Intervention de Gil Arias

Réunion du 18 novembre 2014 à 17h00
Commission des affaires européennes

Gil Arias, directeur exécutif de Frontex :

Madame la présidente, je vous prie de bien vouloir m'excuser de parler anglais, mon français n'étant pas assez bon pour que je m'exprime dans votre langue.

Je souhaite vous expliquer brièvement ce qu'est Frontex et la façon dont nous travaillons, avant de répondre à vos questions.

Frontex est un organisme communautaire créé par le règlement du Conseil adopté en 2004. Il a été amendé à deux reprises : en 2007, pour mettre en place un nouveau concept opérationnel avec des équipes d'intervention rapide aux frontières (RABIT) ; en 2011, suite aux conclusions d'une évaluation menée sur les travaux de l'Agence les années précédentes. Le règlement prévoit désormais une évaluation périodique de l'Agence.

Le 14 avril 2005, le Conseil a fixé le siège de l'Agence à Varsovie, en Pologne. Vous vous souvenez sans doute qu'en mai 2004 l'Union européenne s'est élargie vers l'Est, accueillant dix nouveaux États membres, dont la Pologne. Il fallait mettre en place l'Agence dans l'un de ces nouveaux États. Le siège de l'Agence n'a rien à voir avec la situation de l'immigration en Pologne ni avec les frontières de ce pays : c'est une décision d'ordre strictement politique. Le règlement est entré en vigueur le 1er mai 2005 et l'Agence est devenue opérationnelle à Varsovie le 3 octobre de la même année.

Le Conseil d'administration de Frontex est composé de vingt-huit membres titulaires avec droit de vote : les représentants des services aux frontières de chacun des vingt-six États membres qui appliquent les règles de gestion des frontières Schengen plus deux représentants de la Commission européenne. La Norvège, l'Islande, la Suisse et le Liechtenstein sont membres de l'Agence, mais avec un droit de vote limité.

Vous connaissez la position du Royaume-Uni et de l'Irlande en ce qui concerne l'espace Schengen. Aussi ne sont-ils pas membres de plein droit de l'Agence. Mais le règlement de Frontex prévoit des dispositions de coopération avec ces deux pays. Par conséquent, ils peuvent participer aux réunions du Conseil d'administration et aux activités coordonnées de Frontex.

Le personnel de Frontex comprend 320 personnes, citoyens de presque tous les pays d'Europe. Ce sont des analystes, des ingénieurs, des administrateurs, des assistants, etc. Ce ne sont pas des gardes-frontières, c'est-à-dire qu'ils ne vérifient pas ce qui se passe aux frontières. Comme je vous l'expliquerai ultérieurement, ces activités sont menées par des experts déployés par les États membres, la coordination étant assurée par Frontex.

En 2014, le budget de Frontex s'établit à 98 millions d'euros. Le budget initial était plus faible, 4 millions d'euros ayant été attribués pour lancer l'opération Triton que je vous présenterai dans un moment ; 4,5 millions d'euros ont également été alloués par la Commission pour la mise en oeuvre d'un projet d'assistance technique dans le cadre du partenariat oriental.

Permettez-moi de vous expliquer maintenant la façon dont nous travaillons. L'espace Schengen connait une forte pression migratoire à laquelle nous devons faire face ensemble, ainsi que des problèmes de criminalité. Évidemment, la tâche n'incombe pas seulement à tel ou tel État membre mais à tous les États membres. Le rôle de Frontex consiste essentiellement à soutenir les États membres dans ces tâches, en coordonnant les opérations sur les frontières extérieures, notamment grâce à des opérations conjointes selon le principe de solidarité et de coopération volontaire.

Frontex ne possède pas de navires, de véhicules, d'avions, et ne dispose pas non plus de gardes-frontières pour mener les contrôles aux frontières. Lors des opérations, l'Agence coordonne les ressources humaines et techniques mises à disposition par les États membres. Les ressources restent sous le commandement des États membres. Par exemple, lorsque les douanes françaises déploient un avion, l'équipage reste sous l'autorité des douanes françaises. Il y a toutefois une exception à ce principe : lorsque les opérations maritimes de recherche et de sauvetage sont lancées, le commandement de toutes les ressources déployées dans la zone doit être transféré au centre de coordination et de sauvetage responsable, en vertu du droit international.

Toutes les opérations conjointes sont menées selon un plan opérationnel qui fait l'objet d'un accord avec le pays hôte de l'opération. Une analyse des risques est préparée en amont.

Enfin, le financement des opérations conjointes est pris sur le budget de Frontex avec un remboursement des États membres. Frontex mène et coordonne d'autres activités. Sur la diapositive, vous voyez quelles sont ces autres tâches. Je mets l'accent sur les opérations conjointes parce ce sont celles de nos activités qui sont les plus connues.

