Intervention de Michel Didier

Réunion du 2 octobre 2014 à 11h45
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Michel Didier, président du Centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises, Coe-Rexecode :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, notre contribution à vos travaux sera centrée sur le domaine statistique et économique. Dans ce seul domaine, de nombreuses interrogations se posent. Dans la mesure où je serai amené à citer des chiffres et à évoquer des graphiques, nous avons préparé un dossier que je peux dès maintenant transmettre aux membres de la commission.

De nombreuses interrogations se font jour aussi bien au niveau des faits statistiques que de leur interprétation. Peut-on vraiment mesurer la durée du travail et laquelle, car plusieurs approches sont possibles ? Comment les acteurs économiques ont-ils réagi aux nouvelles obligations et contraintes posées par le législateur ? Comment le système économique dans son ensemble s'est-il adapté aux nouvelles contraintes ? C'est la question de l'impact de la durée du temps de travail et plus précisément des lois de 2000 sur l'évolution de l'emploi, des revenus, de la compétitivité, bref sur l'ensemble du système économique, qui est posée. Nous donnerons notre point de vue sur ces questions, mais nous devons dire d'emblée qu'il y a beaucoup matière à débat à chacun de ces deux niveaux.

La question statistique devrait, a priori, paraître la plus consensuelle. Toutefois, elle s'avère assez complexe. Aussi doit-on la traiter de la manière la plus rigoureuse possible. Dès que l'on veut mesurer la quantité de travail, la durée du travail et éventuellement la comparer dans différents pays, il convient de préciser de manière absolument rigoureuse à quelle notion de durée du travail on fait référence, car il existe en réalité plusieurs durées du travail. Si l'on parle de la durée du travail en général, on aboutit à des choses qui peuvent être confuses et à des désaccords réels ou supposés.

Il y a d'abord des durées de travail dites collectives, communes à un ensemble de travailleurs. La plus connue est évidemment la durée légale, qui est de 35 heures par semaine depuis 2000. Elle s'applique au travail à temps plein. Comme elle est nationale, elle est par nature collective. Mais elle ne définit pas un temps de travail effectif. C'est une durée de référence, qui déclenche un certain nombre de mécanismes, lesquels ont d'ailleurs évolué dans le temps, ce qui complique un peu l'exercice d'évaluation.

Une autre durée collective de travail qui est souvent évoquée dans les débats est la durée de travail affichée dans chaque établissement, en vertu d'une obligation légale. C'est une durée généralement hebdomadaire, qui concerne les salariés à temps complet de l'établissement. La durée affichée est une durée de référence collective pour l'établissement. La durée effective de travail peut d'ailleurs s'en écarter en plus ou en moins.

L'enquête Acemo, conduite par le ministère du travail, collecte auprès des établissements industriels et commerciaux de dix salariés et plus leur durée affichée. Si l'on fait la moyenne des durées affichées et la moyenne des moyennes hebdomadaires, parce que cette durée peut varier dans l'année, la durée affichée moyenne est de 35,6 heures par semaine pour l'année 2013. Mais ni la durée légale de 35 heures ni la moyenne affichée de 35,6 heures ne donnent la durée effective du travail. Ce sont des références générales. Pour essayer de mesurer la durée effective, il faut observer les durées individuelles de chaque travailleur pendant une période donnée, c'est-à-dire les durées de travail individu par individu.

On cite le plus souvent deux types de durées individuelles, qui sont elles-mêmes très différentes, donc sources d'une éventuelle confusion. La durée dite habituelle et la durée effective. C'est le nombre d'heures de travail d'une semaine normale sans événement particulier, comme les jours fériés, les congés, les jours de RTT, les absences pour maladie, la formation, etc. Malgré l'adjectif d'« habituelle », cette durée peut varier au cours de l'année. À vrai dire, ce concept est un peu flou. Toutefois, il donne une indication sur les habitudes de travail. Comme la durée habituelle ne défalque pas les temps d'absence, elle est évidemment très supérieure à la durée réelle. Cette durée habituelle est mesurée par une enquête directe auprès des salariés. La moyenne des durées habituelles est de 39,2 heures par semaine pour les salariés à temps complet. Si l'on inclut les salariés à temps partiel, cette moyenne s'établit à 36,2 heures par semaine, mais elle est hétérogène puisqu'elle mélange la référence à la durée habituelle d'un salarié à temps plein et qu'elle dépend bien évidemment de la proportion des personnes à temps partiel dans un pays.

