Rendre les mesures obligatoires, madame la rapporteure, est une marque de défiance à l'égard des partenaires sociaux. Je n'ignore pas que, face à des salariés « captifs », certains employeurs peuvent être tentés d'abuser de leur capacité de négociation. Néanmoins, par les lois Aubry, on a signifié aux partenaires sociaux qu'ils étaient incapables de discuter du temps de travail, une question tellement importante qu'il revenait à l'État d'en définir la durée. Il ressort pourtant d'une enquête que j'ai fait réaliser sur la perception qu'ont les Français des partenaires sociaux qu'ils placent de grands espoirs dans le dialogue social, à condition que les partenaires sociaux aient plus de liberté, qu'ils soient mieux formés à la négociation et qu'ils soient davantage sur le terrain.
L'accord dans l'entreprise doit être toujours privilégié, l'État devant définir le cadre du dialogue social et éviter les abus. L'État ne peut se mêler de tout, au risque de mal faire, puisque le sur-mesure lui est impossible ; son rôle est d'empêcher l'imposition de clauses léonines.
Je pense comme vous qu'il y a du bon et du moins bon dans le temps partiel, selon qu'il est choisi ou imposé. Je suis beaucoup plus favorable à une incitation au temps partiel, dans l'esprit de la loi de 1996, qu'à une obligation.
Vous m'avez demandé ce qui différencie la loi qui porte mon nom de la loi de Mme Aubry. Je me rappelle qu'elle était mal à l'aise lors de la présentation de la loi de 1996 – c'est qu'elle se voyait en quelque sorte « confisquer » son patrimoine politique… La première loi Aubry était incitative : elle donnait beaucoup de liberté à la négociation. J'ai regretté ensuite le caractère obligatoire de la mesure, je vous l'ai dit. Dans la loi de 1996, l'accent était mis sur l'incitation ; pour sa part, Mme Aubry a fait preuve de ce qui me semble être un autoritarisme excessif. Je me suis d'ailleurs demandé si elle n'a pas été aussi loin précisément pour marquer sa différence avec la loi de 1996 que parfois, pour cette raison, je regrette presque d'avoir fait adopter... Au moins avons-nous montré par ce texte que nous n'étions pas hostiles au principe, avec une autre démarche que la sienne.
Je continue de penser que la loi Aubry est contre-productive et j'ai indiqué dans le journal Le Monde, à l'époque, que j'étais franchement hostile à la réduction du temps de travail dans la fonction publique car l'État la paye sans obtenir aucune contrepartie. En 2008, le coût pour le budget de la réduction du temps de travail à 35 heures dans la fonction publique était, me semble-t-il, de quelque 30 milliards d'euros, soit la moitié du déficit budgétaire – et l'on cherche 3,5 milliards d'euros pour satisfaire Bruxelles aujourd'hui ! Ces 30 milliards d'euros ne sont pas utilisés pour créer des emplois ailleurs ni pour créer des investissements et ils manquent à l'action sociale. Était-ce vraiment une priorité pour celles et ceux qui ont la sécurité de l'emploi que de faire passer à 35 heures la durée de leur travail hebdomadaire, mesure adoptée au nom de l'égalité avec le secteur privé, alors que cette égalité n'existe pas ? Le résultat, c'est que 30 milliards d'euros n'ont pu être utilisés pour amortir la crise.
L'OIT évoque à peine la question de la réduction du temps de travail, en raison du matraquage que cette idée a déchaîné. Au cours des nombreuses réunions internationales consacrées aux moyens de répondre à la crise, l'accent a bien davantage été mis sur les investissements productifs pourvoyeurs d'emplois durables dans des conditions décentes que sur les solutions possibles en termes de temps de travail.
J'ai effectivement accompli un tour de France pour expliquer l'esprit de la loi de 1996 dans vingt à trente villes, avant et après le vote du texte. À chaque fois, nous nous sommes appuyés sur les représentants des milieux économiques et les partenaires sociaux, et tous étaient présents. J'étais souvent accompagné de Pierre Larrouturou. Il en tenait pour une semaine de 32 heures obligatoirement travaillées en quatre jours ; j'étais plus nuancé, ne voyant pas ce qui empêcherait d'étaler la durée du travail sur la semaine en fonction de la pénibilité du travail et des besoins de l'entreprise. C'est un homme généreux, qui était à la recherche de solutions, mais nous divergions sur ce point.
Pour moi, ce tour de France était très important : c'était en quelque sorte le « service après-vente » de la loi. Quand le législateur vote un texte, il s'imagine qu'il sera appliqué immédiatement – quelle erreur ! Le décalage entre la promulgation de la loi et son application peut être de 2 ans sinon 4, l'esprit originel peut en être dévié par les décrets d'application, l'administration peut opérer une rétention si le texte ne correspond pas à ses idées… Il en résulte qu'une loi peut être inefficace, ou d'une application si tardive qu'une autre a déjà été adoptée qui lui succède avant même que la première ait pu être appliquée. C'est ainsi que le droit du travail gagne sans cesse en épaisseur. Il faut, bien sûr, simplifier le code du travail car tout le monde s'y perd ; cela étant, la simplification à outrance n'est pas une solution dans un monde complexe.
Je retiens de ce tour de France la nécessité de faire de la pédagogie. Les salles qui nous attendaient étaient combles : 500, voire 1 000 personnes s'y pressaient, et il est arrivé qu'il faille retransmettre le débat à l'extérieur. Je me rappelle en particulier plus d'un millier de participants réunis dans un chai à Reims. Au terme de nos exposés, les critiques étaient peu nombreuses, sinon celles émanant d'un certain patronat, très minoritaire, qui nous reprochait, par le biais de ces négociations et de ces accords, de « faire entrer le loup dans la bergerie ». Cette expression, toujours la même, disait la peur du dialogue social, des représentants du personnel, des délégués syndicaux… Ce fantasme perdure.
La législation sur le temps de travail devrait-elle évoluer ? Je ne sais comment prendre le problème. Cela rejoint les questions portant sur les 35 heures, seuil de la majoration due pour heures supplémentaires. Vous savez comme moi qu'en politique certains mots fâchent et qu'il est très difficile de renverser certaines icônes ; ainsi, en 1996, il fallait éviter d'employer le mot « flexibilité », et lui préférer les termes « souplesse » ou « adaptation ». Aujourd'hui, je parlerais d'« ajustement »… Comment ajuster ? En donnant la plus grande place possible à l'accord d'entreprise, et en décidant d'adoucir le seuil de déclenchement par des réductions de charges, proportionnelles ou non, c'est à vous d'en débattre. Si nous voulons que le coût horaire dans nos entreprises soit comparable à celui qu'il est chez nos grands compétiteurs, nous devons autoriser des accords d'entreprises associant un allégement des cotisations sociales au-dessus de 35 heures, pour permettre aux entreprises de travailler davantage, dans un cadre légal que je me garderai de définir. Permettez-moi de rappeler que le coût horaire, il y a quinze ans, était moindre en France qu'en Allemagne mais qu'aujourd'hui il est plus élevé. Dans un système compétitif, nos coûts doivent, a minima, être les mêmes que ceux des entreprises allemandes, qui sont nos fournisseurs et nos clientes.
Je suis incapable de me remettre en situation de manière assez précise pour vous dire si la genèse de la loi de 1996 avait un lien avec la volonté alors exprimée par M. Chirac de réduire la fracture sociale. À l'époque, M. Pierre Larrouturou était venu travailler à mes côtés à la mairie d'Amiens dont je voulais réorganiser certains services. Nous avons évoqué l'aménagement du temps de travail et nous avons cheminé un moment de conserve ; je ne me souviens pas si l'appel pertinent à la réduction de la fracture sociale lancé par M. Chirac a encouragé mon tropisme vers la réduction du temps de travail.
Je ne sais si les 18 à 20 % des Néerlandais qui travaillent à temps partiel l'ont tous choisi. Néanmoins, il ne me paraîtrait pas de bonne pratique d'évacuer totalement la possibilité du temps partiel : il est parfois imposé, mais le chômage ne l'est-il pas aussi ? Entre un temps partiel imposé et un chômage imposé, je n'hésite pas un instant. Cela peut sembler cynique mais les emplois aidés sont eux aussi des emplois à temps partiel et il y en a eu jusqu'à 800 à la mairie d'Amiens et à la communauté d'agglomération. Que le temps partiel soit subi est très ennuyeux, mais le chômage est encore plus traumatisant. Je suis, pour cette raison, favorable à une incitation au temps partiel pour donner une activité au plus grand nombre, en résistant aux oukases de Bercy, qui considère toute réduction de cotisations comme une dépense alors qu'il s'agit d'une moindre recette. Le rôle de l'État est d'apporter une goutte d'huile dans les négociations, cette goutte d'huile étant souvent une réduction de charges.
Faut-il instituer un salaire inférieur au SMIC pour encourager l'emploi des jeunes ? La question est très embarrassante. J'observe que dans les pays où le SMIC est inférieur au nôtre, le chômage des jeunes est souvent moindre. Faut-il imposer un « SMIC jeune » en France ? Cette question très délicate demande un consensus national, comme l'a montré, a contrario, la tentative d'introduction du « contrat première embauche » en 2005, les jeunes se sentant menacés par la mesure nouvelle – alors qu'ils sont menacés par le chômage On sait que de nombreuses entreprises hésitent à embaucher des jeunes en raison du coût de ces embauches. Disposerait-on des 30 milliards d'euros dont il a été question précédemment que l'on pourrait concevoir des incitations destinées à ne pas trop pénaliser le salaire de la première embauche. Même si je ne dispose pas de preuves tangibles, je suis convaincu que le niveau actuel du SMIC est un handicap.
Vous avez raison, madame Bouziane, la rémunération attachée à un travail à temps partiel ne permet pas de vivre de façon décente ; mais un chômeur en fin de droits n'a plus les moyens de vivre du tout. Ce n'est pas parce qu'il y a pire que la solution est bonne, mais au moins un travail à temps partiel permet-il de continuer à être utile, de conserver une dignité et des savoir-faire ; rester en activité, c'est aussi la philosophie qui sous-tend les emplois aidés. Je vous ai parlé du temps réservé à la formation grâce à la réduction du temps de travail et je vous ai dit que travailler moins ne signifie pas être oisif mais permet de consacrer plus de temps à d'autres activités utiles. Personne ne peut rejeter l'idée d'un accompagnement social.
Il faut selon moi assouplir les lois Aubry, monsieur Noguès, pour permettre par des accords d'entreprise d'amortir le surcoût que représente la majoration des heures supplémentaires – 25 % de la 36ème à la 43ème heure, 50 % au-delà – par une réduction des charges pour les entreprises qui ont un surcroît temporaire de travail ; et si le besoin est permanent, elles doivent embaucher.
En revanche, monsieur le président, je ne suis pas favorable à la défiscalisation des heures supplémentaires ; elle pousse à ne pas recruter, à contre-sens d'une politique de l'emploi conçue pour favoriser l'embauche de ceux qui restent à la porte de l'entreprise alors qu'ils aimeraient bien y travailler, fût-ce à mi-temps.
J'estime à 30 milliards d'euros le coût de la réduction du temps de travail dans la fonction publique mais il faudrait faire des calculs précis pour l'ensemble des fonctions publiques, la fonction publique territoriale comprise. Pour finir de vous choquer, je dois vous indiquer qu'à mon arrivée à la mairie d'Amiens, j'avais fait passer tout le personnel à 39 heures de travail hebdomadaire, avant que la loi Aubry ne nous oblige à faire machine arrière. Pour moi, c'était une question d'équité. Cela n'a pas été facilement accepté, mais nous avions ainsi dégagé 150 millions d'euros par an, qui ont été consacrés aux investissements ; cela a été beaucoup plus utile à l'emploi que de permettre aux fonctionnaires territoriaux, quels que soient leur mérite et leur savoir-faire, de bénéficier des 35 heures. Je suis convaincu que si un Gouvernement, hier ou aujourd'hui, avait décrit la crise, sans excès de dramatisation, mais telle qu'elle était vraiment – et l'on en savait la gravité – les Français auraient accepté des efforts équitablement répartis. Un minimum de consensus doit être trouvé entre la majorité et l'opposition.