J'en viens à la structure de l'Agence. Elle comprend deux directeurs exécutifs, un principal et un adjoint, mais ce dernier a démissionné il y a un an environ. Depuis le 1er juin, je suis directeur exécutif en plus d'occuper le poste d'adjoint.

L'Agence se décompose en trois grandes divisions, avec, à chaque fois, un directeur de division. La direction de la division du renforcement des capacités est assurée par Mme Béatrice Comby, qui est française et travaillait précédemment pour l'Agence européenne de contrôle des pêches, installée à Vigo, en Espagne.

Depuis la modification du règlement du Conseil de 2011, Frontex travaille également avec des organismes consultatifs qui apportent des conseils au Conseil d'administration et au directeur exécutif en matière de droits fondamentaux. Nous avons un forum consultatif et un officier des droits fondamentaux. L'officier des droits fondamentaux, Mme Immaculada Arnaez, a un lien hiérarchique avec le Conseil d'administration. C'est elle qui est responsable du suivi du respect des droits fondamentaux dans les opérations menées par l'Agence. Quant au forum consultatif, il est composé de quinze membres représentant deux agences de l'Union européenne, l'agence des droits fondamentaux et le bureau européen d'appui en matière d'asile, ainsi que les organismes internationaux : l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et le Conseil de l'Europe. Les autres membres sont des représentants d'organisations non gouvernementales (ONG).

Venons-en maintenant à la diapositive qui vous montre l'évolution du franchissement irrégulier des frontières du mois de janvier au mois d'octobre de cette année. D'une façon générale, l'année 2014 connaît une augmentation spectaculaire en matière de franchissement irrégulier des frontières par rapport à 2013 : ce phénomène est en effet 2,5 fois plus important qu'au cours de la période précédente. De janvier à octobre de cette année, les États membres ont détecté 229 073 franchissements irréguliers, contre 107 365 pour l'ensemble de l'année 2013. Autrement dit, nous sommes face à une augmentation de l'ordre de 113 %. Le niveau d'ores et déjà atteint se situe bien au-dessus du total de 2011, année qui avait connu un record du fait du « printemps arabe ». Nous constatons pour le moment une augmentation de 60 % par rapport à 2011, année au cours de laquelle les détections étaient de l'ordre de 141 000. Le nombre total de franchissements irréguliers devrait avoisiner 250 000 cette année.

La carte que vous pouvez voir maintenant à l'écran montre les flux migratoires. Les flèches bleues représentent les flux migratoires par voie maritime et les flèches vertes les flux par voie terrestre, la taille des flèches indiquant la taille des flux. Les chiffres inscrits en gros caractères sont ceux de 2014, tandis que les chiffres plus petits sont ceux de 2013. Les pourcentages notés en rouge montrent l'évolution depuis 2013. On notera que certaines voies ont connu une baisse des flux migratoires tandis que d'autres ont connu une très forte hausse. La Méditerranée centrale a connu 153 603 détections entre janvier et octobre 2014, soit une augmentation de 272 % par rapport à la même période en 2013. En octobre, la baisse des flux migratoires en Méditerranée centrale et Méditerranée orientale est vraisemblablement due aux conditions météorologiques. Au cours de l'automne, un grand nombre de Kosovars ont franchi irrégulièrement la frontière et demandé l'asile une fois qu'ils ont été détectés ou lorsqu'ils ont atteint leur destination finale. Leur destination finale est, dans la plupart des cas, l'Allemagne.

La situation demeure globalement critique. Il y a malheureusement fréquemment des morts. Les choses ne devraient pas s'améliorer durant l'hiver et l'on devrait faire face à des tragédies, notamment en ce qui concerne les franchissements irréguliers par voie maritime.

S'agissant de l'Ukraine, il y a eu une augmentation faible des demandes d'asile. La situation à la frontière entre l'Ukraine et l'Union européenne reste assez stable.

La plupart des migrants sont des Syriens et des Érythréens. Dans la plupart des cas, ils sont passés par la Libye. La plus grande proportion de migrants détectés vient de Syrie : près de 10 000 en octobre, soit environ 35 % du total. Les Syriens sont poussés par le conflit qui sévit dans leur pays. Ils arrivent dans l'Union européenne par la Méditerranée centrale et orientale. Divers indices montrent cependant qu'un certain nombre de ces migrants ne sont pas Syriens, mais prétendent être de nationalité syrienne pour ne pas être renvoyés vers la Turquie, pays de transit le plus fréquent, ou pour éviter de devoir retourner dans leur vrai pays d'origine.

Le mouvement des Érythréens est un peu plus organisé et se concentre sur moins de voies, ce qui montre qu'il y a des passeurs qui visent les États membres de manière assez précise, et vraisemblablement dans les meilleures conditions possibles.