On arrive enfin à la durée effective. Celle-ci correspond au temps effectivement consacré au travail durant une période spécifiée. Elle exclut explicitement les heures rémunérées mais non effectuées, comme les congés, les jours fériés payés, les congés de maladie payés, les pauses repas et les heures consacrées au trajet entre le domicile et le lieu de travail. À nos yeux, la durée effective est l'outil le plus pertinent, car c'est la seule qui mesure la quantité de travail effectivement mise en oeuvre. Nous considérons au demeurant que la meilleure mesure porte sur l'année, car elle ne dépend pas des mouvements saisonniers – on prend plus de vacances l'été que l'hiver.

Ces durées annuelles effectives de travail sont, bien sûr, influencées par la durée collective, mais les durées individuelles diffèrent d'un travailleur à l'autre. Aussi faut-il les examiner une par une, si je puis dire. La mesure de ces durées passe nécessairement par la réalisation d'enquêtes directement auprès des personnes. Elles sont déclaratives, comme au demeurant beaucoup d'enquêtes statistiques.

J'en viens donc aux résultats concernant ces deux durées, qui sont parfois citées l'une à la place de l'autre. Pour mesurer la durée effective de travail dans les pays européens, la source statistique est l'enquête annuelle sur les forces de travail pilotée par Eurostat et mise en place depuis plusieurs décennies auprès des personnes employées dans tous les pays de l'Union européenne, afin de calculer l'emploi et la durée du travail de façon aussi homogène que possible, ce qui n'exclut pas des problèmes de comparabilité statistique. Pour la France, cette enquête est réalisée par l'INSEE et porte le nom d'« enquête Emploi ». C'est l'un des piliers de notre système de statistique économique et sociale en France.

Selon les résultats de la dernière enquête qui nous ont été communiqués par Eurostat qui centralise tous les pays mais qui pour la France restitue l'enquête emploi de l'INSEE, la durée annuelle effective moyenne de temps de travail des salariés à temps complet était en France de 1 661 heures en 2013. Pour mémoire, la durée légale annuelle est de 1 607 heures depuis l'instauration du jour de solidarité. L'écart entre les deux est relativement modeste.

Selon la même enquête, en 2013 la durée moyenne de travail effectif des travailleurs salariés à temps partiel, sous-partie de la population des travailleurs, était en France de 993 heures, ce qui représente 60 % de la durée annuelle effective des salariés à temps plein.

On peut aussi calculer la durée effective moyenne de travail pour l'ensemble des salariés, c'est-à-dire ceux qui sont à temps complet et à temps partiel. Bien évidemment, le chiffre est plus faible. Il est de 1 536 heures en France, toujours pour 2013. Comme je l'ai indiqué, cette moyenne d'ensemble dépend à la fois des durées moyennes de chacune des deux catégories et de la proportion des salariés à temps partiel dans le total qui n'est pas très élevée en France. Pour mémoire, on notera enfin que la durée annuelle effective de travail des travailleurs indépendants à plein temps était de 2 372 heures, c'est-à-dire très supérieure à la moyenne des salariés.

La même enquête permet de suivre l'évolution de la durée annuelle effective de travail d'année en année puisque l'enquête est assez ancienne. Cependant, la méthode de collecte des données a été modifiée en 2003, de sorte qu'il y a une césure dans la chronique des années successives. On pourrait abandonner toute comparaison mais ce serait un peu fâcheux, d'autant que l'on dispose de résultats issus des deux méthodes de collecte pour les années 2003 et 2004. Les instituts de statistique ont voulu voir quel était le décalage introduit par le changement de méthode de 2003 et 2004. La césure entre les deux méthodes est de l'ordre de 5 % pour les salariés à temps complet et de 3 % pour les salariés à temps partiel. On peut néanmoins « rétropoler » la série actuelle, en tenant compte de cette césure. On aboutit ainsi à une durée plus basse, puisqu'elle est mesurée en moyenne sur l'ensemble de l'année alors qu'elle l'était auparavant sur le mois de mars, mois durant lequel il y a relativement peu de congés.

