Intervention de Pierre Morange

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morange, rapporteur :

En effet, le rapport de la MECSS s'inscrit dans la continuité du rapport publié par la Cour des comptes en septembre 2012, après les rapports présentés par MM. Jean-Claude Mallet et Gérard Dumont ainsi que par M. Didier Eyssartier, mais aussi dans le cadre de la réflexion sur la permanence des soins.

Particulièrement dynamiques, les dépenses de transport de patients sont passées de 2,3 milliards en 2003 à 4 milliards d'euros en 2013. Entre 2001 et 2010, leur augmentation au sein de l'ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance maladie) a été de 63 %, contre 39 % pour les autres dépenses comprises dans ce périmètre.

Pour expliquer cette évolution, on a coutume d'invoquer trois facteurs. D'abord, le vieillissement démographique, ensuite, l'augmentation du nombre de personnes atteintes d'affections de longue durée (ALD), qui concernent 60 % des personnes transportées et concentrent 80 % des dépenses de transport. Cinq pathologies dominent : le cancer, pour 23 % des dépenses, l'insuffisance rénale chronique – essentiellement les dialyses –, à hauteur de 17 %, les troubles psychiatriques et les maladies cardio-vasculaires, pour 15 % et, enfin, le diabète. Le troisième facteur de cette progression est le regroupement géographique des plateaux techniques spécialisés.

Mais d'autres paramètres interviennent : la gouvernance du secteur n'est pas maîtrisée ; l'offre de transports est hétérogène et hypertrophiée ; la demande n'est pas correctement encadrée et le contrôle reste insuffisant.

D'une manière générale, le dynamisme de la dépense s'explique par un dévoiement du sens initial de la prescription du transport de patients. Celui-ci dépend en principe d'une décision médicale, laquelle est soumise au code de la sécurité sociale, en particulier à son article L. 322-5 : le mode de transport choisi doit être le moins onéreux qui soit compatible avec l'état du patient, et celui-ci doit être orienté vers l'établissement approprié le plus proche.

Or, du côté des patients, cette prestation médicale est désormais perçue comme un droit au transport justifiant la délivrance d'une sorte de bon de transport.

Quant aux professionnels de santé, ils ne s'appuient pas assez sur le référentiel de prescription de transport de 2006, lui-même insuffisant. Il arrive, d'ailleurs, que la prescription soit établie par une secrétaire médicale, parfois même a posteriori, sous la pression des entreprises de transport.

Du côté des transporteurs, en effet, qui se répartissent entre les ambulances, les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis, on observe des stratégies d'optimisation financière. Entre 2003 et 2013, les dépenses de transport en ambulance sont passées de 900 millions à 1,6 milliard d'euros ; les dépenses de VSL sont restées stables, à 800 millions d'euros, alors que le poste taxis est passé de 500 millions à 1,5 milliard d'euros. Cette forte hausse doit être mise en relation avec la tarification, celle des taxis étant supérieure de 50 % en moyenne à celle qui s'applique aux VSL. On constate par ailleurs une très forte augmentation de la flotte de taxis, le nombre de véhicules conventionnés passant de 31 000 à 37 000 entre 2009 et 2013.

À ces paramètres s'ajoute, je l'ai dit, une gouvernance éclatée. Deux ministères pilotent le transport de patients : le ministère des affaires sociales et de la santé, par l'intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), dont dépendent les agréments, et des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), qui gèrent le conventionnement et le ministère de l'intérieur, qui supervise les taxis, sachant que ce sont les maires qui délivrent les autorisations de stationnement. En outre, l'articulation entre l'agrément et le conventionnement fait défaut. Tous ces facteurs empêchent de rationaliser l'offre pour répondre à la demande.

Enfin, le contrôle est insuffisant, notamment lorsqu'il s'agit de vérifier les surfacturations, et les pénalités ne sont pas assez dissuasives.

Dans son rapport – adopté à l'unanimité par les membres de la MECSS, ce dont je remercie la coprésidente Mme Gisèle Biémouret et l'ensemble des membres de la mission, sans oublier nos administrateurs qui ont fourni un travail remarquable –, la MECSS formule 22 préconisations.

Pour coordonner le pilotage – c'est le premier chapitre –, nous proposons en premier lieu d'inclure un volet transport dans les schémas régionaux d'organisation des soins des ARS, afin de mieux appréhender l'effet du regroupement de plateaux techniques sur les déplacements. Deuxièmement, pour mieux articuler la délivrance de l'agrément et le conventionnement, les CPAM seraient désormais chargées de l'agrément, par délégation de compétence de l'ARS. Cette unité de commandement mettra un terme à la situation absurde dans laquelle le retrait de l'agrément entraîne automatiquement le déconventionnement alors que la réciproque n'est pas vraie. Troisièmement, un représentant des caisses primaires locales d'assurance maladie participerait au comité de transport sanitaire. Quatrièmement, les données, en particulier le répertoire national des transports de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), seraient partagées entre tous les acteurs ; les ARS y tiennent beaucoup.

Pour restructurer l'offre, ensuite, notre cinquième préconisation tend à harmoniser la tarification des transports assis professionnalisés (TAP) en rapprochant les tarifs des taxis et ceux des VSL, sur le fondement du kilométrage et de la prise en charge, abstraction faite des retours à vide et des temps d'attente qui n'ont pas à être facturés à l'assurance maladie. En revanche, une majoration bénéficierait aux transports partagés, dont le développement pourrait permettre d'économiser 150 millions d'euros par an, à en croire la Fédération nationale des transporteurs sanitaires. On voit la portée d'une simple rationalisation – car rationaliser, et non rationner, telle est l'antienne de la MECSS.

Notre sixième préconisation vise à actualiser l'arrêté de 1995 qui définit les plafonds d'autorisation de mise en service des véhicules sanitaires en fonction des besoins de la population. Elle a été quelque peu anticipée par l'adoption de l'article 45 du PLFSS pour 2015.

Septième préconisation : rendre conforme l'avis de la commission départementale ou communale quant à la délivrance des autorisations de stationnement des taxis, toujours afin de réguler l'offre.

J'en viens au chapitre de la rationalisation des dépenses, qui correspond à nos préconisations 8 à 12. La huitième préconisation consiste à favoriser le transport partagé dans les VSL et les taxis. La neuvième tend à inciter les patients à utiliser un mode de transport individuel car, dans nombre de cas, le simple remboursement des frais de stationnement pourrait heureusement se substituer aux dépenses de transport de patients. Dixième préconisation : créer une carte individuelle de transport pour les patients atteints de pathologies chroniques, notamment celles qui nécessitent des dialyses, afin d'instaurer une sorte de forfaitisation.

La onzième proposition concerne la budgétisation hospitalière des dépenses de transport qui constitue un sujet sensible : les transporteurs de patients redoutent que les petites entreprises de transport disparaissent faute de pouvoir répondre aux appels d'offres qui en découleraient. Rappelons que, sur les 5 500 entreprises de transport de patients existantes, qui regroupent 55 000 salariés, 4 % seulement emploient plus de 50 salariés. Toutefois, 40 % des entreprises de transport sanitaire possèdent aussi une flotte de taxis.

La budgétisation hospitalière suppose d'introduire un volet transport dans la conférence médicale d'établissement ; de rendre obligatoire l'individualisation des prescriptions des praticiens hospitaliers afin de les responsabiliser – 63 % des prescriptions de transport émanent des établissements de soins – et de garantir la traçabilité de l'acte ; enfin, de restructurer les flux de transport au sein de l'hôpital grâce à une gestion centralisée incluant l'anticipation des sorties, la création de salons d'attente, la centralisation de la commande de transport et la revitalisation du « tour de rôle », lequel évitera d'exclure les petits transporteurs en donnant leur chance à tous ceux qui satisfont aux clauses techniques et aux normes sanitaires.

Douzième proposition : demander au Gouvernement de publier le décret d'application de l'article 39 du PLFSS pour 2014, qui permet de mener des expérimentations en vue d'internaliser la prestation de transports.

D'autres préconisations ont pour objet de renforcer et d'améliorer le contrôle. La treizième tend à compléter le formulaire de prescription de transport par la mention du point d'arrivée et, le cas échéant, de l'origine. Quatorzième préconisation : encourager la dématérialisation de la prescription auprès des professionnels de santé et des transporteurs. Préconisation 15 : rendre obligatoire la géolocalisation de tous les véhicules – ambulances, VSL et taxis – en en faisant une condition du conventionnement avec l'assurance maladie. Seizième proposition : améliorer le référentiel de prescription de 2006 précité en l'affinant par des fiches repères établies par la CNAMTS et validées par la Haute Autorité de santé (HAS). Dix-septième proposition : donner pour instruction aux directeurs des CPAM d'appliquer systématiquement des pénalités financières lors d'un recouvrement d'indus et de saisir tout aussi systématiquement le juge pénal.

Dernier chapitre : la rénovation des transports urgents pré-hospitaliers.

Dans cette perspective, la dix-huitième préconisation tend à demander au Gouvernement de prendre le décret d'application de l'article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui permet de mener des expérimentations concernant les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers.

La dix-neuvième vise à instaurer des plateformes communes aux services d'incendie et de secours (SDIS) et aux services d'aide médicale urgente (SAMU), à rebours d'une opposition « culturelle » entre « rouges » et « blancs ». Dans les départements qui ont expérimenté ces plateformes, les compétences de chacun ne sont nullement remises en cause. On ne peut continuer de faire dépendre de dispositifs séparés ces deux structures qui bénéficient de financements publics.

Vingtième proposition : faire participer un représentant de l'assurance maladie au comité départemental de l'aide médicale urgente.

Vingt-et-unième proposition : revoir les secteurs de la garde ambulancière. En la matière, le principe est le suivant : les transporteurs privés assurant la garde perçoivent un forfait de 346 euros par période de douze heures et un abattement de 60 % sur le tarif conventionnel s'applique à chaque déplacement. Or la garde ambulancière est très peu utilisée dans certains territoires, au point que l'on peut s'interroger sur la nécessité d'un tel dispositif financièrement aussi lourd et pourtant insuffisant dans la mesure où l'indemnité couvrirait à peine 75 % du coût, selon les transporteurs sanitaires. En outre, on constate des tentatives de contournement du dispositif : certaines entreprises chargées d'établir le « tour de garde » organisent la carence pour faire sortir des véhicules à plein tarif la nuit, ce qui n'est pas tolérable.

Il est donc proposé que les SDIS prennent le relais lorsque le nombre de déplacements et les besoins ne justifient pas le maintien de la garde ambulancière. Plus précisément, le redécoupage serait non seulement géographique mais temporel, grâce à une distinction entre la période qui précède minuit, où le nombre de demandes est maximal, et la seconde partie de la nuit – dite nuit profonde –, qui, ne nécessitant pas un système de garde ambulancière, pourrait être couverte par les SDIS, déjà présents dans les départements.

La vingt-deuxième et dernière préconisation consiste en une mesure disciplinaire de retrait de l'agrément des entreprises de transport sanitaire qui ne respecteraient pas leurs obligations de garde ambulancière.

Dans son rapport de septembre 2012, la Cour des comptes évaluait à 450 millions d'euros les économies susceptibles d'être réalisées sur les dépenses de transport de patients, dont un tiers résulterait d'un plus grand respect du référentiel de prescription, un tiers de la réforme de la garde ambulancière et un tiers du contrôle et de la lutte contre la fraude.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion