Intervention de Guy Piolé

Réunion du 3 décembre 2014 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Mesdames et messieurs les députés, je suis honoré de vous présenter le contenu du rapport de la Cour des comptes consacré aux aides de l'État aux territoires concernés par les restructurations des armées. Nous avons consacré le premier semestre de 2014 aux investigations nécessaires à la rédaction de ce rapport, celui-ci ayant été élaboré puis contredit par quarante-cinq des quatre-vingts destinataires de nos observations provisoires – principalement des élus locaux – jusqu'en novembre dernier.

La réforme de l'outil de défense engagée en 2008 a touché quatre-vingts communes qui ont perdu leur implantation militaire ; ainsi, vingt régiments et douze bases militaires, soit 54 000 postes, devaient être supprimés entre 2009 et 2015. Ce mouvement a eu des effets économiques et sociaux majeurs dans les bassins concernés. Afin d'aider les collectivités, l'État a élaboré un plan d'aide massif, reposant sur une instruction du Premier ministre du 25 juillet 2008, dont l'objectif visait à recréer autant d'emplois qu'en détruisait la réforme. L'État – l'action des collectivités territoriales n'entrait pas dans le champ de la commande adressée la Cour – a mobilisé d'importants moyens pour atteindre ce but. La Cour des comptes dresse dans ce rapport le bilan des efforts de l'État, en France métropolitaine, pour redynamiser les territoires frappés par les restructurations.

Le dispositif a souffert d'un pilotage et d'une gouvernance imparfaits, mais les moyens budgétaires étaient abondants et le cadre contractuel des aides aux collectivités territoriales s'est révélé souple. La Cour a constaté que l'aide fournie par l'État – constituée de mesures dont certaines doublonnaient entre elles – n'avait pas forcément de lien évident avec le préjudice subi par le territoire, et il s'avère difficile d'évaluer son impact sur la création d'emplois et sur la situation des entreprises. Les cessions immobilières n'épousent pas toujours les intérêts de l'État ni même ceux du ministère de la Défense, celui-ci ne percevant d'ailleurs pas obligatoirement le produit de ces opérations.

Le plan d'action, ambitieux, a pâti de la faiblesse de sa gouvernance. 300 millions d'euros devaient lui être consacrés, de multiples acteurs étant chargés de sa gestion. Cette architecture n'a pas permis de faire émerger un pilotage affirmé, qui aurait dû échoir au Premier ministre. L'insuffisante coordination entre les acteurs, la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale – DATAR –, le Commissariat général à l'égalité des territoires – CGET –, le ministère de la Défense et ses établissements, le ministère de l'Intérieur et les opérateurs de l'État – a engendré une instabilité du dispositif qui a empêché le déploiement de certaines actions, comme le plan Grand Nord-Est, ou l'investissement de certaines structures, comme la Société de valorisation foncière et immobilière – SOVAFIM.

Les contrats de site – contrats de redynamisation de site de défense – CRSD – ou plans locaux de restructuration (PLR) – représentaient les supports principaux des aides versées par l'État aux collectivités territoriales. Le fonds pour les restructurations de la défense – FRED –, le fonds national d'aménagement et de développement du territoire – FNADT – et le fonds de soutien aux communes touchées par le redéploiement des armées – FSCT –, gérés respectivement par le ministère de la Défense, la DATAR-CGET, et la direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur, devaient financer ces contrats. À la fin de l'année 2013, cinquante et un contrats de site avaient été signés, dont une douzaine a été examinée par la Cour des comptes. À la même date, 233 des 300 millions d'euros programmés avaient été engagés dans des contrats, mais seuls 74,5 millions d'euros avaient été effectivement payés. Ces contrats ont eu un important effet de levier, puisque les collectivités territoriales ont engagé de leur côté plus de 1 milliard d'euros.

Nous n'avons pas réussi à mettre en évidence de lien entre le montant des aides versées par l'État et les dommages subis. Ainsi, Metz a perdu 5 078 emplois et a reçu 32 millions d'euros, quand Compiègne était aidé à hauteur de 9,4 millions d'euros pour 393 emplois supprimés. À la page 11 de notre rapport, un tableau recense les principales différences de traitement ; on y lit que le montant des fonds d'État consacrés à la compensation d'un emploi perdu varie de 2 800 euros à 96 000 euros.

Les projets inscrits dans les contrats de site – qui visent à redynamiser les territoires frappés par les restructurations – se sont avérés hétérogènes. Des avenants ont parfois été signés, preuve de la volonté d'élaborer rapidement le contrat pour s'assurer l'obtention d'un financement, quitte à le modifier par la suite. Contrairement à ce que prescrit la réglementation, des baux emphytéotiques administratifs ont pu être inclus dans ces contrats.

Une phase de diagnostic territorial devait obligatoirement précéder la signature d'un contrat. D'un faible enjeu financier – de l'ordre de 2 millions d'euros par rapport aux 233 engagés –, le contenu de cette procédure s'est avéré décevant.

Nous avons aussi constaté une dénaturation du fonds de soutien aux collectivités territoriales, qui était censé les aider à faire face à des difficultés budgétaires très ponctuelles et qui, pour des communes comme Briançon ou Barcelonnette, est devenu une source d'aide permanente.

Les aides aux entreprises ont revêtu plusieurs formes. La Cour s'est interrogée sur l'impact des exonérations fiscales et sociales, difficile à mesurer en l'absence d'évaluations conduites par l'administration centrale. Elle a tenté de combler cette lacune en adressant un questionnaire aux préfectures : les réponses ont montré qu'il est ardu d'estimer les effets de ces dispositifs d'exonération dont les administrations déconcentrées se sont peu emparées, ce qui explique que les chefs d'entreprise les connaissent mal. En matière d'emplois créés dans des zones de restructuration de la défense, l'État a surestimé l'impact des exonérations de cotisations sociales. Le succès de ce dispositif a été si faible que nous avons constaté une créance de l'État sur l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS –, alors que, en général, c'est plutôt la sécurité sociale qui possède des créances sur l'État.

Les subventions aux entreprises, prévues dans le plan et conformes au droit de l'Union européenne, reposaient sur des soutiens plafonnés à l'emploi et à l'investissement : un maximum de 600 000 euros par entreprise, ou de 10 000 euros par emploi créé ou de 5 000 euros par emploi maintenu. Il y a lieu de simplifier la procédure, qui est à la fois nationale et locale. En définitive, 255 entreprises ont bénéficié de ces subventions pour une création attendue de 5 000 emplois et un coût budgétaire de 35 millions d'euros. Ces aides ont parfois bénéficié à des structures qui se trouvaient dans une situation précaire, et nombre d'entre elles ont été liquidées dans l'année suivant le versement des subventions. Elles ont également pu permettre la pérennisation de certains emplois ou la transformation de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Le respect de la règle exigeant que l'emploi doive être maintenu pendant deux ans fut peu contrôlé. Nous n'avons pas non plus pu établir de relation entre l'aide versée et la qualification des emplois. Nous avons relevé deux cas où les plafonds des aides furent largement dépassés : il s'agit des sociétés Safran à Commercy dans la Meuse et Eurocopter en Seine-Saint-Denis, qui ont reçu respectivement 2,2 et 9,6 millions d'euros.

Les prêts participatifs ont été accordés par la Société de financement pour la réforme et le développement – Sofired –, mais celle-ci relève dorénavant de Bpifrance et non plus du ministère de la Défense, si bien qu'il n'est plus possible de tracer le dispositif. Lorsqu'elle faisait partie du ministère de la Défense, la Sofired avait prêté 1,7 million d'euros pour cinquante et un emplois, soit un bilan modeste. Le potentiel de prêts participatifs s'élève à 70 millions d'euros avec une garantie de 7 millions d'euros apportée par le ministère de la Défense.

Lorsque les armées quittent un territoire, elles libèrent des terrains, des casernes et des immeubles. Depuis 2004, le ministère de la Défense peut échapper à l'adjudication et procéder à des cessions négociées avec les acquéreurs – qui sont principalement des collectivités locales –, ce dispositif ayant été renforcé par la loi de finances pour 2009. La mission pour la réalisation des actifs immobiliers – MRAI – de la défense, créée en 1987, a pour vocation de sensibiliser les collectivités territoriales au devenir des emprises immobilières, de favoriser l'émergence de projets et d'évoquer les questions techniques comme la dépollution des sols. La MRAI a joué un rôle plus exposé que prévu en matière de négociation entre les préfets et les élus, du fait de la présence de France Domaine et de la SOVAFIM.

La cession à l'euro symbolique devait rester l'exception, mais elle est devenue la règle ; si une collectivité est partie à un CRSD, elle a le droit de demander le bénéfice de l'euro symbolique. Celui-ci a représenté pour l'État un manque à gagner de 156 millions d'euros jusqu'en 2013 – ce montant résultant d'une évaluation raisonnable du prix des terrains cédés. Or, ces opérations concernent parfois des terrains situés en centre-ville et parfaitement urbanisables.

De plus, la clause de complément de prix – qui vise à rattraper d'éventuelles plus-values réalisées par des collectivités sur des terrains revendus à l'euro symbolique – n'existe qu'en théorie. France Domaine n'utilise pas son droit de suite consistant à vérifier, pour chaque parcelle ou chaque emprise, si une collectivité a réalisé une plus-value sur la revente d'un terrain dans le cadre d'une grande opération d'aménagement.

Par ailleurs, le mécanisme de la décote a eu un impact sur les cessions à titre onéreux. La loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social a permis une décote de 100 % de la valeur des terrains. Ainsi, la décote et l'intervention mal coordonnée de certains acteurs ont entraîné le ministère de la Défense dans un rôle de financeur du logement social : celui-ci se trouvait en effet contraint d'accepter une décote sur les recettes qui lui étaient affectées au nom de la promotion du logement social. Nous préconisons de neutraliser l'effet de la décote, afin de libérer le ministère de la Défense de cette contribution au logement social, qui n'entre pas dans ses missions.

Enfin, la dépollution complique les cessions immobilières : l'État devait prendre en charge les frais de dépollution, mais le dispositif a prévu que l'acquéreur pouvait l'assurer. L'État ne parvenant pas à estimer précisément le coût de la dépollution, ceci conduit à des écarts parfois importants entre le montant évalué à partir du prix de vente et celui de la charge supportée in fine par l'acquéreur.

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