Intervention de Jean-Claude Ameisen

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Jean-Claude Ameisen :

Le CCNE est le premier comité consultatif national d'éthique créé au monde, il y a maintenant trente et un ans. Il compte quarante membres nommés par une quinzaine d'institutions et dont le mandat est de quatre ans, renouvelable une fois. Son président est nommé par le Président de la République pour une période de deux ans renouvelable.

Le CCNE a pour mission de produire des avis – ce que nos collègues anglo-saxons appellent des opinions, c'est-à-dire, en fait, des réflexions. La loi dispose qu'il peut les assortir de recommandations lorsqu'il le juge utile. Je le précise, car on croit souvent que la mission du Comité est de recommander.

Le Comité est également chargé d'organiser une journée annuelle de débats en public. En particulier, des élèves de première et de terminale d'une dizaine de lycées en France, qui ont travaillé au cours de l'année, sur la base du volontariat, avec leur professeur de philosophie ou de sciences de la vie et de la terre, viennent présenter devant le CCNE, en public, le résultat de ces travaux sur des sujets d'éthique biomédicale qu'ils ont choisis et en débattre. Cette contribution à la réflexion a pour nous une grande importance et nous aimerions que l'initiative s'étende à d'autres établissements.

La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique nous a confié une mission supplémentaire : lorsqu'un projet de loi est envisagé, le Comité initie l'organisation d'un débat public sous la forme d'états généraux comprenant des conférences de citoyens, après quoi il établit un rapport.

Ce qui nous a beaucoup occupés au cours des deux dernières années, ce sont les questions touchant à la fin de vie. Le Président de la République a nommé en juillet 2012 la commission de réflexion sur la fin de vie en France, dite commission Sicard, et a annoncé dès cette nomination qu'il saisirait le CCNE une fois que la commission lui aurait rendu son rapport, ce qu'elle a fait en décembre 2012.

Le CCNE a donc émis un avis sur les questions éthiques liées à la fin de vie, qu'il a rendu en juillet 2013, et dans lequel il proposait en conclusion, puisque le Président de la République avait annoncé le dépôt d'un projet de loi, la tenue d'états généraux réunissant des conférences de citoyens. C'était la première fois que le CCNE s'engageait dans une aventure de ce type.

Dans cette perspective, nous avons lancé à l'été 2013 un appel d'offres public pour choisir un prestataire. Un point important, qui a surpris nombre d'instituts : nous souhaitions que les citoyens ne soient ni indemnisés, ni rémunérés, mais seulement défrayés. Nous avons donc retenu l'Institut français d'opinion publique (IFOP), qui a sélectionné dix-huit personnes selon des critères de niveau de diplôme et de revenu, de résidence, de catégorie d'agglomération, d'âge et de sexe sinon représentatifs de la société française – ce qui supposerait un panel de près de mille personnes –, du moins conformes à la population de référence définie par l'INSEE. Ces dix-huit personnes se sont réunies pendant quatre week-ends.

Comme cela se pratique dans plusieurs pays d'Europe du Nord et au Canada, nous avons choisi les personnalités avec lesquelles elles pouvaient dialoguer pendant trois de ces week-ends pour s'informer à propos des questions en débat. Lors de la formulation de l'avis 121 du Comité, les opinions avaient été contradictoires sur la question de l'euthanasie et de l'assistance au suicide, les points de vue étant unanimes sur le reste : la majorité du CCNE recommandait de ne pas modifier la loi en ce sens et une minorité a élaboré une opinion opposée. Pour sélectionner les intervenants, nous nous sommes donc appuyés à la fois sur le choix des rapporteurs de l'avis majoritaire et sur celui du rapporteur de l'opinion minoritaire. Nous avons également décidé de proposer aux citoyens dix intervenants représentant l'horizon le plus large possible, puis de les laisser choisir les autres eux-mêmes. En d'autres termes, nous ne voulions pas les influencer, mais leur permettre de poursuivre leur réflexion après avoir reçu une information minimale.

Ils ont ensuite rédigé leur avis. Toujours pour ne pas les influencer et bien que cela nous intéressât beaucoup, nous avons décidé que le Comité ne participerait pas à leurs auditions ni à leur réflexion. Nous leur avons donc demandé de donner eux-mêmes, en notre présence, la conférence de presse destinée à exposer leur avis et à répondre aux questions des journalistes.

Une fois cette étape franchie, nous nous sommes engagés dans un autre exercice, pour nous inédit. Le Conseil d'État, réfléchissant au cas de M. Vincent Lambert, a en effet demandé au CCNE, au Conseil national de l'ordre, à l'Académie nationale de médecine et à M. Jean Leonetti de lui adresser des observations écrites de nature générale pour l'éclairer sur les questions concernant l'obstination déraisonnable et ce que la loi du 22 avril 2005 et le code de la santé publique appellent le maintien artificiel de la vie, pour des personnes qui, comme M. Vincent Lambert, se trouvent dans un état dit pauci-relationnel.

Nous avons donc réfléchi, travaillé et produit ces observations écrites, en nous interrogeant en particulier sur la notion de procédure collégiale mentionnée dans la loi du 22 avril 2005. Il s'agit d'une procédure de consultation par le médecin des autres soignants, d'autres médecins, de la famille et des proches, mais au terme de laquelle il décide seul. Il nous a donc semblé que l'on ne pouvait parler de procédure collégiale, mais bien d'une procédure de consultation préalable à une décision prise seul, et qu'il serait peut-être bon d'en faire une délibération et une décision collectives, comme dans d'autres pays, dont l'Allemagne. En effet, l'élément essentiel – celui qu'a retenu le Conseil d'État dans son jugement – est ce que l'on peut savoir de la volonté que la personne aurait exprimée. Or, paradoxalement, le médecin est le moins bien placé pour le dire puisque, dans de tels cas, il ne l'a pas connue avant qu'elle devienne incapable de s'exprimer. Nous avons donc réfléchi à ce que pourraient être cette délibération et cette décision collectives.

Puis, conformément à la loi relative à la bioéthique, nous avons travaillé à un rapport qui ne doit pas être confondu avec l'avis du CCNE sur la fin de vie, que nous avions déjà rendu, mais portait sur ce que nous avions perçu du débat public sur le sujet – constat, demandes, contradictions, enjeux éthiques.

Grâce à la commission Sicard qui avait organisé des débats avec des citoyens dans neuf villes, des états généraux étaient en quelque sorte amorcés. En outre, une fois notre avis rendu, j'avais réuni en septembre 2013 tous les directeurs des espaces régionaux de réflexion éthique – formellement créés il y a deux ans, à raison d'un par région en principe – pour leur demander, conformément à l'une de leurs missions, de donner aux discussions une dimension plus large d'états généraux en organisant dans leur région des débats publics sous la forme qu'ils jugeraient la meilleure et, s'ils le souhaitaient, sur la base du volontariat. Huit espaces régionaux de réflexion éthique nous ont rendu compte des débats ainsi organisés, sous des formes très diverses d'ailleurs, et nous en avons mis le résultat en ligne.

Notre rapport est donc issu à la fois des travaux de la commission Sicard, de ces débats dans les espaces régionaux de réflexion éthique, de la conférence des citoyens, de l'avis 121 du CCNE, mais aussi du rapport 2013 de l'Observatoire national de la fin de vie (ONFV) sur la fin de vie des personnes âgées et du travail du comité de bioéthique du Conseil de l'Europe sur le processus décisionnel en fin de vie, auxquels s'ajoutent plusieurs autres opinions. Il dresse un constat, se fait l'écho de plusieurs demandes et recommandations et rend compte de l'émergence, selon nous très générale dans le pays, de deux nouveaux droits sur lesquels je reviendrai, mais aussi de grandes divergences concernant l'assistance au suicide et l'euthanasie. Ces divergences concernent l'argumentation, les recommandations, voire, y compris au sein du CCNE, la sémantique : qu'entend-on vraiment par « assistance au suicide » ? En quoi cela diffère-t-il de l'euthanasie, du laisser-mourir, de l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielles pour une personne qui se trouve dans la situation de Vincent Lambert ?

Ce travail nous a d'autant plus occupés et intéressés que la durée des débats – plus de deux ans au total – a permis à la fois d'approfondir et d'étendre notre réflexion, à l'image, sans doute, de ce qui s'est passé pour l'ensemble de la société. En d'autres termes, certaines questions, que nous n'avions pas considérées comme essentielles, sont apparues lorsque nous avons tenté de comprendre ce qui s'exprimait dans la société.

Nous avons par ailleurs rendu trois autres avis. Le premier, à la demande du ministère de la santé, sur les problèmes éthiques posés par la commercialisation d'autotests de dépistage rapide de l'infection par le VIH. Le deuxième, à la demande de la direction générale de la santé, sur les nouvelles méthodes de séquençage complet de l'ADN d'un foetus à partir d'une goutte de sang maternel prélevée à huit semaines de grossesse, notamment pour rechercher une trisomie 21. Le troisième résultait de la mission d'observation et de questionnement éthique portant sur les avancées des neurosciences, que nous a confiée la loi relative à la bioéthique de juillet 2011. Il concernait la « neuro-amélioration », ce que l'on appelle en anglais, d'un terme assez ambigu, neuro-enhancement, qui signifie à la fois « neuro-accroissement » et « neuro-amélioration » – comme si toute amélioration découlait nécessairement de l'augmentation d'un certain nombre de caractéristiques.

J'en viens aux trois principaux sujets sur lesquels nous travaillons actuellement. D'abord, l'assistance médicale à la procréation (AMP). Plusieurs questions se posent à propos de son indication : cryopréservation des ovocytes en vue d'une grossesse future, insémination au sein d'un couple de femmes, anonymat des donneurs de gamètes, gestation pour autrui (GPA). Nous avons décidé de ne pas les étudier séparément, mais d'aborder l'AMP comme une question globale, un peu à l'image de la fin de vie, et d'appliquer à ces différents problèmes la grille de lecture que nous jugerions intéressante de ce point de vue général, en lieu et place de réflexions plus étroites qui risqueraient d'être contradictoires. Le ou les avis qui en découleront ne devraient pas être rendus publics avant le printemps ou l'été prochain.

Ensuite, nous étendons notre travail sur le séquençage de l'ADN chez le foetus en réfléchissant aux questions éthiques liées aux nouvelles techniques de séquençage complet de l'ADN à tous les âges de la vie.

Enfin, dans un domaine pour nous inhabituel, nous étudions les questions éthiques posées par la dégradation de la biodiversité et par les changements climatiques.

Un mot sur nos activités et relations internationales. Un sommet mondial des comités d'éthique a lieu tous les deux ans. Le dernier s'est tenu à Mexico à l'été 2014 ; le prochain sera organisé à Berlin. S'y ajoutent, une à deux fois par an, les réunions du forum des comités d'éthique nationaux (NEC Forum) de l'Union européenne. La dernière a eu lieu la semaine passée à Rome. Enfin, nous avons institué depuis quelque temps des relations trilatérales avec nos homologues allemand – le Deutscher Ethikrat – et anglais – le Nuffield Council on Bioethics –, elles aussi rythmées par une à deux réunions annuelles. Cette dimension internationale est essentielle à la réflexion du CCNE.

C'est d'ailleurs le premier de nos trois principaux projets pour l'avenir : développer notre réflexion dans un contexte international. En travaillant avec les comités consultatifs d'éthique d'autres pays, nous identifions leurs points aveugles, leurs a priori, et eux les nôtres, ce qui enrichit considérablement la réflexion. Nous avons ainsi demandé aux comités anglais et allemand de réfléchir aux implications éthiques de la diversité législative en Europe et dans le monde concernant l'AMP, en particulier la GPA. Ce point pourra faire l'objet d'un travail dans le cadre du sommet mondial de Berlin. Le problème se pose surtout au niveau européen. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour européenne de justice garantissent que toutes les pratiques autorisées en Europe sont a priori compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne. Comment le concevoir alors que chaque pays a, légitimement, sa propre conception de ce respect, en l'occurrence celui des droits de la femme ?

De même, à propos de la biodiversité, sujet de portée mondiale, il n'est pas question de s'en tenir à ce que pense le comité d'éthique français. Nous souhaitons donc faire appel à nos collègues d'Europe et d'autres continents, en particulier dans l'hémisphère sud. Avant de finaliser notre avis, nous prévoyons par conséquent d'organiser, dans le contexte de la conférence sur le climat qui se tiendra en décembre 2015 à Paris, un symposium international avec des homologues d'autres pays, afin de voir dans quelle mesure l'approche éthique peut nourrir les réflexions des experts et des organisations non gouvernementales sur le sujet.

Par ailleurs, au cours du débat public sur la fin de vie, il nous est apparu que les espaces régionaux de réflexion éthique sont encore très hétérogènes : certains sont tout récents, d'autres plus anciens. Sans doute faudrait-il associer d'autres institutions aux réflexions publiques à venir. Nous discutons actuellement avec la Commission nationale du débat public de l'aide que celle-ci, passant du domaine environnemental aux questions d'éthique biomédicale, pourrait nous apporter dans l'organisation de tels débats.

Notre troisième projet est d'étendre aux étudiants le travail que le Comité conduit depuis longtemps avec les lycéens. Nous avons donc noué depuis cet été avec l'École normale supérieure un partenariat aux termes duquel, à partir du début de l'année prochaine, des séminaires transdisciplinaires impliquant des étudiants en sciences humaines et sociales et en sciences « dures », ainsi que des enseignants de l'ENS, vont réfléchir avec des membres du CCNE à des questions touchant l'éthique biomédicale. Un colloque annuel permettra d'ouvrir cette réflexion au public.

J'insisterai en conclusion sur le rôle pédagogique du CCNE, bien mis en lumière par la réflexion sur la fin de vie et ses diverses modalités de communication : ma conviction est que la mission du CCNE n'est pas de penser à la place de la société, mais de lui permettre de mieux réfléchir et de mieux choisir dans les domaines où les enjeux éthiques et de respect des droits de la personne sont importants.

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