Intervention de Jean-Pierre Gorges

Réunion du 9 octobre 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Gorges :

Pourquoi vos idées, qui semblent composer un tableau idyllique, restent si minoritaires ? À mon avis, la raison principale tient dans le fait que vous simplifiez trop la réalité. Néanmoins, je suis d'accord avec vous pour affirmer que nous ne retrouverons pas des taux de croissance élevés ; je demande d'ailleurs – en vain jusqu'à présent – que l'on élabore le budget en ne tenant pas compte de la croissance du PIB, afin que celle-ci ne constitue pas la variable d'ajustement du solde des finances publiques en retenant la prévision de croissance qui permet de fixer le déficit au niveau souhaité.

Monsieur Larrouturou, vous raisonnez dans un monde sans frontières. Jusqu'aux années 1980, nous nous trouvions dans une économie de production dans laquelle il suffisait de produire ce que les gens consommaient, les avancées de la technologie permettant de réduire le temps de travail. Au bout d'un moment, la croissance du progrès technique stagne et les citoyens consomment moins car ils n'ont pas besoin de trois réfrigérateurs et de quinze télévisions. C'est ainsi que nous avons créé l'obsolescence programmée de tous les produits – même des maisons – afin de nourrir artificiellement l'activité. Aujourd'hui, les progrès de la technologie croissent à nouveau fortement – les smart phones contiennent plus d'intelligence que celle déployée par la NASA pour envoyer un homme sur la lune –, et il convient d'en tenir compte. Votre modèle fait abstraction du temps, des frontières et des monnaies.

Si l'on avait partagé les revenus du travail en même temps que le temps de travail lors de l'élaboration des lois sur les 35 heures, on n'aurait pas ébranlé notre compétitivité. Le solde des balances extérieures décroche entre la France et de l'Allemagne en 2002 – l'Allemagne dégageant maintenant un excédent de 170 milliards d'euros et la France un déficit de 60 milliards d'euros –, car la mise en place de l'euro nous interdisait de dévaluer ; or la France dévaluait souvent pour maintenir sa compétitivité relative par rapport à l'Allemagne, cette dernière ayant toujours fabriqué des produits de meilleure qualité que les nôtres. Cela montre bien l'importance de la monnaie. Pour les chefs d'entreprise, le temps de travail constitue un handicap bien moins important que les contraintes, l'organisation et le mode de vie français – par exemple, on nous a cité des cas où les inspecteurs du travail empêchent d'embaucher des personnes de moins de 18 ans ou imposent à de petites entreprises des travaux pour 800 000 d'euros en raison d'un risque de présence d'amiante. C'est cela qui pèse au quotidien. On s'attarde trop sur le temps de travail, alors que c'est notre système global qui présente des vices de construction. Or nous sommes en compétition avec le monde entier, les Chinois aujourd'hui et les Indiens demain : il faut intégrer cette question des frontières.

Votre modèle idyllique s'avère simplificateur, car on a l'impression que travailler quatre jours résoudra nos problèmes. Nous devons faire face à une forte contrainte de temps : depuis 30 ans, les budgets sont en déficit, et nous devons trouver 200 milliards d'euros sur les marchés financiers, cette année, pour rembourser nos levées d'emprunts et continuer de fonctionner. Nous avons besoin de mesures aux résultats immédiats.

Vous avez oscillé entre le Parti socialiste et les Verts au cours de votre parcours politique : on sent un mélange de ces deux inspirations chez vous, puisque vous croyez à la croissance écologiste, qui redistribuerait les emplois, mais ce modèle n'arrive pas à montrer son efficacité. Vous avez de bonnes idées, mais elles ne peuvent pas s'intégrer à notre monde marqué par la compétition internationale.

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