Si l'on tient compte de cette correction, c'est-à-dire de l'écart observé en 2003 et 2004, on aboutit à une baisse de la durée du travail de l'ordre de 10 % en France pour les travailleurs à temps plein entre 1999 et 2004-2005. Il s'avère aussi que la baisse de la durée du travail a été concentrée en France sur les salariés à temps complet, la durée du travail des autres catégories ayant peu bougé après les 35 heures. Selon l'enquête Emploi de l'INSEE, et sous réserve de l'incertitude liée au changement de méthode statistique parce que la césure n'est peut-être pas suffisamment stable dans le temps, on peut dire que les lois de 2000 ont atteint l'objectif de diminuer la durée effective de travail en France, au moins pour les salariés à temps complet.

Le graphique de la page 1 du document montre l'évolution des différentes notions de durée du travail que je vous ai mentionnées. Vous le voyez, il y a un certain parallélisme entre les différentes sources, mais il n'est pas absolu. Si vous regardez la courbe de durée habituelle individuelle, vous voyez qu'il y a une césure. La courbe de durée affichée et celle de durée effective individuelle moyenne sont assez parallèles, même si elles connaissent des mouvements plutôt bizarroïdes. Deux sources indépendantes, l'une venant des salariés et l'autre des établissements, montrent toutes les deux que la loi sur les 35 heures a bien atteint son objectif de réduction de la durée du travail effective en France.

L'enquête permet aussi de connaître des durées effectives moyennes par secteur d'activité. Cette durée est la plus élevée dans l'agriculture et les services marchands, elle est proche de la moyenne dans l'industrie et la construction et elle est sensiblement plus faible que la moyenne dans les services non marchands. Cela comprend le secteur public, mais pas seulement. Ces résultats s'expliquent largement par les écarts de durée des congés, RTT incluses mais hors congés de maladie. D'après l'enquête Emploi de l'INSEE, ces écarts seraient de l'ordre de cinq semaines dans les PME, six semaines dans les autres entreprises privées et près de huit semaines dans la fonction publique. Selon certaines observations directes de terrain, on atteindrait même plus de dix semaines d'absence pour congés, y compris RTT et divers, dans certaines entités publiques et privées, en raison de l'addition des RTT, des récupérations, des jours accordés en plus, etc. Il faut donc bien avoir à l'esprit qu'il existe des écarts de situation considérables entre les salariés, en partie dus au développement des RTT.

L'évaluation de l'impact économique, c'est-à-dire de celui de la baisse de la durée du travail sur l'économie, est vraiment complexe et, bien entendu, controversée. Comme souvent en économie, des mécanismes qui paraissent à première vue des évidences du point de vue microéconomique peuvent s'avérer différents à l'échelle macroéconomique, pour la simple raison que, lorsque l'on soumet le système économique à un choc, à une décision un peu exogène par rapport au système, c'est l'ensemble du système économique qui se modifie au travers des réactions successives des différents acteurs, et il est difficile de suivre le cheminement de l'effet du choc sur le résultat final. Keynes, par exemple, avait montré que si tous les individus d'un pays voulaient épargner davantage en augmentant leur taux d'épargne, l'épargne nationale pouvait baisser néanmoins, le système réagissant par un taux d'activité plus bas.

Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple. La baisse de la durée du travail à l'hôpital a certainement imposé la création de postes de travail supplémentaires, peut-être même insuffisamment par rapport aux activités à assurer. Mais ces créations de postes ne font pas pour autant des créations d'emplois au niveau national. En effet, les emplois nouveaux à l'hôpital ont dû être financés d'une manière ou d'une autre, probablement par des cotisations supplémentaires qui elles-mêmes ont pesé sur l'emploi dans d'autres secteurs. On ne peut donc pas assimiler une création locale à une création nationale. Mais cela n'empêche pas l'intérêt des créations locales.

Plusieurs études, souvent un peu anciennes, ont tenté d'apprécier l'impact des lois de 2000 sur l'emploi en France. À mes yeux, ces travaux s'avèrent assez peu conclusifs pour plusieurs raisons. D'abord, quel est le choc exact dont on cherche à mesurer les effets ? Faut-il ou non prendre en compte les baisses de charges, et lesquelles ? Faut-il prendre en compte les différentes lois qui ont suivi les lois de 2000, par exemple la loi Fillon qui a réunifié les sept niveaux de rémunération minimale ? Il y a derrière tout cela un mécanisme. Faut-il le prendre en compte ? Je ne le sais pas.

