Intervention de Sabine Buis

Séance en hémicycle du 4 décembre 2014 à 9h30
Principe d'innovation responsable — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur proposition de sa rapporteure, la commission du développement durable, saisie pour avis de la proposition de loi constitutionnelle de certains de nos collègues du groupe UMP, visant à introduire à l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004 un « principe d’innovation responsable », a dit « non » à la remise en cause du principe de précaution – un « non » clair et franc, des bancs de la majorité à plusieurs sièges individuels de l’opposition.

C’est la quatrième fois depuis le début de la présente législature que l’opposition dépose une proposition de loi constitutionnelle tendant à supprimer, à encadrer ou à débaptiser le principe de précaution. Selon les auteurs de celle dont nous débattons aujourd’hui, ce principe serait parfois un principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme. Sur le fondement de ce qui n’est qu’un postulat, il est proposé de marier les concepts d’innovation et de responsabilité dans un même principe qui ne se substituerait pas au principe de précaution, mais en serait le nouveau nom.

Permettez-moi tout rapport de rappeler quelques réalités et quelques vérités souvent malmenées, par ignorance ou par malice.

Premier constat : le principe de précaution n’a pas vocation à orienter l’action des personnes privées, mais celle des personnes publiques. Il n’impose directement aucune obligation de faire ou de ne pas faire à des entreprises ou à des chercheurs.

Deuxième constat : le principe de précaution ne s’applique que dans une situation précise et rare, caractérisée par « l’absence de certitude » et par un risque de dommages « graves et irréversibles » à l’environnement.

Troisième constat : le principe de précaution ne précise jamais que la réponse à l’incertitude scientifique doit être l’inaction ou l’interdiction. Au contraire, l’esprit du code de l’environnement est bien que le principe de précaution constitue une invitation à l’action, à l’intelligence, à la réflexion et à la recherche, afin de mettre en oeuvre, face aux risques identifiés, des réponses effectives et proportionnées.

Je ne suis naturellement pas, par principe, opposée à ce que le sens d’une règle de droit puisse être précisé lorsque sa portée est incertaine. Tel n’est cependant pas le cas aujourd’hui et je vois au moins quatre raisons pour s’opposer à la remise en cause du principe de précaution ici proposée.

D’une part, le principe de précaution n’est pas contraire à l’innovation, qu’il intègre déjà. Au contraire, il fait obligation à l’État d’encourager la recherche pour en savoir plus sur les risques encore mal identifiés, pour lesquels nous ne disposons pas de recul, de précédent ou d’accord entre experts. Clairement, concrètement, le principe de précaution est un appel à la science, à l’intelligence, au rationnel.

Il faut par ailleurs lire la Charte de l’environnement en entier, et non par morceaux. Son article 9 dispose ainsi que « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Comme le précisent les travaux préparatoires de cette charte, l’article 5 sur le principe de précaution ne peut être lu qu’en correspondance avec cet article 9. La recherche et l’innovation sont donc bien déjà, au coeur de la Charte de l’environnement et seule une lecture biaisée peut laisser accroire le contraire.

Ensuite, accoler le mot « responsable » au mot « innovation » n’a pas de sens. Le principe de précaution est en effet un principe de procédure, de décision, et non pas une cause nouvelle d’engagement de la responsabilité civile ou pénale d’une personne privée. Il s’adresse à l’État et aux autorités publiques, pas aux citoyens ou aux acteurs économiques. Que serait d’ailleurs, dans la logique même des auteurs de la proposition de loi, une innovation « responsable » par opposition à une innovation « irresponsable » ? Et pourquoi pas une « bonne » et une « mauvaise » science ? Est-ce à l’État de dire par avance ce en quoi doit consister l’innovation, la création ou l’invention ? Je ne le crois pas et suis au contraire convaincue qu’il s’agit ici d’un chemin très dangereux sur lequel on voudrait nous engager.

En troisième lieu, remplacer l’expression de « principe de précaution » par celle de « principe d’innovation responsable » serait source de confusion. Concrètement, un même contenu s’appellerait en effet « principe de précaution » en droit international, en droit de l’Union européenne et dans la loi française mais, curieusement, « principe d’innovation responsable » dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française. Outre les risques de débats interminables, dans notre hémicycle ou devant le juge, pour savoir si ce changement de nom induit un changement de sens, qu’y aurait-il de plus contraire au « choc de simplification » – auquel j’imagine que nous aspirons tous – que d’appeler une même règle de droit par plusieurs noms ?

En dernier lieu, il est faux de prétendre que ce changement de nom permettrait de clarifier l’interprétation du principe de précaution. La lecture attentive de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation et des décisions du Conseil constitutionnel permet de se convaincre qu’un tel risque n’existe pas.

Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : dès lors que les motifs de cette proposition de loi ne résistent pas à une analyse politique ou juridique, même sommaire, du principe de précaution, c’est que ses objectifs réels sont ailleurs. Depuis la Charte et le Grenelle de l’environnement, en effet, il est devenu beaucoup plus difficile de s’en prendre directement au droit de l’environnement et il est donc plus commode de s’attaquer à un principe qui pâtit d’une forme de surexposition médiatique et d’emplois malencontreux. Mais la guerre d’usure menée par certains intérêts contre le principe de précaution est bien une critique de l’environnement, de cet environnement qui, pour certains, « commence à bien faire ».

Enfin, de vous à moi : tout ce temps et toute cette énergie consacrés à caricaturer le principe de précaution ne seraient-ils pas plus utilement mis à profit pour discuter de la transition écologique ou énergétique ? Ne devrions-nous pas consacrer nos travaux à faire plutôt qu’à défaire, à construire plutôt qu’à déconstruire ? Pour toutes ces raisons, je vous invite résolument à vous opposer à l’adoption de cette proposition de loi.

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