Parmi les différents problèmes qui se posent ici, je ne citerai que l'instrumentalisation de la femme. On l'a bien vu avec l'offre d'Apple et celle de Facebook, il peut être très intéressant pour un employeur de rembourser à ses employées la cryopréservation – non prise en charge par l'assurance maladie aux États-Unis – à condition qu'elles ne soient pas enceintes ni n'élèvent un enfant pendant la période où elles travaillent pour lui. Celles qui déclineraient la proposition n'auraient qu'à aller voir ailleurs. En d'autres termes, ce qui peut apparaître comme une forme de liberté pourrait bien se révéler une contrainte très lourde.
S'agissant des données de santé, Didier Sicard, président d'honneur du CCNE, est à la tête d'un organisme dont le but est de mettre plus facilement les données de l'assurance maladie à la disposition des équipes de recherche. Je pense comme lui que c'est essentiel. N'a-t-il pas suffi d'examiner pendant quarante-huit heures les données de l'assurance maladie pour s'apercevoir des effets graves du Mediator, alors que quinze ans d'observation pharmacologique n'avaient pas montré grand-chose ? Compte tenu de l'immense pouvoir explicatif de ces données, le fait de ne pas les rendre disponibles pour la société pourrait être considéré comme une forme de non-assistance à personne en danger.
En Angleterre, par exemple, de telles données sont collectives. Cela pose évidemment d'importants problèmes de protection des données et de confidentialité. Ils sont d'ailleurs de plus en plus prégnants en recherche biomédicale puisqu'il va être de plus en plus difficile, voire impossible, d'anonymiser les données génétiques. Mais, à condition de se donner les moyens de protéger la vie privée, il faut utiliser ces données sauf à faire preuve d'une forme d'aveuglement volontaire, néfaste à la santé publique. Car elles sont cruciales pour comprendre les avantages, les inconvénients et les coûts comparés des différentes approches possibles en la matière.
S'agissant enfin des prises de position de certains praticiens sur lesquelles j'ai été interrogé, le CCNE continue de travailler sur les enjeux éthiques de la communication d'informations scientifiques et médicales, à propos desquels il a déjà rendu un avis et qui faisaient partie des thèmes de la réunion européenne des comités d'éthique à Rome. Il s'agit d'ailleurs d'un sujet récurrent. L'une des premières saisines du comité d'éthique de l'INSERM lorsque j'en étais le président concernait ainsi une entreprise de biotechnologie qui prétendait avoir mis au point un test de diagnostic de l'autisme avant ou après la naissance – on en est loin aujourd'hui, une dizaine d'années plus tard.
L'aspect déontologique et les questions d'intégrité ne sont pas directement de notre ressort. Pour nous, l'enjeu est de faire en sorte que la société et les pouvoirs publics assurent la diffusion d'une information validée, aussi peu biaisée ou sujette à des liens d'intérêts que possible. Plutôt que d'essayer de faire taire des voix qui, selon nous, ne disent pas le vrai, donnons autorité et visibilité à des informations entérinées et recoupées, que chacun sera capable de trouver dans le concert des opinions.
J'espère avoir répondu à la plupart de vos questions.