Pourquoi le partage du temps de travail peut-il être un moyen de réduire le taux de chômage ? Pourquoi, en la matière, ne faut-il pas procéder comme par le passé ?
La réduction du chômage passe par une augmentation de la quantité d'emploi qui peut avoir trois origines : une croissance supérieure aux gains de productivité ; la transformation de tâches effectuées gratuitement en emplois réels ; le partage du travail.
La croissance n'est pas au rendez-vous et, même si elle revient, elle ne sera probablement pas supérieure à des gains de productivité estimés à 1 % ou 2 % par an. Autrement dit, il faudrait que la croissance soit supérieure à 3 % par an pour qu'elle permette de résorber le chômage. J'y crois d'autant moins que nous sommes confrontés à des contraintes externes comme la nécessité de réduire nos émissions de CO2 et que, étant dans une économie ouverte, nous continuerons à faire des gains de productivité. Espérer avoir un taux de croissance supérieur à nos gains de productivité me semble quelque peu illusoire.
Deuxième piste : transformer en emplois des travaux qui ne sont actuellement pas rémunérés. C'est la voie empruntée par l'Allemagne avec les « mini-jobs » faiblement rémunérés. Cette solution, qui passe par une forte baisse du coût du travail, produit de la précarité, un effet pervers auquel l'Allemagne tente de remédier par l'instauration d'un salaire minimum. Augmenter le volume d'emplois ne revient pas forcément à créer de la richesse.
La troisième voie consiste à partager le travail, sans reprendre les méthodes du passé qui ont produit des effets pervers et qui seraient difficiles à imposer dans le climat de consensus qui règne actuellement dans les entreprises. S'il ne s'agit pas d'imposer une baisse uniforme de la durée légale du travail dans toutes les entreprises, quelle forme ce partage peut-il prendre ? Les congés de formation apportent une réponse : ils contribuent à améliorer la qualité du travail tout en libérant des postes. Au Danemark, les salariés en formation de longue durée sont provisoirement remplacés par des chômeurs qui, de ce fait, acquièrent une qualification. Le congé parental ou sabbatique peut aussi participer à cette sorte de rotation des emplois. De plus, ces divers congés peuvent être ces moments de respiration tant souhaités.
Entreprise un peu atypique, Syndex est une coopérative où les salariés sont très impliqués et très demandeurs d'autonomie. Nous avons élaboré un accord-cadre, mais chaque consultant conserve une grande latitude pour organiser son travail : il peut gérer ses congés par le biais du compte épargne-temps et avoir une grande autonomie grâce à l'usage des outils connectés. À lui de décider s'il veut travailler au bureau, chez lui, chez le client, dans sa maison de campagne, etc. Les salariés manifestent la ferme volonté de s'impliquer dans le projet de l'entreprise et de participer à la construction de leur temps de travail dont dépend l'équilibre entre leurs vies professionnelle et familiale. Dans les entreprises où nous intervenons, nous constatons la même volonté des salariés de s'impliquer dans ces débats, ce qui peut être plus ou moins bien perçu.
Seconde observation, les salariés expriment le souhait de partir le plus tôt possible. Dans tous les plans de sauvegarde de l'emploi que nous accompagnons, les représentants des salariés sont fortement incités à négocier des mécanismes de départ anticipé. Cette demande renvoie aux questions posées par l'intensification du travail et la pénibilité. Les départs anticipés occasionnent une perte de compétences pour l'entreprise. Il faut sans doute réfléchir à la transmission des compétences et à l'allègement de la présence dans les entreprises dans les dernières années de la vie professionnelle.
Pour répondre à M. Gorges sur la négociation par entreprise, je rejoins les propos de M. Ferracci sur l'asymétrie des forces. De surcroît, il n'existe pas dans toutes les entreprises des partenaires sociaux en capacité de négocier. La loi Aubry a néanmoins eu pour effet positif d'installer des délégués syndicaux dans des entreprises qui en étaient dépourvues, parce que les employeurs avaient besoin d'un interlocuteur pour négocier.
Pour prendre en compte la volonté individuelle que les salariés revendiquent, il faut peut-être imaginer des cadres, au-delà des accords d'entreprise, qui permettent plus de temps choisi, sur la semaine, l'année, ou la totalité de la vie professionnelle.
Cette évolution est probablement aussi générationnelle. La génération qui arrive sur le marché du travail s'est vue répéter que l'emploi à vie dans une même entreprise appartenait au passé. Les jeunes sont moins attachés à leur entreprise car ils sont conscients du caractère temporaire de leur emploi. En revanche, ils tiennent à se former et à progresser. Ils souhaitent malgré tout s'intégrer et s'impliquer dans la vie de l'entreprise.