Intervention de Pierre Larrouturou

Réunion du 9 octobre 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Pierre Larrouturou, coprésident du mouvement Nouvelle Donne :

Je suis ému d'être reçu à l'Assemblée nationale et de jurer de dire la vérité, ce qui, en matière économique s'avère délicat. Qui peut dire qu'il détient la vérité ? En 2005, j'expliquais que nous nous dirigions vers une crise financière majeure et mon contradicteur, M. Dominique Strauss-Kahn, m'expliquait avec certitude que le risque de choc aux États-Unis était nul. On ne peut donc jamais être sûr de connaître toute la vérité.

Nous ne poursuivons pas les mêmes objectifs, mais je vous remercie de relancer le débat sur le temps de travail qui porte sur une question fondamentale pour sortir de la crise. La première fois que je suis venu à l'Assemblée nationale, il y a 25 ans, j'ai répondu à l'invitation de l'un de vos collègues de l'UDF, M. Gilles de Robien, qui auditionnait un grand patron de l'époque, M. Antoine Riboud, fondateur de Danone, qui avait affirmé qu'il convenait de passer à la semaine de quatre jours sans étape intermédiaire pour que la mesure soit efficace en termes de partage de l'emploi. M. Gilles de Robien, pourtant hostile à la RTT – il avait d'ailleurs contraint les salariés de la mairie d'Amiens, par l'emploi de la force publique, à travailler 40 heures par semaine au lieu de 35 –, avait accepté que l'on débatte de cette question pendant trois mois, entre autre parce que son fils se trouvait au chômage. M. Raymond Barre nous avait aidés à élaborer la loi de Robien qui a permis d'expérimenter la RTT.

Je vous remercie de recevoir vingt-cinq ans après le mouvement Nouvelle Donne dont le discours diverge de celui de l'UDI, de l'UMP et même du PS. Au moment du débat sur les 35 heures, j'avais écrit un livre avec M. Michel Rocard qui s'intitulait 35 heures, le double piège et dans lequel nous défendions une réduction du temps de travail adoptant une méthode et un contenu différents, mais il fut difficile de nous faire entendre au milieu de l'affrontement entre le gouvernement et le MEDEF.

En France, il y a aujourd'hui 5 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres. Il faut simplifier la vie des chefs d'entreprise – le code du travail a doublé de volume depuis 20 ans sans que les salariés se sentent mieux protégés –, mais on ne peut pas se contenter d'appréhender la question du temps de travail à travers le prisme des entreprises.

Depuis cinq ans, le nombre de chômeurs a crû de 1,2 million. En outre, lorsque l'on annonce une hausse de 18 000 chômeurs en un mois, on ne parle que de l'effet net apparent sur le « stock » ; or plus de 500 000 personnes s'inscrivent chaque mois à Pôle emploi. Certes, 482 000 personnes quittent les fichiers de Pôle emploi, mais seuls 49 % d'entre eux ont retrouvé un travail selon le ministère du travail ; ainsi, chaque mois, près de 250 000 citoyens quittent Pôle emploi sans avoir trouvé un emploi. Certains ont trouvé un stage, d'autres rencontrent des problèmes administratifs pour se réinscrire, mais de 80 000 à 100 000 tombent un cran plus bas dans la pauvreté. Le climat social est très bon dans certaines entreprises, mais ce pays crée, quelle que soit la majorité politique, 20 000 chômeurs par mois, auxquels viennent s'ajouter de 60 000 à 80 000 qui n'entrent plus dans les statistiques du chômage et qui tombent dans la pauvreté. Il s'agit d'un drame humain qui touche 100 000 nouvelles familles chaque mois. Du point de vue économique, ces gens ne consommeront pas plus, ce qui engendre un cercle vicieux – ainsi, comment reprocher aux patrons de PME de n'embaucher que des contrats à durée déterminée (CDD) quand il s'avère impossible de prévoir le chiffre d'affaires à six mois ? Comment sortir de cette spirale ? Certainement pas en multipliant les demi-mesures déployées depuis vingt ans.

Nous avons tendance à idéaliser les autres pays : l'Allemagne tombe actuellement en récession, alors qu'on nous la présentait comme un modèle il y a six mois et comme l'homme malade de l'Europe il y a dix ans. Il serait sans doute utile de créer une commission d'enquête sur ce qui fonctionne et ce qui échoue à l'étranger. Nous devrions nous inspirer de l'Allemagne pour la formation des salariés, le financement des PME, le développement des capacités industrielles d'exportation, mais les « petits boulots » sont tellement répandus dans ce pays que, sans compter les chômeurs, la durée réelle moyenne de travail est tombée à 30 heures hebdomadaire. On ne connaît ce chiffre que depuis peu, car le Bureau international du travail (BIT) a obligé l'Allemagne à intégrer dans ses statistiques les emplois ne dépassant pas 10 heures hebdomadaires. Or le plein-emploi allemand s'explique par la prolifération de ce type d'emplois, qui explique la faiblesse de la consommation et donc la spirale déflationniste actuelle.

Derrière ces chiffres, le chômage et la précarité abîment des vies. Je suis écoeuré de constater le nombre de gens qui doivent fouiller aujourd'hui les poubelles pour se nourrir à Paris. Le temps de travail ne constitue pas le seul levier pour combattre le chômage, mais il faut prendre la mesure de la crise sociale – et politique que celui-ci génère.

Nous refusons cette injustice et souhaitons donner une traduction au droit au bonheur, même si la Constitution ne le reconnaît pas.

La question du temps de travail est fondamentale, car nous ne croyons plus au projet reposant sur l'attente de la croissance et permettant d'inventer un nouveau modèle. Nouvelle Donne se bat pour que l'on ouvre les yeux : la croissance diminue depuis 50 ans. L'an dernier, la croissance allemande était nulle et l'on parle aujourd'hui d'un ralentissement. Nous devons faire notre deuil d'une prospérité et d'un plein-emploi tirés par la croissance, pour inventer un nouveau modèle qui permette d'atteindre ces objectifs sans croissance forte.

Il y a 25 ans, on expliquait aux étudiants à Sciences Po que le Japon allait dominer l'économie mondiale ; cette prédiction se fondait sur une bulle qui, une fois éclatée, a laissé le Japon à un taux de croissance moyen annuel de 0,7 % au cours des deux dernières décennies. Les gouvernements japonais ont pourtant tout mis en oeuvre pour retrouver une croissance robuste : plans de relance colossaux – créant un déficit de plus de 6 % du PIB en moyenne depuis 20 ans et une dette de 250 % du PIB qui a conduit le patron de la banque centrale à démissionner l'année dernière ; politique industrielle ambitieuse qui se traduit par le nombre le plus élevés de brevets déposés parmi les pays de la triade – composée de l'Amérique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et de l'Asie-Pacifique – et par la meilleure interface entre la recherche et les PME ; politique monétaire agressive, reposant sur des taux d'intérêt nuls pour favoriser l'investissement et les exportations, qui a conduit la monnaie japonaise à une baisse de son taux de change de 31 % depuis ans. Malgré cela, la croissance ne dépasse pas 0,7 %, ce taux étant amené à diminuer encore puisque l'Europe et les États-Unis consomment moins et donc importent moins, notamment de produits japonais.

Au vu de la gravité de la situation, la droite et la gauche doivent accepter de débattre de cette situation ; le journal Les Échos nous enjoignait récemment d'ouvrir les yeux sur la croissance zéro. Le discours optimiste sur le retour de la croissance nous empêche d'affronter la crise et d'en sortir. En jouant sur le temps de travail, mais également sur les politiques du logement, des économies d'énergie, du financement des PME, de la fiscalité et de l'agriculture, Nouvelle Donne pense que l'on peut créer plus de 2 millions d'emplois même sans retour de la croissance. Il n'y a pas de baguette magique, mais il faut agir dans l'ensemble de ces domaines. Ces 2 millions d'emplois permettront de relancer l'activité.

La plupart des économistes non seulement ne croient plus à un retour de la croissance, mais redoutent l'éclatement d'une nouvelle crise financière. La dette totale – publique et privée – se trouve dans un état bien plus dégradé qu'au moment de la crise de 1929. Avant de quitter la présidence de la banque centrale américaine, M. Ben Bernanke affirmait qu'il ne savait plus quoi faire pour relancer l'économie après avoir injecté 1 000 milliards de dollars en un an pour financer les bons du Trésor américains. Il expliquait également que les chiffres du chômage et de la croissance donnaient une fausse image de la réalité, le bon indicateur étant le taux d'activité. Or 300 000 à 400 000 Américains sortent des statistiques du chômage chaque mois, parce qu'ils sont découragés. Il y a un an, le taux d'activité était tombé à 63,2 % aux États-Unis ; il est maintenant de 62,8 %.

