Intervention de François Sauvadet

Séance en hémicycle du 22 novembre 2012 à 9h30
Reconnaissance du vote blanc — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Sauvadet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la reconnaissance du vote blanc n'est pas une question nouvelle, loin s'en faut. Elle est régulièrement évoquée par plusieurs associations et de nombreux citoyens, qui souhaiteraient bénéficier d'une reconnaissance de leur expression civique. Chacun d'entre nous, dans sa circonscription, est d'ailleurs régulièrement saisi de questions d'électeurs s'étonnant que leur bulletin blanc ne soit pas distingué des votes nuls.

Vous conviendrez, mes chers collègues, qu'il est tout de même troublant, au XXIe siècle, à l'heure où l'on scrute de plus en plus finement l'état de l'opinion et les comportements électoraux, que nous ne puissions pas connaître l'ampleur exacte du phénomène du vote blanc aujourd'hui assimilé au vote nul.

J'ai donc regretté que M. Lionel Jospin, qui a récemment remis un rapport sur la rénovation de la vie publique, fasse l'impasse sur cette question qui nous tient particulièrement à coeur, au groupe UDI, comme, j'imagine, à l'ensemble des groupes politiques de cette assemblée.

Pourquoi cette question nous tient-elle à coeur ? Parce que cette reconnaissance participe du « renouveau démocratique », pour reprendre le titre du rapport de M. Lionel Jospin. Il s'agit simplement de donner à tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'offre politique la possibilité d'être reconnus et de voir leur vote identifié.

Une telle demande est d'ailleurs largement plébiscitée par nos concitoyens. Il y a une semaine, au moment même où nous examinions la proposition de loi en commission, le Nouvel Observateur, pour ne pas le citer, publiait un sondage indiquant que pas moins de 69 % des Français estiment qu'il est nécessaire de reconnaître enfin le vote blanc aux élections.

Cette question qui n'est pas nouvelle a trouvé un écho au sein de nos assemblées parlementaires puisque, législature après législatures, de nombreux députés issus de divers groupes politiques ont déposé des propositions de loi visant à reconnaître le vote blanc. En février 2012, avant de présider la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas avait d'ailleurs lui même déposé une proposition de loi en ce sens.

En 2003, l'une de ces propositions de loi, celle de Jean-Pierre Abelin, a été adoptée par l'Assemblée nationale, mais elle n'a jamais terminé sa navette. J'en étais l'un des signataires. Il s'agissait d'une proposition de loi défendue par le groupe UDF. Dès cette époque, j'avais regretté que cette proposition de loi ait été modifiée par rapport à son contenu initial, puisqu'elle s'en était tenue à un décompte séparé des votes blancs, sans les inclure dans les suffrages exprimés.

C'est précisément sur cette question que se sont à nouveau cristallisées nos discussions en commission qui ont abouti au rejet de la proposition de loi telle que je l'ai présenté au nom de mon groupe. Le texte que je vous ai proposé est clair : il prévoit une reconnaissance du vote blanc, qui est distingué du vote nul, et sa comptabilisation dans les suffrages exprimés. La reconnaissance du vote blanc est donc aussi juridique.

J'ai bien entendu les réticences des uns et des autres quant aux conséquences politiques et juridiques d'une telle comptabilisation.

Prendre en compte les bulletins blancs comme suffrages exprimés pour les référendums aurait un sens. Aller voter blanc, c'est s'exprimer pour dire que la question telle qu'elle est posée ne paraît pas opportune. Monsieur le président de la commission, je sais que vous ne partagez pas mon avis, puisque vous considérez que l'addition des votes blancs et des votes « non » suffirait à donner une réponse négative à la question posée, alors même que les « non » n'auraient pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Cet argument me paraît valide. Je peux l'entendre.

Pour les élections, l'intégration des votes blancs dans les suffrages exprimés n'aurait à mon avis pas de conséquence déterminante lorsque le scrutin a lieu à la représentation proportionnelle. Tout au plus faudrait-il s'intéresser aux seuils qui conditionnent l'accès à la répartition des sièges ou la possibilité de fusionner des listes entre deux tours, notamment aux élections régionales.

Il est vrai que c'est surtout pour les élections au scrutin majoritaire que la prise en compte des votes blancs aurait des conséquences. Il est incontestable que cela changera la donne au premier tour du fait de la nécessité de réunir la majorité absolue des suffrages exprimés pour être élu. Au second tour, qui se décide à la majorité relative, certains des constitutionnalistes que j'ai rencontrés avancent que les votes blancs pourraient être plus nombreux que les votes en faveur du candidat le mieux placé. Très franchement, je ne vois pas bien quelle en serait la conséquence, et l'argument est assez irréaliste. En tant que rapporteur, je me fais toutefois un devoir de vous en faire part, puisqu'il a été évoqué.

En tout cas, une chose est sûre, reconnaître le vote blanc comme un suffrage exprimé participerait de cette reconnaissance d'un choix démocratique, d'un choix politique. Vous pourrez constater à la lecture de mon rapport qu'il s'agit d'un véritable choix politique exprimé par nos compatriotes, que l'on observe notamment dans les seconds tours. Lorsque l'offre politique se réduit, les blancs et les nuls augmentent.

La seule réelle difficulté juridique se pose pour l'élection présidentielle, puisque l'article 7 de la Constitution dispose : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. » En intégrant les votes blancs aux suffrages exprimés, il serait possible qu'un candidat arrivé en tête au second tour ne dispose pas de cette majorité absolue.

Cette situation peut correspondre à une réalité, elle aurait pu se produire lors des élections passées. Il aurait d'ailleurs été particulièrement intéressant de disposer d'un décompte précis des votes blancs pour la dernière élection présidentielle. Je vous rappelle mes chers collègues, que le Président de la République élu en 2012 – mais il n'est pas le seul dans ce cas, je l'ai bien noté, monsieur Urvoas –, n'a pas réuni la majorité absolue des votants compte tenu des votes blancs : 48,6 % des citoyens ayant déposé un bulletin dans l'urne ont choisi M. François Hollande, qui a cependant obtenu 51,6 % des suffrages exprimés.

Au second tour de l'élection présidentielle de 2012, les bulletins blancs et nuls ont représenté 5,8 % des votants. Il faut remonter à l'élection de 1969 – le choix entre « bonnet blanc » et « blanc bonnet » – pour trouver un chiffre supérieur, soit 6,4 % des votants. De fait, plus de 2,1 millions de citoyens ont voté blanc ou nul au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2012. Cela constitue le record pour toutes les votations intervenues depuis 1958.

Seule une révision constitutionnelle pourrait permettre de surmonter l'obstacle que je viens d'évoquer. S'il y avait une véritable volonté politique, nous pourrions y parvenir, puisque certaines dispositions du rapport Jospin, qui devront pour être mises en oeuvre donner lieu à une révision constitutionnelle, offriront au Parlement l'occasion de se saisir de cette question.

Mais, mes chers collègues, l'enjeu est clair, je vais l'exprimer très simplement : j'ai bien compris à l'issue de nos débats en commission que, si le vote blanc était comptabilisé dans les suffrages exprimés, la proposition de loi ne serait pas adoptée par la majorité de cette assemblée.

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