Pour mesurer l'impact des 35 heures, il faudrait les comparer avec ce qu'aurait été l'économie française s'ils n'avaient pas été mis en place. Objectivement, personne ne peut le dire.

Par ailleurs, de nombreux autres facteurs que les lois de 2000 ont pu jouer – par exemple la conjoncture internationale – de sorte que l'impact éventuel est noyé dans l'ensemble.

Une manière de procéder qui, je vous l'accorde, est grossière, consiste tout simplement à regarder l'évolution du taux d'emploi et du taux de chômage en France et dans les autres pays au début des années 2000. La baisse de la durée du travail par la loi étant une exception française en 2000, on devrait remarquer quelque part un écart entre la France et les autres pays autour de cette période. Vous trouverez, page 4, l'évolution du taux de chômage des 15-64 ans entre 1996 et 2005 en France et en zone euro, et, page 5, l'évolution du taux d'emploi des 15-64 ans entre 1996 et 2005 en France et en zone euro. À vrai dire, en analysant ces deux graphiques, on a du mal à observer une différence significative entre la France et les autres pays. En 2000-2001, le taux de chômage a baissé davantage en France que dans les autres pays, ce qui pourrait être imputé aux 35 heures. Par contre, le taux d'emploi, qui mesure la déformation de l'économie au bénéfice de l'emploi par rapport au non-emploi, évolue sur la période 1998-2002 pratiquement de la même façon en France et dans les autres pays. En tout cas, il n'y a aucun effet significatif que l'on pourrait imputer aux 35 heures.

La raison est, à nos yeux, que la baisse de la durée du travail telle qu'elle a été mise en oeuvre, si elle a pu avoir, à certains moments, des effets positifs sur l'emploi et dans certains secteurs, a eu également des effets négatifs qui ont pu compenser, voire peut-être l'emporter sur les premiers. Ces effets négatifs proviennent, pour l'essentiel, de la perte de compétitivité de notre économie et de la désindustrialisation qui en a résulté ; nous n'avons aucun doute sur ce point. Au cours des quinze dernières années, la part des exportations françaises dans le total des exportations de marchandises ou de biens et services des pays de la zone euro a reculé fortement. Pour les exportations de marchandises, le recul est de 4 %, passant de 16,9 % en 1998 à 12,5 % en 2013. 4 %, cela ne paraît pas beaucoup, mais c'est 4 % du total des exportations de marchandises européennes, soit un chiffre tout à fait considérable. La perte de part de marché en biens et services, c'est-à-dire l'écart entre ce qu'auraient été nos exportations de biens et services en 2013 si nous avions maintenu nos parts de marché dans la zone euro au niveau de 1999, comme l'ont fait l'Allemagne et la plupart des pays européens à l'exception de l'Italie, représente aujourd'hui 150 milliards d'euros, et la perte cumulée – étant donné que cette divergence s'est accrue au fil des années – s'élève à 1 300 milliards d'euros. À quelques exceptions près, les pertes de parts de marché de la production française ne tiennent pas à un seul secteur ou à une mauvaise implantation de nos entreprises : elles coïncident clairement avec la période des 35 heures, ce qui indique qu'elles sont dues à un environnement global devenu moins favorable pour la compétitivité des entreprises.

Les pages 2 et 3 montrent que c'est la France qui a connu la plus forte perte de part de marché de toute la zone euro sur la période, et que cela coïncide avec la baisse de la durée du travail.

À vrai dire, les effets sur la compétitivité étaient largement prévisibles. Ils ont d'ailleurs été explicitement décrits dès 1997 dans le premier rapport du Conseil d'analyse économique créé à l'époque par M. Lionel Jospin et publié à La Documentation française. J'en cite un court extrait : « Une réduction de la durée du travail de 39 à 35 heures payées 39 représente potentiellement un choc de coût du travail ex ante de 11,4 %. » C'est un choc supérieur à celui du début des années quatre-vingt. Ces chocs avaient été à l'époque suivis d'une perte de compétitivité, d'une augmentation massive du chômage et d'un recul industriel sans précédent de compétitivité et d'un recul industriel très important. » J'ajoute qu'ils avaient entraîné trois dévaluations monétaires et qu'il avait fallu bloquer les salaires. On a retrouvé ce même mécanisme économique facilement identifiable.

