Si j'étais en situation de préconiser des mesures de nature à faire baisser le chômage, je pourrais m'abstenir de répondre à toutes les autres questions ; nous aurions réglé le problème… (Sourires.)
Je commencerai par répondre aux questions factuelles.
Tout d'abord, nous pouvons vous fournir les statistiques, qui sont d'ailleurs produites par l'INSEE, que m'a demandées Mme Le Callennec. À ce propos, je partage son analyse : la rigidité du marché du travail nuit aux arrivants et aux plus faibles, c'est-à-dire les jeunes, les seniors et ceux qui sont le moins formés.
Sur les situations respectives de l'Italie et de la France, on s'aperçoit, à la lecture des tableaux que je vous ai fournis, que ce sont les deux seuls pays qui ont vu diminuer leurs parts de marché dans les exportations de marchandises de la zone euro : celles des autres pays, surtout celles de l'Allemagne, ont augmenté. Bien entendu, la réduction du temps de travail n'est pas à elle seule responsable de cette évolution. En Italie, par exemple, les salaires ont connu une augmentation assez importante pour des raisons liées au mécanisme de formation des salaires. J'observe que, sur de nombreux points – déficits, dette publique, parts de marché à l'exportation, niveau de la dépense publique et des prélèvements obligatoires – la France et l'Italie sont plutôt moins bien classées que les autres pays européens, y compris l'Espagne.
En ce qui concerne la balance commerciale, elle était en effet en équilibre au début des années 2000, mais elle s'est détériorée ensuite, assez fortement et régulièrement. Il s'agit, selon moi, d'une conséquence de la perte de compétitivité. Du côté des importations, le prix du pétrole est le même pour tout le monde. En revanche, nous ne parvenons pas à récupérer par les exportations ce que nous perdons du côté des importations. Si la balance commerciale était restée stable, on pourrait s'interroger sur le lien avec le choc de coût, mais le fait qu'elle se soit détériorée au moment où est intervenue la réduction du temps de travail plaide plutôt en faveur d'un lien entre les deux phénomènes.
J'en viens aux questions plus fondamentales. Qu'en est-il, tout d'abord, du lien entre la création de l'euro et la perte de compétitivité de nos entreprises ? En France, plusieurs phénomènes ont interféré au début des années 2000 : la création de l'euro – qui représente une contrainte nouvelle, puisqu'elle empêche la France de dévaluer seule – ; le choc de coût représenté par la réduction du temps de travail, car le maintien du salaire mensuel a produit une augmentation mécanique de 11,4 % du coût horaire, même si cette augmentation peut être plus ou moins compensée par une amélioration de la compétitivité ; enfin, les mesures prises par M. Schröder en Allemagne, qui ont libéré la durée du travail en la rendant plus flexible, imposé la modération salariale et flexibilisé le marché du travail. La France et l'Allemagne ont donc mené des politiques allant dans des sens opposés, tout en adoptant une monnaie commune. C'est un point fondamental qui explique pourquoi nous avons, encore aujourd'hui, des difficultés à converger avec l'Allemagne. Peut-être même s'agit-il du problème principal de l'avenir de l'euro.
Par ailleurs, la mise en oeuvre des 35 heures a en effet provoqué de nombreuses négociations sociales, et pour cause : on n'avait pas le choix. C'était « sauve qui peut » ! Je vous rappelle au passage que PSA est la première entreprise à avoir mené des négociations sociales sur les 35 heures ; or, elle n'était pas en très bonne forme ces dernières années. Si des négociations sociales ont bien eu lieu, elles ne pouvaient porter sur la durée du travail. Au cours de la crise de 2008-2009, par exemple, beaucoup d'accords conclus en Allemagne ont joué sur les trois paramètres – salaires, emploi et durée du travail – alors qu'en France ce n'était pas possible : l'ajustement ne pouvait se faire que sur l'emploi. Certes, des accords d'entreprise sont encore conclus aujourd'hui – je pense aux accords compétitivité-emploi pour les entreprises en difficulté –, mais ce n'est pas important à l'échelle de l'économie française. Voilà un blocage ! C'est du reste un des éléments de réponse à la dernière question du président Benoit.
Pourquoi des mesures prises au niveau local ne se traduisent-elles pas au plan national ? Reprenons l'exemple de l'hôpital. Si l'on crée des emplois, il faut les financer. Or, on paie les personnes que l'on embauche en prélevant ailleurs dans l'économie l'argent nécessaire. On opère donc un transfert de valeur – d'impôts, de cotisations – d'un agent vers un autre agent, en l'espèce un agent hospitalier. Je ne juge pas ce choix, peut-être utile, mais, du point de vue économique, c'est un transfert : on supprime d'un côté ce qu'on a créé de l'autre. Ces créations d'emploi n'ont donc pas d'impact au niveau global. Certains estiment même qu'elles ont un impact négatif puisqu'on supprime des emplois productifs pour créer des emplois administratifs – mais je ne vais pas jusque-là. Quoi qu'il en soit, cet effet de substitution explique que ce qui se passe au niveau local ne se traduise pas au niveau global.
Vous avez ensuite évoqué la distinction entre compétitivité coût et compétitivité hors coût. Il est évident que la France rencontre des problèmes de compétitivité hors coût : nos gammes de produits ne sont pas adaptées à la demande mondiale. Mais la différence de spécialisation industrielle de la France et de l'Allemagne n'est pas apparue dans les années 2000 : elle date du XIXe siècle. Du reste, sur la longue période, la part de marché de la France en zone euro ne baisse pas ; elle s'est même rapprochée de celle de l'Allemagne dans les années 1990, au moment de la réunification. Sa diminution est un phénomène nouveau. C'est pourquoi j'estime qu'elle est liée au choc de coût que nous avons vécu au début des années 2000. Cet élément n'est pas le seul, mais il a provoqué un déséquilibre du système productif sur le territoire français qui s'est assez largement reporté sur l'industrie, secteur le plus exposé. Celle-ci a été touchée à la fois directement, par la hausse du coût de production, et indirectement, par la hausse du coût en amont, dans le secteur des services. D'où une accentuation du déséquilibre de compétitivité hors coût : la recherche-développement des entreprises françaises s'éloigne de celle des entreprises allemandes. Il s'agit donc d'un processus auto-cumulatif.
Le gouvernement actuel considère, à juste raison, qu'il faut enrayer la dégradation de la compétitivité de nos entreprises. Pour ce faire, il a choisi de favoriser un peu la compétitivité hors coût en encourageant la recherche-développement – mais il faut des décennies pour l'améliorer. C'est surtout la compétitivité coût qui peut s'améliorer rapidement. J'espère que cette politique sera efficace, mais les mesures que l'on peut prendre au plan budgétaire sont très limitées au regard des problèmes qui se posent. Ce sera donc très long, de toute façon.
S'agissant des préconisations, on voit bien les mesures qu'il faudrait prendre : premièrement, retrouver de la compétitivité coût pour enrayer le cercle vicieux que je viens de décrire ; deuxièmement, flexibiliser, si possible sans pénaliser qui que ce soit, le marché du travail, de manière à sortir de ce marché dual qui bloque le système économique, avec, d'un côté, des personnes bien payées bénéficiant de onze semaines de vacances, et de l'autre, des personnes exclues de l'emploi ; troisièmement, réintégrer la durée du travail dans la négociation sociale au niveau de l'entreprise. Il faut permettre à certaines entreprises de repasser, avec peut-être l'accord de tous les salariés d'ailleurs, à 39 heures payées 35, pour regagner des parts de marché et éventuellement embaucher. L'homogénéité est un obstacle à la flexibilité. Si l'ensemble de ces conditions sont réunies, peut-être assisterons-nous au retour du plein emploi mais, sur ce point, je ne peux évidemment pas m'engager…