Le graphique qui est maintenant à l'écran vous montre les franchissements irréguliers des frontières de 2009 à 2013 et de janvier à octobre 2014. Comme vous le voyez, on constate deux augmentations significatives. La première a eu lieu en 2011 – je vous en ai déjà parlé – et la seconde concerne la période qui va de janvier à octobre de cette année. En vert, vous avez les franchissements irréguliers par voie terrestre et en bleu par voie maritime. Par rapport aux données précédentes, on remarque que 2014 sera une année record pour le nombre de migrants qui arrivent dans l'Union européenne par voie maritime.

C'est en 2010 que le nombre de franchissements irréguliers par voie terrestre a été le plus élevé, notamment par la Turquie. C'est la seule fois dans l'histoire de l'Agence qu'a été lancée l'opération RABIT.

L'agence Frontex a coordonné nombre d'activités opérationnelles sur tout le territoire européen. Je vous prie de bien vouloir m'excuser car la carte que vous voyez actuellement à l'écran n'est pas à jour. En effet, les deux opérations au sud de l'Italie, Aeneas et Hermès, ne sont plus opérationnelles. Elles ont été remplacées depuis le 1er novembre par l'opération Triton.

Après de longues consultations entre Frontex, la Commission européenne et l'Italie, une nouvelle opération maritime, l'opération Triton, a été décidée le 24 septembre avec un concept révisé et un périmètre renforcé. Il s'agit en effet de renforcer les ressources de la zone. La planification de cette opération par ces trois entités que sont l'Italie, la Commission européenne et Frontex a été totalement indépendante de l'opération Mare Nostrum. Nous avons en effet préparé l'opération Triton sans savoir ce qui se passerait pour Mare Nostrum, si elle serait suspendue ou non. L'opération Triton n'a donc jamais été planifiée ni conçue pour remplacer Mare Nostrum.

L'opération Triton a donc débuté le 1er novembre. Nous disposons de deux avions, d'un hélicoptère, de trois patrouilleurs de haute mer, de deux navires de patrouille côtière, de deux patrouilleurs côtiers, d'experts, de gardes-frontières, de cinq équipes de débriefing et de deux équipes de dépistage. En fait, ce sont les premiers contacts qu'ont les migrants avec les autorités pour établir les nationalités présumées des migrants lorsque c'est possible. Quand c'est possible également, on essaie de vérifier les identités et les équipes de débriefing organisent des entretiens avec les migrants, sur une base volontaire, c'est-à-dire que le migrant peut refuser d'être interviewé. L'objectif de cet entretien est de savoir si le migrant a besoin d'une protection internationale, de recueillir des renseignements, d'essayer d'identifier les passeurs, les différents itinéraires empruntés afin de fournir ces informations aux autorités nationales et ainsi lutter contre les passeurs.

Le coût de cette opération s'élève approximativement à 2,9 millions d'euros par mois. Le budget de l'Agence étant presque épuisé, nous avons demandé un transfert de budget à la Commission pour lancer cette opération. La Commission a mis à la disposition de Frontex 3,9 millions d'euros. Nous avons également réalloué des ressources d'autres opérations pour atteindre un chiffre de 7 millions d'euros, ce qui permettra à l'Agence de garantir le financement de cette opération d'ici à la fin du mois de janvier 2015, date à laquelle il sera possible de commencer à utiliser le budget de 2015. J'ajoute que cette opération est à durée indéterminée en Méditerranée centrale, elle prend un caractère permanent. Nous n'envisageons pas de la conclure dans le futur proche.

Comme cette opération est en place depuis deux semaines, il est un peu prématuré de vous proposer des conclusions. Nous avons pu observer une diminution du nombre de migrants qui viennent dans la zone, en Italie, mais ce phénomène est peut-être dû à la météorologie. On ne peut pas donc partir du principe que l'immigration irrégulière a diminué du fait de la mise en place de cette opération. Mais différents facteurs sont à prendre en compte. Par exemple, l'opération est plus proche des côtes de l'Union européenne. Il est donc un peu plus difficile pour les passeurs d'agir, de mettre davantage de gens sur des embarcations de fortune.

Depuis que l'opération Mare Nostrum a été lancée, les passeurs mettent beaucoup moins de choses à bord des embarcations – eau, nourriture etc. Du coup, les migrants se trouvent dans des situations de survie dramatiques.

Comme je vous l'ai dit, nous avons pu observer une diminution du nombre d'arrivées en provenance de Syrie, mais ce phénomène avait déjà été constaté avant le début de l'opération Triton. Certes, nous ne pouvons nous en féliciter, car nous avons encore dénombré deux morts très récemment, mais, en comparaison de ce qui s'est passé auparavant, il est plutôt satisfaisant de se dire que seules deux personnes ont été trouvées mortes hier près des côtes libyennes. C'est un navire italien qui a tenté de les sauver. Peut-être aurons-nous à déplorer moins de décès à l'avenir.

Mesdames, messieurs les députés, je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions et vous donner des explications plus détaillées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion