Intervention de Général Pierre Renault

Réunion du 2 décembre 2014 à 16h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Général Pierre Renault, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale :

Les opposants adoptent également une stratégie de communication, avec des comportements très sélectifs vis-à-vis des médias, et des pressions sur les journalistes qui essaient de tourner des films. Ils filment eux-mêmes leurs actions en tâchant de mettre en évidence des réactions disproportionnées des forces de l'ordre et des violences illégitimes. Le tout est encadré par une legal team qui assure le conseil juridique et conduit des actions en justice. On trouvera sur le site de Sivens, à l'occasion d'une opération, un kit judiciaire appelé « Kit de l'autodéfense juridique et médicale pour les manifestants et les activistes ». De même, sera découvert et saisi un kit pour la fabrication d'engins explosifs et incendiaires.

Après la fin du défrichage de la zone de Sivens début octobre, le chantier marque une pause, qui se traduit par une accalmie au plan de l'ordre public. C'est dans ce contexte qu'une manifestation de grande ampleur est annoncée pour le 25 octobre, date anniversaire de la création de la ZAD du Testet, et déclarée en mairie de Lisle-sur-Tarn.

Dans un souci d'apaisement, le préfet décide de ne pas s'opposer à la tenue de cette manifestation pacifique. Le directeur de cabinet organise les réunions en ce sens, avec les différents responsables, y compris les organisateurs du rassemblement. Il s'agira de prévoir un dispositif, le plus discret possible, pour éviter que les choses ne s'enveniment. La manifestation est organisée à un kilomètre et demi du chantier, et il est convenu avec les organisateurs que le cortège ne doit pas s'approcher à moins de 500 mètres. L'analyse des directives et des différents comptes rendus de réunion que l'IGGN a eu en sa possession met en évidence, je le répète, un souci d'apaisement, et la préoccupation que la manifestation anniversaire se passe dans les meilleures conditions.

Dans ce contexte, les unités de forces mobiles accordées en renfort à la demande du préfet reçoivent pour mission de se tenir en réserve d'intervention aux abords de la zone de Sivens, hors de la vue des manifestants. La lettre du préfet au directeur de cabinet du ministre, en date du 24 octobre, évoque clairement la mission de sécurisation de la base vie confiée à la gendarmerie, en soutien, si nécessaire, des vigiles.

Les choses vont s'envenimer à partir du 24 octobre au soir. Le site est protégé par trois vigiles qui, peu après minuit, appellent au secours car ils sont agressés par des manifestants radicaux s'employant par ailleurs à détruire les installations du site. Les gendarmes mobiles interviennent sur instruction du commandant de groupement pour dégager le site : trois pelotons se heurtent à quelque 150 manifestants violents, subissant jets de cailloux et de cocktails incendiaires, et tirs de mortiers artisanaux. Au cours de cet affrontement, 150 grenades et munitions sont utilisées, dont dix-sept grenades offensives.

L'après-midi du 25 octobre, date de la manifestation, le cortège outrepasse la ligne des 500 mètres convenue avec les autorités et se rapproche au contact des forces de l'ordre. Des affrontements ont lieu, au cours desquels six CRS sont blessés, dont deux très gravement.

Ces événements modifient la perception des enjeux. Les responsables locaux décident de protéger la base vie du chantier jusqu'au lundi 27 au matin par une présence permanente des forces de l'ordre. J'ai retenu les raisons suivantes. Premièrement, la protection du site ne peut être assurée par les vigiles seuls en cas d'agression. Deuxièmement, les organisateurs de la manifestation seront vraisemblablement incapables de tenir leurs engagements de maintenir les opposants à l'écart du site. Troisièmement, la présence d'un escadron sur la zone permet de s'interposer en cas d'affrontement entre riverains – des agriculteurs favorables au projet – et manifestants. Quatrièmement, enfin, cette présence permet de faciliter la reprise des travaux le lundi matin. L'expérience a en effet prouvé que, si les opposants les plus déterminés occupent le site, ils pourront le condamner et le piéger, ainsi que ses accès, ce qui conduirait les autorités à devoir mener, le lundi matin, des opérations de grande envergure pour dégager les axes routiers et reprendre le contrôle du site – vous trouverez dans le rapport, en annexe 3, des photos des moyens de piégeage découverts lors des différentes opérations. Ces opérations de reprise et de contrôle du site comporteraient un risque important d'incidents mettant en jeu la sécurité des gendarmes et des manifestants. Ce nouveau plan est conçu par le directeur de cabinet et le commandant de groupement de gendarmerie, et validé par le préfet le 25 octobre.

