Intervention de Gil Arias

Réunion du 18 novembre 2014 à 17h00
Commission des affaires européennes

Gil Arias, directeur exécutif de Frontex :

Nos ressources sont effectivement en baisse. L'opération Triton coûtera moins cher que l'opération Mare nostrum, pour laquelle ont été déployés des navires de guerre afin de secourir les migrants, ce qui entraîne une très forte dépense. Les bateaux de Frontex sont d'un tout autre gabarit et les garde-frontières mis à disposition de l'Agence coûtent moins cher que les militaires italiens. Frontex n'ayant pas participé à Mare nostrum, j'ai appris en lisant la presse que l'armée italienne aurait mis 35 navires à disposition pour cette opération. Un tel nombre de bateaux serait inconcevable pour nous. Notre budget total est de 90 millions d'euros, dont 30 millions vont aux opérations maritimes ; il nous faut aussi poursuivre nos activités aux frontières terrestres, payer notre personnel et régler nos frais fixes. Allouerions-nous même l'ensemble de notre budget aux opérations maritimes que nous l'épuiserions en un temps très bref si nous procédions dans la même configuration que celle de Mare nostrum.

Aussi avons-nous cherché à établir des synergies avec les autorités nationales. Ainsi, c'est l'Italie qui paye ses ressources déployées dans le cadre de l'opération Triton. Sur le fond, nous espérons que l'éloignement des navires de la côte libyenne aura un effet dissuasif sur les passeurs et que les migrants eux-mêmes seront plus réticents à embarquer dans des conditions de grande précarité s'ils savent qu'il sera impossible aux navires de Triton de les secourir en quelques heures ou en peu de jours en cas de nécessité. Nous avons bon espoir que les chiffres tragiques des péris en mer baisseront.

Nous espérons aussi que, si l'Union européenne ne parvient pas à trouver une solution communautaire, les États membres finiront par conclure des accords de coopération bilatérale destinés à éviter que les gens ne quittent leurs pays d'origine dans les conditions connues jusqu'à maintenant. L'instabilité en Libye est actuellement très grande, mais l'on peut imaginer que les États membres sauront trouver les moyens diplomatiques et les ressources nécessaires pour mettre au point une solution de ce type. Si ce n'est pas possible avec la Libye, ce serait envisageable avec l'Égypte et la Tunisie, et l'on éviterait ainsi de nouvelles morts en Méditerranée.

L'austérité budgétaire nous oblige à couper dans les dépenses de personnel et, par ricochet, à mettre l'accent sur nos activités prioritaires. Elle nous conduit aussi à rechercher des synergies avec d'autres agences internationales spécialisées telles que le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (IOM). C'est la seule manière de travailler efficacement, même si les ressources sont rares.

La coopération avec les pays tiers dépend des régions considérées. Frontex a signé un protocole d'accord de coopération avec la Turquie, mais l'honnêteté me commande de dire que les tensions politiques persistantes entre Turcs et Grecs nuisent parfois à une coopération que l'on souhaiterait plus étroite entre la Turquie et l'Union européenne. Bref, des progrès existent mais, pour l'instant, ils sont encore limités. J'ai bon espoir que, lentement mais sûrement, la situation s'améliorera.

Aucun accord n'est malheureusement signé à ce jour avec les pays du Maghreb ni avec l'Egypte. Nous avons mandat de notre Conseil d'administration pour négocier, mais nos efforts n'aboutissent pas, faute que nous puissions offrir à nos interlocuteurs un partenariat attractif car nous ne sommes pas en mesure de leur proposer une assistance financière. Nous ne pouvons faire don aux gouvernements concernés de vaisseaux et de véhicules ; ils préfèreront donc conclure des accords bilatéraux avec les États membres plutôt qu'avec un petit organisme comme Frontex, doté de faibles moyens.

Le nouveau mandat confié à Frontex en 2011 a permis à l'Agence de lancer des projets d'assistance technique avec le Maroc et la Tunisie ; ce sont, pour l'essentiel, des programmes de formation. Nous avons aussi mis au point un projet d'assistance technique aux pays d'Europe de l'Est. Le budget consacré à ces missions est de 4,5 millions d'euros pour trois ans. J'espère que nous pourrons mettre au point d'autres activités qui auront des résultats un peu plus tangibles pour les pays tiers. Cela rendra Frontex plus séduisant à leurs yeux et nous permettra, à terme, de signer de nouveaux accords.

Quoi qu'il en soit, des accords bilatéraux, formels et informels, existent entre les pays situés sur les rives de la Méditerranée et Frontex participe à leur mise en oeuvre. La France a ainsi signé un accord avec la Tunisie, l'Espagne avec le Maroc et avec la Mauritanie. C'est dans le seul cadre de la coopération bilatérale que Frontex travaille avec les États membres.

Vous m'avez interrogé sur l'évolution possible des missions de l'Agence. Pour l'instant, Frontex a un rôle de coordinateur, mais la Commission européenne, dans le cadre d'une évaluation de l'Agence dont nous pensons qu'elle sera terminée en 2015, conduit une étude de faisabilité relative à la création d'un corps de garde-frontières européens. On peut certes envisager une police des frontières européenne, mais je me dois de vous dire mon scepticisme. Le sujet figure à l'ordre du jour de bon nombre de réunions de l'Union européenne depuis des années. Travaillant alors pour le gouvernement espagnol, j'ai ainsi participé à une réunion organisée à Paris, M. Nicolas Sarkozy étant ministre de l'intérieur. À cette époque déjà, il avait été proposé de créer une police des frontières européenne ; les pays de l'Est de l'Europe avaient refusé cette proposition, peu favorables, pour les raisons historiques que chacun a à l'esprit, à l'idée que des garde-frontières d'autres pays surveillent leurs frontières. Le projet a donc été enterré et, à titre personnel, je crains que son exhumation ne soit improbable.

L'audit en cours donnera lieu à des recommandations et à des modifications du mandat de Frontex qui conduiront sans doute à lui confier de nouvelles tâches, comme ce fut le cas en 2011. Lorsque M. Dimitris Avramopoulos, en passe de devenir le nouveau commissaire aux affaires intérieures de l'Union, a présenté son projet au Parlement européen, il a dit que « Frontex devrait devenir un organisme chargé à la fois de sauver des vies et de protéger les frontières ». Il nous rendra visite sous peu, et je lui demanderai de bien vouloir préciser son propos car, étant donné la période d'austérité que nous connaissons, je ne vois pas comment l'on pourrait surmonter les obstacles qui s'opposent à l'élargissement des activités de Frontex. Toute extension de son mandat supposerait évidemment d'augmenter son personnel et ses ressources, alors que la tendance est aux coupes budgétaires. La Commission européenne peut faire des propositions, mais c'est aux États membres et au Parlement européen qu'il reviendra de les avaliser.

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