Intervention de Frédéric Cuvillier

Séance en hémicycle du 22 novembre 2012 à 9h30
Fixation des tarifs réglementés du gaz naturel — Présentation

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la question soulevée par cette la proposition de loi est complexe puisqu'elle englobe à la fois des aspects juridiques, des aspects relatifs au pouvoir d'achat et aussi des aspects concernant la sécurité d'approvisionnement. Delphine Batho aurait aimé pouvoir aborder ces différents thèmes avec vous et m'a demandé de bien vouloir l'excuser : elle est retenue actuellement par un débat sur la transition énergétique dans le cadre du congrès des maires de France.

L'objectif de diminuer les tarifs du gaz, nous le partageons. Il consiste à faire baisser la facture, parfois douloureuse, pour le consommateur français en particulier, dans un contexte de hausse des prix du gaz. Je ne peux que regretter, monsieur Borloo, que cette idée, si elle était applicable, n'ait pas été mise en oeuvre au cours du quinquennat précédent car la déconnexion entre les prix du gaz et ceux du pétrole dont vous faites état, et à laquelle je reviendrai, existe depuis la mi-2009. Ainsi le président Brottes a-t-il évoqué un acte de repentir, formule fine et juste.

En revanche, je rappelle que c'est vous qui avez mis en place le cadre actuel de la tarification, qui avez signé le contrat de service public, qui avez modifié par deux fois la formule tarifaire et, enfin, qui avez laissé un contentieux juridique sur le gaz – en plus de nombreux autres sur l'énergie, qu'il s'agisse de l'électricité ou du réseau –, conduisant aujourd'hui à un rattrapage qui doit s'appliquer à l'ensemble des consommateurs.

La question des tarifs réglementés du gaz est complexe, vous en conviendrez, car elle doit traiter deux aspects : le prix, bien entendu, et la sécurité d'approvisionnement. La sécurité d'approvisionnement n'est pas un vain mot et je souhaite rappeler quelques épisodes récents. Le système gazier français est en effet exposé à plusieurs types de risques

D'abord, le « risque froid » qui, compte tenu de la structure de la consommation française, peut se traduire par une demande de gaz très supérieure à la normale. Ensuite, le risque de réduction non programmée des entrées de gaz sur le réseau français, qui peut avoir pour origine une défaillance technique ou des circonstances particulières dans un pays fournisseur ou de transit : crise géopolitique, insuffisance de la production pour honorer les exportations, notamment. Enfin, le risque de défaillance d'une infrastructure, qui n'est pas une situation impensable, qu'il s'agisse des stations de compression, des gazoducs ou d'autres moyens de stockage.

Ces risques existent. L'approvisionnement français en gaz a connu, au cours des dernières années, plusieurs périodes de tensions aux origines variées. Souvenez-vous : au cours de l'hiver 2003-2004, à la suite de l'accident survenu dans l'usine de liquéfaction de Skikda en Algérie le 19 janvier 2004, la réduction d'approvisionnement de GNL algérien a été compensée par une forte sollicitation des stockages en cavité saline du Sud-Est de la France en fin d'hiver puis par des approvisionnements de gaz provenant d'autres sources.

Au cours de l'hiver 2004-2005, du fait d'une combinaison de facteurs – la réduction durable des approvisionnements GNL en provenance d'Algérie, que je viens d'évoquer, et un régime climatique exceptionnel en fin d'hiver avec des températures très faibles entre le 25 février et le 13 mars –, il a fallu faire jouer les clauses d'interruptibilité de plusieurs clients industriels.

Plus récemment, en janvier 2009, à la suite d'un différend commercial dont on a beaucoup parlé entre la Russie et l'Ukraine, le transit de gaz russe via l'Ukraine a été réduit début janvier 2009, puis totalement interrompu le 7 janvier, jusqu'à une reprise, d'abord partielle, le 20 janvier, puis totale le 22 janvier. Cette crise a coïncidé avec un épisode climatique froid, qui a duré du 6 au 12 janvier 2009, avec une pointe le 7 janvier. Rappelez-vous les températures extrêmement basses que nous avons connues : il a fait jusqu'à – 9 °C à Paris. Cela nous a conduits à battre un record de consommation sur le réseau français. La baisse des approvisionnements a pu être compensée, cette fois encore, par un recours aux stockages souterrains, mais également par l'augmentation des entrées de gaz, de sorte que la crise n'a pas eu de conséquences sur les livraisons aux clients français.

