Les 35 heures ne sont pas un problème en soi : c'est, comme le dit Sébastien Rouchon, l'arbre qui cache la forêt, le « petit monstre » caché sous le lit dont il est facile de parler, la radioactivité infime mesurée au compteur Geiger alors que le problème est la pollution au plomb.
La flexibilité, les 35 heures en ont apporté, mais à un coût considérable. Pour l'obtenir, nous avons dû assimiler nos collaborateurs à des cadres, ce qui revient évidemment beaucoup plus cher. À une certaine époque, nous n'avions presque que des cadres !
Je participe à la commission « start-jump-progress » de la plateforme RSE, monsieur Noguès. Immanquablement, nous arrivons à la conclusion que l'on fait beaucoup pour les gros et que c'est difficile pour les petites.
Permettez-moi de donner un exemple de la complexité à laquelle nous sommes confrontés. Bien qu'elle ne manipule pas d'amiante, mon entreprise est mise en cause pour un de ses salariés qui y a été exposé chez un autre employeur. L'affaire dure depuis huit ans. Nous en sommes à l'appel après cassation du fait d'un revirement de jurisprudence, et il y a de fortes probabilités pour que nous revenions en cassation, peut-être en assemblée plénière. Nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés !
Comme chez Sébastien Rouchon, très peu de salariés de mon entreprise ont le même forfait horaire. Mais, lorsque nous passons un contrat, nous ne pouvons savoir si la loi, les accords de branche ou la jurisprudence primeront. Les effets de cette incertitude sont connus : on n'ose plus investir.
Les dépenses d'énergie ne sont pas significatives dans mon entreprise, madame la rapporteure. Même en matière de transports, nous sommes de ce point de vue à la même enseigne que nos concurrents.
Lorsqu'un grand groupe négocie avec un autre grand groupe qui est son client, monsieur le président, il n'a pas peur de le perdre. Ce n'est pas mon cas : je n'ai pas dormi pendant trois jours parce que je risquais de perdre mon plus gros client. Quand le chef d'entreprise est soumis à une telle pression, les employés en pâtissent : je suis là pour eux, ils sont là pour moi, nous sommes en contact permanent.
Mon entreprise a des délégués du personnel. C'est une source de micro-tensions. Parfois le délégué du personnel n'a pas formulé exactement ce que l'employé voulait dire, parfois il insiste sur un point qui le concerne plus personnellement. Même le fait pour le délégué du personnel d'être informé à l'avance, ce serait-ce que de quelques heures, peut être mal perçu par ses collègues.
La complexité s'étend aussi à nos rapports avec les institutions publiques, à commencer par les inspecteurs du travail dont je peux dire d'expérience qu'ils sont en général de véritables ennemis. Nous avions par exemple fait toutes les démarches pour accueillir à l'atelier des stagiaires mineurs – qui plus est des filles, ce qui est rare dans notre secteur. L'inspecteur du travail ne nous a pas donné les autorisations, si bien que ces jeunes filles n'ont eu ni leur stage ni leur diplôme.
Autre exemple qui concerne un grand groupe faisant de la réparation navale à Brest : l'inspecteur a choisi, sur les deux tests possibles de détection de l'amiante, celui qui donnait un résultat positif pour l'atelier concerné, alors que l'autre était négatif. Il en a coûté 800 000 euros à l'entreprise pour procéder au nettoyage de l'atelier.
Enfin, je ne suis pas confronté à la logique des seuils mais il est certain que ceux-ci, de même que les 35 heures, font peur. Dans les deux cas, il s'agit de « briques » qui, à force de changements, n'ont plus rien à voir avec ce que l'on avait imaginé au départ. Quel rapport entre les 35 heures d'aujourd'hui et le projet de 1998 ou, a fortiori, les premières approches réalisées sous François Mitterrand ? Je le répète, c'est l'arbre qui cache la forêt. Il faudra bien que l'on entre un jour dans cette forêt et que l'on y fasse le ménage !