La chronologie des événements de la nuit du 25 au 26 octobre développée ci-après est fondée sur les entretiens menés par les enquêteurs, l'exploitation des films enregistrés par l'escadron de La Réole et la retranscription des enregistrements audio des échanges téléphoniques avec le centre opérationnel. La presse a souvent fait allusion à des journaux de marche et d'opération rédigés par la gendarmerie mobile ou la gendarmerie départementale. L'IGGN a pris comme référence la chronologie qui ressort des enregistrements sonores effectués en temps réel au niveau du centre d'opérations et de renseignement du Tarn, à Albi. Ces pièces sont également versées au dossier de l'enquête judiciaire. Elles n'appellent pas de commentaires, contrairement à des écrits parfois sibyllins, voire faux.

Le 25 octobre, à minuit, a lieu une relève d'escadron sur la base vie du chantier. L'escadron qui prend la relève a un effectif de soixante-douze gendarmes mobiles ; c'est, me semble-t-il, l'effectif minimum pour ce type de mission. L'escadron reçoit ses ordres du lieutenant-colonel commandant le groupement tactique, qui l'informe des affrontements de l'après-midi.

À partir de minuit vingt-cinq, de cinquante à soixante-dix manifestants commencent à lancer des projectiles, au plus près, en profitant de l'obscurité. Dans son audition par l'IGGN, le commandant de l'escadron de La Réole indique que le niveau de violence s'accroît très rapidement. Le commandant du groupement tactique temporise aussi longtemps que possible avant de faire les premiers avertissements, vers minuit trente-cinq. Comme le prévoit la doctrine, il retarde l'usage des armes autant que le permettent la sécurité des gendarmes et sa capacité à tenir le terrain.

À minuit quarante-neuf, considérant l'escalade des moyens employés par les opposants – cailloux, puis cocktails incendiaires et fusées de détresse en tir tendu –, le commandant du groupement tactique donne l'ordre de tirer les premières grenades lacrymogènes, et en rend compte au centre opérationnel. Il constate rapidement que ces tirs ne permettent pas de repousser les opposants, qui se sont prémunis contre les gaz.

À une heure trois, sous la menace des projectiles divers lancés sur les gendarmes mobiles, il donne l'ordre d'utiliser des grenades F4 – mixtes lacrymogènes-effet de souffle – et offensives – effet de souffle. Cette nuit-là, l'escadron tire 237 grenades lacrymogènes, 38 grenades F4 et 23 grenades offensives.

Vers une heure quarante, les manifestants reçoivent des renforts arrivant par le chemin départemental 32, sans doute en provenance de la rave party organisée à la Métairie Neuve, située à un kilomètre et demi. L'évaluation du nombre de personnes est rendue difficile par l'obscurité – éclairée seulement par quelques projecteurs et les phares des véhicules de la gendarmerie, ainsi que par les feux allumés ici et là par les manifestants – et leur dissémination sur le terrain. Les tentatives de débordement se précisent : à ce stade, du côté du ruisseau l²e Tescou, le dispositif est protégé par un groupe de huit gendarmes mobiles.

Selon ses déclarations, le chef qui a lancé la grenade offensive ayant atteint Rémi Fraisse n'en a lancé qu'une seule dans la soirée, utilisant plutôt le lanceur de balles de défense (LBD) à sa disposition. Avant de lancer sa grenade, il demande l'autorisation à son commandant de peloton, qui la lui accorde, compte tenu de la situation, à savoir qu'un groupe de manifestants s'approche de leur position et que les gendarmes sont vraisemblablement en infériorité numérique. Le chef se retire quelques instants pour utiliser des jumelles à intensification de lumière, de façon à voir le terrain en face de lui et positionner le mieux possible les manifestants. Après ce repérage, il adresse à haute voix un avertissement aux manifestants hostiles, puis lance sa grenade dans le secteur préalablement identifié et réputé inoccupé. Ayant devant lui un grillage d'une hauteur de 1,80 mètre, il lance la grenade avec un mouvement de bras parabolique, ou en cloche.

Dans son audition, le commandant du peloton Charlie dit ne pas avoir suivi la trajectoire de la grenade mais que, après la détonation, il aperçoit un manifestant tomber au sol. Il n'est pas en mesure de faire la relation entre les deux situations.

Les auditions des personnels du peloton Charlie indiquent qu'au bout de quelques instants, un gendarme signale une masse sombre à terre. À l'aide d'une lampe individuelle, puis d'un projecteur, la personne est repérée. Le fait qu'une personne se trouve au sol peut donner lieu à trois hypothèses : cette personne a été victime soit d'une munition des forces de l'ordre, soit d'un projectile lancé par les manifestants, soit d'un malaise. Cette dernière hypothèse est très vite écartée puisque, lorsque la personne est récupérée, le secouriste de la gendarmerie qui prodigue les premiers soins constate l'hémorragie et le décès très rapide.

L'information est donnée à l'autorité préfectorale, puis transmise, à deux heures et deux heures quarante-deux, à l'autorité judiciaire. Une enquête judiciaire est aussitôt ouverte. Des enquêteurs sont envoyés sur le terrain et, dès que les personnels de la gendarmerie mobile sont disponibles après leur désengagement, ils sont entendus. Les informations qui sont remontées à ce stade ne sont pas des plus précises : le renseignement d'alerte informant qu'un incident gravissime est survenu a été donné, mais ce n'est qu'une fois les informations confirmées qu'elles peuvent être communiquées. Pour illustrer mon propos, vous avez en tête l'affaire du « félin », il y a quelques jours, dans un département voisin : vous imaginez l'effet dévastateur d'une fausse information dans cette affaire qui a occupé la France entière toute une journée. Imaginez, de même, l'effet que pourrait avoir l'information qu'un manifestant a été tué par une grenade offensive sans que cette information soit recoupée et confirmée !

Je présenterai à présent les conclusions du rapport. Le commandant du groupement tactique engagé cette nuit a-t-il respecté les règles en vigueur en matière d'usage de la force ? La réponse est oui. Certes, l'autorité civile n'était pas strictement représentée sur le terrain, mais le code de la sécurité intérieure prévoit deux cas d'exception, dont le cas présent, à savoir que le commandant défendait l'exécution de sa mission sous l'urgence et la pression, en faisant preuve d'initiative.

Une seconde question porte sur les conditions dans lesquelles la grenade offensive a été utilisée. Le cadre légal et les règles déontologiques en vigueur dans la gendarmerie mettent en avant le respect de la vie humaine. Il est particulièrement difficile de viser de nuit un point précis à une quinzaine de mètres par un lancer à trajectoire courbe. L'autorisation de recourir à l'emploi des grenades offensives a été accordée par le commandant de la force, et le commandant de peloton a confirmé l'ordre et l'autorisation. La décision de lancer la grenade est prise après que la zone a été reconnue grâce à un appareil d'intensification de lumière, pour vérifier que personne ne s'y trouvait. Enfin, les avertissements réglementaires préalables au lancer ont été faits.

Je conclus donc qu'en l'état des informations recueillies au cours de cette enquête, au plan strictement administratif, je ne dispose pas d'éléments permettant de caractériser une faute professionnelle. Il reviendra à l'enquête judiciaire de déterminer le degré de responsabilité imputable au lanceur.

En ce qui concerne l'assistance aux personnes pendant les opérations, je rappelle que le maintien de l'ordre consiste d'abord à éviter des blessures et des morts, des deux côtés, manifestants et forces de l'ordre, ce qui revient à éviter autant que possible les contacts physiques. Dans la nuit du 25 au 26 octobre, ces contacts ont été évités. L'escadron était chargé d'une mission complexe. Il devait tenir un périmètre, dans l'obscurité, sans possibilité de manoeuvre. Ce sont les manifestants qui avaient la capacité de manoeuvrer autour du périmètre.

Dès lors qu'une personne est aperçue au sol, la déontologie impose de lui porter assistance dans la mesure du possible. Une première manifestante a ainsi été récupérée, après un tir de LBD : après l'avoir transportée à l'intérieur du périmètre, les gendarmes ont vu qu'elle n'était pas blessée. Dans le cas de Rémi Fraisse, dès lors que son corps a été aperçu au sol, une manoeuvre a été conduite, sous les jets de projectiles des manifestants, pour le récupérer.

S'agissant de l'information des autorités compétentes, la permanence du parquet d'Albi a été informée à deux heures et deux heures quarante-deux, et l'autorité administrative à deux heures huit. Le centre de renseignement de la gendarmerie à Paris a été informé à deux heures une. Ces autorités ont ainsi reçu au plus tôt le premier renseignement permettant de qualifier une situation grave, mais sans détails qui auraient pu s'avérer faux. Dans le rapport, je cite le cas d'un appel téléphonique du centre opérationnel d'un autre ministère qui relaie de fausses informations.