Beaucoup d'économistes pensent que le meilleur scénario possible pour l'Europe serait de se trouver dans la même situation que le Japon, mais la perspective d'une grande crise se rapproche : la bulle immobilière chinoise atteint 23 % du PIB, alors qu'elle ne dépassait pas 14 % du PIB avant d'éclater en Espagne. Les marchés financiers nourrissent donc aujourd'hui de grandes inquiétudes et pensent que l'activité est en train de reculer en Chine.

Les prévisions de croissance contenues dans les programmes de MM. François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Bayrou étaient les mêmes à 0,1 point près. Ce retour de la croissance constamment invoqué n'est pas sérieux ! Une nouvelle crise serait plus grave qu'en 2008 car les instruments utilisés alors pour la conjurer s'avéreraient moins efficaces. Il est urgent de renforcer la cohésion de notre pays et de lutter contre le chômage, afin que la prochaine crise ne disloque pas notre société.

J'avais été frappé par le fait que, lorsque, le 5 juillet 2012, j'avais rencontré M. Emmanuel Macron à l'Élysée, celui-ci souhaitait que l'on se revoie, le pouvoir n'ayant à ce moment-là pas de doctrine économique.

La courbe de la dette totale des États-Unis depuis 1950 fait apparaître une rupture et un début d'explosion à l'arrivée de M. Ronald Reagan à la Maison-Blanche ; avant 1980, il n'y avait donc pas de dette, mais de la croissance. Le New Deal mis en place par M. Franklin Roosevelt et le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) en France – élaboré par des gens de droite et de gauche – ont réussi car leurs promoteurs savaient que l'équilibre social était indispensable ; cela a permis de bénéficier d'une période de 30 ans de croissance – même si tout n'était pas parfait et que des problèmes de gaspillage et de pollution commençaient déjà à apparaître. La crise de la dette résulte des politiques de dérégulation. M. Henry Ford, pourtant pas un homme de gauche, défendait l'établissement de règles sociales car sans elles, tous les patrons préféreraient bloquer les salaires, ce qui les priverait de clients. Or si seule une entreprise augmente les salaires, elle se condamne à disparaître. L'arrivée au pouvoir des libéraux, notamment Mme Margaret Thatcher et M. Ronald Reagan, a entraîné la dislocation des règles collectives au profit de la liberté, mais celle-ci n'existe pas quand le chômage est élevé, car le salarié ne peut pas négocier son salaire et le patron de PME ne peut pas augmenter les revenus de ses employés quand ses concurrents ne le font pas. Au total, 150 % du PIB en 30 ans sont partis vers les marchés financiers au lieu de nourrir les salaires et donc les caisses de la sécurité sociale, de la retraite et de l'État ; ce chiffre provient de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). On ne peut donc pas parler de dette publique sans évoquer celle contractée, en sens contraire en contrepartie, par les marchés financiers auprès des peuples.

Dans ce contexte, M. Patrick Artus explique que les salariés acceptent beaucoup de reculs pour eux par peur du chômage. Dans une situation de plein-emploi, la dérégulation emporte des conséquences moins graves, car la liberté du salarié s'avère bien supérieure. Mais depuis 40 ans, le chômage et la précarité augmentent dans nos pays. M. Daniel Cohen estime que les délocalisations expliquent de 10 à 15 % des pertes d'emploi, le reste résultant des gains de productivité mal gérés. M. Robert Reich, ancien secrétaire au travail de M. Bill Clinton, estime qu'il convient d'opérer un autre partage des gains de productivité grâce à la diminution du temps de travail sans baisse de salaire et complétée d'une ample réforme fiscale. Il montre que l'emploi industriel décline fortement aux États-Unis, mais que la production industrielle reste assez stable, si bien que ce sont les gains de productivité qui expliquent la chute de l'emploi. On retrouve cette situation en France : il faut reconnaître que ceux qui délocalisent sont des voyous lorsqu'ils avaient promis de conserver les emplois sur place, mais les pertes de postes n'entraînent pas forcément un recul de la production grâce aux gains de productivité colossaux. M. Paul Krugman montre que la mise en place des politiques de dérégulation a entraîné un décrochage entre l'évolution des gains de productivité et celle des salaires, ces derniers ne suivant plus les premiers, la distribution des gains allant dorénavant vers les actionnaires.

Alors que l'on parle beaucoup de compétitivité, la question de la productivité fait l'objet d'un tabou. La plupart de nos dirigeants n'ont pas conscience de la révolution que l'on vit depuis 40 ans ; ils ne connaissent que la précédente révolution de la productivité, initiée par MM. Henry Ford et Frederick Taylor, et non l'actuelle. Aujourd'hui, on peut parcourir 15 mètres autour de la chaîne de production d'une usine sans rencontrer le moindre salarié. Cette évolution se retrouve dans les autres secteurs : on a simplement besoin de deux clics sur Internet pour acheter un billet de train, le monte-charge à moteur a remplacé en partie les déménageurs et seuls deux pilotes sont nécessaires dans un avion et non plus quatre. Un journaliste de Ouest-France me disait l'autre jour qu'à ses débuts, il dictait son papier à la secrétaire, des allers-retours étaient nécessaires pour les corrections et une autre personne s'occupait de la mise en page ; il peut maintenant taper son article et l'insérer lui-même dans la maquette sur ordinateur. Des métiers ont donc disparu du fait de notre intelligence et non des délocalisations en Chine. On a remplacé tous les emplois répétitifs, dangereux ou inutiles par des machines. Est-on capable de faire évoluer le contrat social dans ce nouveau contexte ?

Depuis 1970, le PIB réel – donc corrigé de l'inflation – a augmenté de 150 %, mais grâce aux gains de productivité, on produit deux fois et demi plus avec 7 % de travail en moins – 43 milliards d'heures étaient travaillées en 1970 contre 40 milliards aujourd'hui –, d'après l'INSEE. En outre, l'augmentation du travail féminin et celle de la qualification constituent des atouts supplémentaires. Or travailler ne constitue pas un but en tant que tel, même si l'on souhaite bénéficier d'un emploi intéressant, et l'on a besoin de moins de travail avec une population active qui a augmenté. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, la durée légale s'établit à 35 heures, mais la durée effective dépasse 39 heures : un salarié à temps plein en France travaille 39,6 heures par semaine en moyenne. Le contrat social n'a donc pas évolué depuis 40 ans, dans un contexte d'importants gains de productivité. Ceux-ci ne profitent pas à tout le monde, mais génèrent un chômage de masse qui représente une catastrophe humaine et un suicide économique.

Nouvelle Donne n'est pas favorable au partage du travail actuel, nous contestons le partage actuel qui fait beaucoup travailler les salariés à temps plein, qui laisse des millions de personnes au chômage et nombre d'autres dans des emplois précaires et à temps partiel subi. Il y a un an, je débattais avec M. Benoît Roger-Vasselin, numéro trois du MEDEF, qui se rangeait à mes positions au bout d'une heure de discussion. Il pointait la stupidité du partage actuel du temps de travail tout au long de la vie : avant 25 ans, personne ne bénéficie d'un vrai emploi, puis on demande d'être des surhommes aux personnes âgées de30 à 50 ans, pour enfin être jetés dès 50 ans – tout en devant cotiser plus longtemps pour sa retraite. M. Roger-Vasselin avait alors accepté la nécessité d'un nouveau contrat social impliquant les chômeurs et intégrant la notion de qualité de vie, alors qu'il avait commencé notre échange en affirmant que tout devait se négocier à l'intérieur de l'entreprise. Le président de la commission du budget du parlement espagnol a proposé, pour sa part, parmi une vingtaine de suggestions, l'établissement de la semaine de 32 heures en quatre jours, seule à même de créer des emplois.

Grâce à la loi du 11 juin 1996 tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail – dite loi de Robien –, 400 entreprises ont mis en place la semaine de quatre jours. L'entreprise Mamie Nova l'a adoptée il y a 15 ans : les employés travaillent six jours par semaine, mais tous les salariés travaillent quatre jours, comme plus de la moitié des employés de Fleury Michon. Dans l'entreprise Ducs de Gascogne, qui produit du foie gras et du confit et connaît donc un pic d'activité saisonnier avant Noël, les salariés travaillent quatre jours par semaine dix mois par an, cinq jours deux mois avant les fêtes et même six jours au cours de cette période pendant la quinzaine précédant Noël : cette organisation s'avère bien meilleure que la précédente où tout le monde travaillait cinq jours par semaine toute l'année, l'équipe étant renforcée par des intérimaires ou des CDD pour la période d'intense activité ; elle a notamment permis d'embaucher des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI).

La réduction du temps de travail doit être forte pour créer des emplois ; une diminution de deux ou trois heures s'avère insuffisante, comme l'a montré la seconde loi Aubry du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail qui permettait de signer un accord à 35 heures tout en prévoyant une durée réelle de travail de 37 heures. Dans ce cas, le seul résultat est de tendre l'organisation du travail. Voilà pourquoi M. Antoine Riboud défendait la nécessité de choisir la semaine à quatre jours sans étape intermédiaire.

S'agissant du financement, la meilleure règle – défendue notamment par MM. Michel Rocard et Jean-Paul Fitoussi – vise à dispenser de cotisations chômage l'entreprise qui embauche 10 % de son effectif en CDI. Mamie Nova a ainsi créé 130 emplois sans baisse de salaire grâce à l'exonération des cotisations chômage prévue par la loi de Robien – 10 % la première année puis 8 % la seconde. Ces 130 personnes cotisent pour les caisses de retraite et de maladie, et le nombre de chômeurs diminue de 90. M. Patrick Artus a démontré que ce dispositif était équilibré pour les finances publiques et pour l'assurance chômage. On peut donc efficacement « activer les dépenses de chômage », pour reprendre l'expression de la CFDT.

Il est surprenant que la réduction du temps de travail soit devenue un sujet tabou. Je rappelle que c'est M. Édouard Balladur qui avait mis en place une commission sur ce sujet, présidée par M. Jean Boissonnat, en 1995 ; son rapport recommandait de diminuer le temps de travail de plus de 20 % d'ici à 2015 et de favoriser la formation durant le temps libre. Cette orientation faisait l'objet d'un consensus il y a 20 ans, et M. Michel Barnier expliquait qu'il était nécessaire d'organiser un référendum sur la semaine de quatre jours afin d'édicter une règle claire et stable à la suite d'un débat de société. Le 13 juillet 1995, le Président de la République, M. Jacques Chirac, avait visité l'entreprise des brioches Pasquier, une des quatre entreprises françaises à l'époque à travailler quatre jours par semaine – grâce à un amendement de MM. Jean-Yves Chamard et Gérard Larcher adopté en 1993 –, et avait déclaré qu'il se demandait pourquoi cette organisation n'était pas mise en place ailleurs.

La réduction du temps de travail obéit à un mouvement historique, comme le rappelait M. Chirac à cette époque : en un siècle, on est passé de sept à six jours travaillés par semaine, puis à cinq, et le Président de la République trouvait alors opportun que ce mouvement continue.

Il s'avère urgent de relancer sereinement les négociations sur la réduction du temps de travail ; votre commission pourrait jouer un rôle en la matière, et il serait sans doute intéressant que vous auditionniez des responsables d'entreprises s'étant engagés dans cette voie. Que les licenciements soient évités constitue le minimum que l'on puisse attendre d'un pays qui fonctionne normalement. Au Canada, lorsqu'une entreprise perd des marchés, elle garde tous ses salariés, elle réduit le temps de travail à raison de la diminution de son activité, et l'État et l'assurance-chômage aident financièrement les employés pour qu'ils conservent 95 % de leur salaire. Le déclenchement de ce dispositif est très simple et tient dans un formulaire de deux pages. L'Allemagne a mis en place un système comparable, le Kurzarbeit ; depuis 2008, 1,5 million de salariés travaillent en moyenne 31 % de moins et n'ont pas été licenciés et gardent de 95 à 98 % de leur rémunération, grâce à l'aide de l'État, si une formation est suivie pendant le temps libre. Si la France adoptait une telle mesure, le chômage diminuerait de 1,5 million de personnes, selon la radio France Info. L'Assemblée nationale devrait donc suivre cette méthode et activer l'argent de l'assurance-chômage, au moins pour éviter les licenciements.

La réduction du temps de travail permet de lutter contre le chômage et de vivre, car on ne veut pas attendre l'âge de 65 ans pour profiter de son conjoint, de ses enfants et de ses amis. Afin de réduire le chômage, il convient également de mener une autre politique du logement : le fonds de réserve des retraites (FRR) dispose de 37 milliards d'euros, et certains pays utilisent ce type de fonds disponibles pour construire des logements plutôt que les placer sur les marchés financiers ; les Pays-Bas, où la population ne dépasse pas 17 millions d'habitants, ont ainsi produit 1 million de logements avec de telles ressources. Il y a lieu de conduire une nouvelle politique d'énergie ; M. Mario Draghi a déclaré que la banque centrale européenne (BCE) allait aider les banques à hauteur de 1 000 milliards d'euros : ne pourrait-on pas allouer cette somme au sauvetage de la planète et à la lutte contre le réchauffement climatique ? On devrait également accorder une véritable priorité aux PME et séparer réellement les banques de dépôt et d'affaires. Au total, on peut créer 2 millions d'emplois, ce qui changerait totalement l'atmosphère dans notre pays.

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