprises ont privilégié l'octroi de repos par rapport à la baisse journalière ou hebdomadaire du temps de travail. Aujourd'hui, face à des concurrents arrivés sur le marché ferroviaire en 2005-2006, sur une base de 7 heures par jour et 35 heures par semaine, nous nous trouvons désavantagés, car un nombre de journées de travail plus élevé sur l'année est plus intéressant. Comme l'a souligné le président Gallois, notre productivité horaire a fortement augmenté, mais la productivité globale journalière, c'est-à-dire rapportée au nombre de jours sur l'année, a décroché par rapport à nos concurrents, en particulier la Deutsche Bahn.

Ensuite, il n'est pas aisé de négocier dans un cadre réglementaire. En effet, l'organisation du temps de travail à la SNCF est régie par décret – celui de 1999 a repris l'accord sur les 35 heures. Néanmoins, conformément à la réforme ferroviaire votée en 2014, le temps de travail à la SNCF fera l'objet à partir de 2016 de dispositions contractuelles, à savoir une convention de branche complétée par un accord d'entreprise. Il deviendra donc plus facile pour nous de négocier sur ce sujet.

Enfin, la RTT a conduit à une densification des journées de travail, avec un accroissement des rythmes et de la charge de travail. Ce phénomène a été plus marqué chez les cadres, pour lesquels le passage aux 35 heures a été vécu comme une charge de travail supplémentaire, notamment parce qu'ils devaient gérer leur mise en oeuvre dans un environnement réglementaire extrêmement complexe. À cela s'est ajouté l'allongement des temps de trajet domicile-travail, les facilités de circulation offertes aux agents de la SNCF les incitant à habiter loin des centres-villes où le prix des logements est plus élevé. Cette situation a créé des tensions et des difficultés en termes de conciliation vie privée-vie professionnelle. Tous ces éléments – réduction du temps de travail par les repos, difficultés accrues pour les cadres, allongement des durées de trajet – ont eu un effet plutôt négatif, même si tous les personnels ont apprécié l'octroi de repos supplémentaires.

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