Mon analyse est la suivante. Une fois constatée la mort de Rémi Fraisse, deux hypothèses se présentent : ou bien il a été tué par une munition des forces de l'ordre, ou bien par un projectile lancé par des manifestants. Les pompiers interviennent très rapidement sur le site, accompagnés d'un médecin légiste de l'hôpital d'Albi. Ce dernier ne signe pas de certificat de décès, la cause étant inconnue, mais dès ce moment la nature même de la blessure suscite de multiples interrogations. Le corps est transporté à Rabastens, pour un deuxième examen médico-légal par le même médecin, dans un contexte plus favorable, à l'intérieur des locaux des pompes funèbres. À l'issue de ce deuxième examen, les mêmes interrogations subsistent : il n'est pas possible de déterminer l'objet ou la munition qui a provoqué la blessure. Le doute ne sera pas levé par l'autopsie, qui a lieu à Toulouse, et ce ne sont que les résultats des échantillons transmis au laboratoire interrégional de police scientifique (LIPS) de Toulouse, le mardi, qui permettront d'affirmer que la blessure ne comporte la trace d'aucune autre substance que le TNT : c'est cette information qui permet au procureur de la République d'affirmer que la mort est imputable à une grenade offensive, venue se ficher à la base de la nuque de Rémi Fraisse, où elle a provoqué une rupture de la colonne vertébrale. L'état du sac de Rémi Fraisse, particulièrement déchiqueté, avait également suscité des interrogations ; je pourrai y revenir.

S'agissant des autres comportements qui auraient pu être contraires à la déontologie, j'ai pris le parti de visionner tous les films mis en circulation par les manifestants sur internet, et j'ai retenu deux situations. La première est survenue le 7 octobre 2014 au matin, lors d'une vague de refoulement : trois gendarmes du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) de Gaillac, dont un gradé, commettent des actes interdits, à savoir qu'ils frappent un manifestant de plusieurs coups de pied et d'un coup de tonfa dans le sac à dos. Dès que l'officier qui commande la vague de refoulement découvre la scène, il y met fin immédiatement ; les rappels déontologiques sont faits. Le lendemain matin, le gradé qui a donné des coups de pied dans le sac se dénonce ; il est convoqué par le commandant de groupement, qui le rappelle à l'ordre et lui adresse les admonestations et réprimandes nécessaires.

Sur ces faits, je conclus que ce gradé a commis une faute professionnelle mais que, compte tenu du contexte – ces PSIG, qui ne sont pas des unités de maintien de l'ordre, ont été employés à dix-sept reprises pour compenser l'absence de telles unités, dans des opérations de refoulement ou d'évacuation –, considérant que la pression ainsi exercée sur ces unités, qui continuaient d'assurer parallèlement leurs missions habituelles de lutte contre la délinquance, était très forte, et considérant par ailleurs l'absence d'ITT et de plainte, cette faute professionnelle doit être appréciée par les autorités de façon clémente.

S'agissant, ensuite, des faits les plus graves, à savoir de l'affaire de la caravane, nous avons visionné l'extrait vidéo image par image. On voit un gendarme de face depuis la fenêtre d'une caravane. Un dialogue a été engagé entre lui et les occupants de la caravane : il s'agit manifestement de faire sortir ces derniers. Le gendarme disparaît du champ, un éclair jaune – une explosion – a lieu dans la caravane, la femme, qui s'était penchée juste auparavant, se relève, portant à la main droite les stigmates d'une blessure, qui me semblent assez comparables aux images montrées par BFMTV le 26 octobre. Le gendarme n'a pas été capable, au cours des auditions, de m'indiquer les raisons pour lesquelles il a utilisé une grenade de désencerclement, dont l'emploi, correspondant à un certain degré de violence, est strictement encadré par la loi. Comme il ne peut me donner d'explication claire, je considère qu'il a commis une faute professionnelle grave. Il reviendra à l'enquête judiciaire, la personne blessée ayant indiqué qu'elle porterait plainte, de déterminer exactement ce qui s'est passé, en demandant éventuellement des expertises pour examiner si les blessures à la main sont dues à l'explosion. Concluant, au plan administratif, à l'utilisation d'une grenade de désencerclement en dehors des cas prévus par les lois et règlements, je propose que ce gendarme soit puni pour ces faits, et je renvoie aux conclusions de l'enquête judiciaire.

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