Intervention de Céline Gauer

Réunion du 26 novembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Céline Gauer, directrice de la direction « Marchés et cas :

La construction du dispositif français explique-t-elle le niveau de prix constaté, demandez-vous, et doit-on envisager une autre construction des tarifs qui intégrerait le long terme ?

Il est très dangereux, selon moi, de ne pas intégrer le long terme dans le secteur de l'électricité. Ce marché, comme celui du gaz, implique des investissements de très long terme que l'on doit rentabiliser sur des durées considérables. Pour certaines centrales, notamment les centrales nucléaires, il faut prendre en compte le délai de construction – entre le moment où l'on prend la décision d'investir et le moment où la centrale commence à produire, il peut s'écouler de nombreuses années – puis la période, également très longue, d'exploitation de la centrale. Tout système de tarification qui n'intègre pas la nécessité d'investir dans la création et l'entretien des capacités de production sera tôt ou tard dangereux pour la sécurité d'approvisionnement, mais aussi pour la concurrence : un opérateur historique assis sur un parc largement amorti peut sans doute se permettre de vendre en dessous de ses coûts pendant une période donnée, mais, dans ces conditions, personne d'autre ne peut être actif sur le marché, ce qui risque d'écarter les investissements permettant d'assurer la relève.

Le parallèle que vous établissez avec les télécommunications est intéressant à deux titres.

En matière d'infrastructures, il existe une différence essentielle avec le secteur de l'énergie : l'infrastructure énergétique ne peut pas être dupliquée. La concurrence des infrastructures de télécommunications a conduit à une réglementation de nature assez différente, puisqu'il faut constamment trouver un équilibre dans l'ouverture de l'accès aux infrastructures afin de ne porter préjudice ni à la concurrence en la matière ni au développement de nouvelles technologies plus performantes. Ce débat n'existe pas dans le domaine de l'énergie : il serait totalement inefficace de dupliquer les lignes à haute tension ou les gazoducs.

Pour ce qui est du forfait, je crois qu'il existe une autre différence très significative : alors que le consommateur peut téléphoner autant qu'il veut sans que cela nuise à la santé, nous avons tous intérêt à modérer la consommation d'énergie. L'atmosphère ne pourra pas continuer d'absorber de tels niveaux d'émissions de CO2, et l'on sait que la production d'électricité est une des premières sources de gaz à effet de serre. Il faut donc trouver une tarification qui n'encourage pas le gaspillage des ressources énergétiques. Les signaux de prix doivent être suffisamment clairs pour que les consommateurs et les entreprises trouvent un intérêt à ne pas gaspiller et à procéder à tous les investissements nécessaires pour être performants de ce point de vue.

Vous me demandez ensuite si la France utilise toutes les marges de manoeuvre dont elle bénéficie au plan européen pour faire baisser la facture des électro-intensifs.

À l'évidence, des réductions et des exemptions sont pratiquées, s'agissant notamment de la CSPE en tant que contribution au financement des énergies renouvelables. Une procédure est d'ailleurs en cours à ce sujet, puisque les dispositifs avaient commencé à fonctionner avant la mise en place d'une base de compatibilité en droit communautaire. Les autorités françaises devront prochainement se rapprocher de la Commission européenne pour lui soumettre un plan d'ajustement qui dessinera la trajectoire qu'elles souhaitent suivre en matière d'exemptions. Nous examinerons bien évidemment ces propositions. Il s'agit donc là d'une marge de manoeuvre qui est sur le point d'être utilisée en conformité avec le droit communautaire, du moins je le souhaite.

Je ne sais pas quelle est la tarification de réseau applicable en France. Cet aspect est de la compétence du régulateur national et ne fait pas l'objet d'un examen particulier de la Commission tant qu'elle n'est pas incohérente, injuste ou discriminatoire. Nous n'avons jamais eu de procédure à ce sujet, ce qui est sans doute une bonne nouvelle pour la France…

J'en viens à la question de la compétitivité face aux pays où l'électricité est peu chère et subventionnée.

Un mot d'abord sur les cimentiers. Ils consomment beaucoup d'électricité, certes, mais ils ne sont pas exposés à la concurrence internationale : le ciment voyage très mal. Il s'agit plus d'une question de coûts que d'une question de concurrence. Et nous devons garder à l'esprit que quelqu'un devra de toute façon payer la facture. En tout cas, il ne s'agit pas d'une industrie dont la délocalisation est à craindre.

Au reste, la délocalisation est une arme facile. Aujourd'hui, c'est le coût de l'électricité, demain ce sera celui du travail… Certaines entreprises se plaisent à agiter cette menace qui nous fait peur. Personne ne veut les voir fermer, évidemment, car elles représentent de l'emploi et de la croissance. À quel point, cependant, l'élément précis qu'elles identifient sera-t-il déterminant dans leur décision de maintenir une production ? Nous ne devons pas être naïfs. Veillons à ce que les autorités publiques ne soient pas prises en otage par des entreprises qui souhaitent simplement réduire leurs charges et accroître leurs profits. Je ne nie pas les problèmes, mais nous devons être vigilants.

Les comparaisons internationales récentes font apparaître que les différences de prix de l'électricité sont moins une question de subventions directes qu'une question de ressources naturelles. Lorsqu'un pays a accès à des ressources naturelles très importantes en hydrocarbures ou en électricité hydraulique, comme cela peut être le cas en Amérique du Nord, il est par construction dans une situation beaucoup plus favorable. J'ai grandi avec le slogan : « En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées », qui constitue sans doute la meilleure réponse. Ces idées, du reste, trouvent une expression dans les énergies renouvelables, qui font baisser les prix sur les marchés de gros et qui nous permettront peut-être, dans un avenir proche, d'être moins dépendants et plus efficaces.

Il ne s'agit pas principalement, j'y insiste, d'un problème de subventions auquel nous devrions répondre par des subventions, mais d'une question de ressources naturelles à laquelle nous devons répondre par l'innovation, la recherche et le développement.

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