Un autre aspect que je souhaite mentionner concerne le fonctionnement de notre marché du travail. En contraignant vers le bas la durée du travail, les lois de 2000 ont un peu vidé de son contenu le débat dans l'entreprise, pourtant nécessaire, entre les trois variables clés du compte d'exploitation si je puis dire, c'est-à-dire la durée du travail, le salaire et l'emploi. Ces trois paramètres ne pouvaient plus trop être mis en cause puisque l'un d'entre eux était bloqué vers le bas par la durée du travail.

Plusieurs travaux récents de l'INSEE et de la DARES montrent que notre marché du travail tend à devenir dual avec une large majorité de CDI – 87 % – relativement stables, et c'est heureux, mais à côté une rotation accélérée des personnels en CDD, contrats qui tendent à raccourcir et qui concernent souvent des femmes. À nos yeux, la baisse de la durée du travail de 2000 a plutôt accentué cette dualité du marché du travail, comme on l'a vu d'ailleurs pour la durée des congés qui sont bien plus importants dans des secteurs où les entreprises sont stables, mondialisées, et dans le secteur administratif, mais beaucoup plus faibles dans les PME ou les entreprises davantage confrontées à des difficultés quotidiennes. Un marché du travail dual, c'est un marché qui ne permet pas d'insérer facilement les nouveaux travailleurs dans l'emploi ni les adaptations nécessaires aux nouvelles technologies, à l'avancée, etc. C'est donc un facteur de rigidité de l'économie dans son ensemble, et de faible croissance.

En résumé, les conséquences économiques de la baisse de la durée du travail telle qu'elle a été conduite sont peu visibles sur l'emploi. Elles ont plutôt accentué les rigidités du marché du travail et elles sont très visibles et défavorables sur la compétitivité qui constitue aujourd'hui le principal défi économique des différents gouvernements, de droite comme de gauche.

Je terminerai mon propos par une réflexion plus personnelle. Les lois de 2000 ont imposé une baisse de la durée du travail sans baisse du salaire mensuel, et elles ont visé à mettre en oeuvre un partage du travail sans partage des revenus. Or c'est économiquement impossible. La macroéconomie s'est donc adaptée par une perte de compétitivité et la désindustrialisation.

Ces analyses ne condamnent pas pour autant, à mes yeux, la diminution de la durée du travail en tant que telle. La diminution de la durée du travail est une tendance séculaire mais qui se fait spontanément dans l'équilibre de la macroéconomie. C'est l'une des affectations possibles des gains de productivité. Vouloir davantage de production ou un peu moins de production et moins de travail est parfaitement loisible. L'économiste Jean Fourastié avait beaucoup travaillé sur ce sujet dans les années 1960-1970. Il se trouve que je lui ai directement succédé à la chaire d'économie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et, d'une certaine manière, recueilli un peu son héritage. C'est en 1965 qu'il a écrit Les 40 000 heures. 40 000 heures, c'est 30 heures par semaine, multipliées par 40 semaines dans l'année, multipliées par 35 ans d'activité dans la vie. C'était ce qu'il pensait être l'avenir de l'organisation du travail. Mais, à l'époque, la productivité globale de l'économie augmentait de 4,5 % par an : nous étions dans les « Trente Glorieuses ». En prolongeant les tendances, on pouvait effectivement arriver à 40 000 heures sans trop renoncer à des gains de pouvoir d'achat. Beaucoup de choses ont changé depuis : les gains de productivité globale ont été divisés par quatre, peut-être même plus, et les économies sont beaucoup plus interdépendantes qu'elles ne l'étaient à l'époque. Il n'y a donc peut-être pas lieu d'abandonner Le grand espoir du XXe siècle, l'autre grand ouvrage de Jean Fourastié, ni peut-être même l'idée des 40 000 heures, mais il faut reconnaître que la question du temps de travail se pose aujourd'hui dans un contexte très différent et que les arbitrages sont beaucoup plus contraints.

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