Afin de garantir la sécurité d'approvisionnement, l'État a fait, de longue date, le choix de contrats long terme pour son approvisionnement en gaz. Rappelons qu'en 2011, la France a importé 37 % de son gaz de Norvège, 17 % des Pays-Bas, 15 % de Russie et 13 % d'Algérie. Ces contrats long terme, qui portent parfois sur des durées de plus de vingt ans, offrent aux clients et aux fournisseurs la visibilité dont ils ont besoin pour prendre des décisions d'investissements nécessaires à la sécurité d'approvisionnement. Or certains pays producteurs considèrent que seul le prix du pétrole est suffisamment fiable sur la durée.

Toutefois, nul ne peut ignorer le bouleversement que le marché mondial du gaz est en train de connaître. On constate des prix extrêmement bas aux États-Unis, du fait de l'exploitation des gaz de schiste, des prix extrêmement élevés en Asie, notamment à cause de la forte demande et, entre ces deux extrêmes, il y a l'Europe, dont on connaît la situation.

Le développement du gaz naturel liquéfié est l'élément clé qui a conduit à la baisse des prix sur les marchés spot européens. Il est normal que les consommateurs européens puissent bénéficier de l'opportunité que représentent les marchés spot, et c'est la tendance actuelle. Cela se traduit par une augmentation progressive de la part des marchés spot dans les contrats long terme, qui atteint près de 26 % aujourd'hui.

Cette augmentation de la part d'indexation sur les marchés spot a vocation à se poursuivre. D'abord, à mesure que les marchés spot européens se développent, les indices de prix qui y sont associés ont tendance à devenir plus robustes. De plus, le découplage persistant entre les prix indexés pétrole et les prix sur les marchés spot pousse les fournisseurs à renégocier leurs contrats et à diversifier leurs modes d'indexation. Si les prix spot européens sont aujourd'hui élevés –trois fois plus qu'aux États-Unis –, ils restent, au mégawattheure inférieurs d'environ 5 euros aux prix indexés pétrole.

Si une augmentation de la part du prix spot dans les tarifs réglementés, au bénéfice du consommateur, semble aujourd'hui encore possible dans une certaine mesure, celle-ci pourrait cependant trouver rapidement ses limites, et ce pour deux raisons.

D'abord, le marché spot est fortement volatile : une trop forte indexation pourrait inciter les opérateurs à réduire la part des contrats long terme dans leur approvisionnement, au profit d'achats directs sur les marchés spot. Une telle évolution se ferait nécessairement au détriment de la sécurité d'approvisionnement.

Ensuite, s'agissant de la proposition de loi que vous nous présentez, il semble qu'un certain nombre de dispositions soient difficilement applicables.

Vous n'êtes pas sans savoir que la plupart des grands pays producteurs sont opposés à une indexation à 100 % sur les marchés spot. Certains, comme la Russie, ont accepté d'introduire une indexation partielle sur les marchés spot, mais ne sont pas disposés à aller plus loin ; d'autres, comme l'Algérie, y restent fermement opposés. Dans ces conditions, la poursuite du seul objectif d'augmentation de la part spot des contrats peut être contre-productive. L'expérience prouve en effet que certains pays peuvent être disposés à revoir leurs prix à la baisse, sans pour autant modifier la part d'indexation sur les marchés spot et sur les marchés pétroliers : c'est le cas, notamment, de l'Algérie.

Par ailleurs, dans la mesure où peu de contrats arrivent à échéance avant 2020, GDF-Suez ne pourrait sortir de cette relation contractuelle sans payer à ses fournisseurs des indemnités considérables, qui seraient in fine supportées par le consommateur ou le contribuable français. La mesure, du reste, ne semble pas proportionnée à son objectif, car elle obligerait tous les fournisseurs, y compris les alternatifs, dont le pouvoir de négociation est beaucoup plus limité que celui de GDF-Suez, et qui risquent donc d'être fragilisés par cette mesure, à revoir leurs contrats, alors que l'enjeu prioritaire concerne la fourniture de gaz au tarif réglementé.

Juridiquement, enfin, les dispositions de la proposition de loi qui nous est soumise pourraient être analysées comme une privation de propriété, en ce qu'elles risquent d'entraîner un déficit de couverture des coûts et justifier une indemnisation des fournisseurs. L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'autorise, en effet, la privation de propriété, que sous réserve de la nécessité publique, d'une part, et d'une juste et préalable indemnité, d'autre part.

Le Gouvernement partage donc les objectifs de cette proposition de loi, mais il n'accepte ni les moyens envisagés, ni les sacrifices qu'elle implique en termes de sécurité d'approvisionnement. C'est pourquoi il réfléchit à des pistes d'optimisation des coûts, ce qui passe par une progressivité adaptée à l'évolution du marché mondial du gaz. Il n'y a pas de situation immuable à cet égard : l'optimisation des coûts doit donc être supervisée en continu, et ne pas être complètement bouleversée par une telle proposition de loi, qui ne pourrait finalement être que contre-productive. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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