De nombreuses personnes se sont inquiétées de cette dimension culturelle qui s’installait insidieusement dans notre société. C’est notamment le cas de Louis Gallois qui déclarait à la presse voici peu : « maintenant, quand il y a une avancée scientifique ou technique, au lieu de se demander ce qu’elle peut nous apporter, on se pose d’abord la question de la menace qu’elle engendre ! ».
De tels propos peuvent être rapprochés de ceux d’autres dirigeants qui, lors de leur audition à l’Assemblée nationale, notamment dans le cadre de l’Observatoire parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques – l’OPECST –, décrivaient le principe de précaution comme « un renoncement de l’État, un renoncement des politiques à assurer ce qui est leur rôle, la protection de l’ensemble de la population, parce qu’un individu, ou un groupe d’individus, veulent s’élever contre telle ou telle idée. »
L’inquiétude de voir l’hostilité augmenter vis-à-vis de la recherche a également conduit les chercheurs à exprimer leur ras-le-bol dans une tribune cosignée par douze dirigeants d’organismes publics tels que le Centre national de la recherche scientifique – CNRS –, la Conférence des présidents d’universités, ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM. Ils manifestent de la sorte leur solidarité envers l’Institut national de la recherche agronomique – INRA – après la décision de la cour d’appel de Colmar de relaxer 54 faucheurs volontaires qui, en 2010, avaient détruit un essai de pieds de vigne transgéniques en plein champ. Ils déclarent ainsi que « la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées n’est plus assurée ».
D’autres personnes se sont ensuite exprimées, pour nous inciter à corriger le tir. Ainsi, en 2008, Jacques Attali nous invitait à repenser ce principe, en déclarant : « Cette référence instaure un contexte préjudiciable à l’innovation et à la croissance, en raison des risques de contentieux en responsabilité à l’encontre des entreprises les plus innovantes ».
Le principe de précaution a vu son interprétation dériver vers la recherche vaine du risque zéro, au lieu d’impliquer un véritable système de gestion des risques et des mesures proportionnées. L’innovation et le risque zéro étant incompatibles, notre recherche s’en est trouvée affaiblie de fait. La prudence – terme préférable, à mon sens, à celui de précaution – qui s’impose aux autorités publiques ne doit pas faire obstacle au développement des connaissances scientifiques. En faisant de la précaution une obsession, on a mis le ver dans le fruit du progrès.