Compte tenu de mon devoir de réserve, je m'abstiendrai effectivement de répondre sur le fonctionnement de notre démocratie.
Une question essentielle – en lien avec le rapport sur l'usage des grenades offensives et des grenades lacrymogènes instantanées (GLI), qui a été remis au ministre de l'Intérieur – concerne la présence de l'autorité civile sur le site, dans la nuit du 25 au 26 octobre. Une instruction de 2012 traduit de manière simple les dispositions revues par le Parlement et les instances supérieures entre 2009 et 2011. L'emploi de la force est imposé aux forces de l'ordre quand elles font face à des opposants particulièrement violents, dans des circonstances paroxysmiques ou anormales. Je rappelle que le maintien de l'ordre peut être une succession de phases calmes et paroxysmiques.
L'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure est clair. La force peut être utilisée par le commandant de la troupe – en l'occurrence le lieutenant-colonel de gendarmerie mobile – dès lors qu'il se trouve face à une situation violente et que les circonstances ne permettent pas de faire venir le représentant de l'autorité civile, ou que la défense de la mission ou la protection de ses personnels l'impose. La notion de légitime défense, strictement individuelle, ne s'applique pas à une troupe qui effectue le maintien de l'ordre. Le commandant défend la troupe et exécute l'ordre délivré par l'autorité légitime, en l'occurrence le préfet.
Chaque fois que la force a été utilisée, le 25 et le 26 octobre, nous étions dans ce cas d'exception : l'autorité civile n'était pas physiquement représentée, mais le commandant de la troupe était contraint d'agir. Ce point fait l'objet d'une recommandation dans le rapport sur les munitions, qui demande que le dispositif soit durci et que le droit français soit encore plus clair, quitte à être plus contraignant pour les forces de l'ordre.
M. Fourage s'est référé à l'article de Mediapart selon lequel les gendarmes auraient jeté 400 grenades pendant la nuit. Les chiffres figurent dans le rapport. Le 25 octobre, quand les gendarmes sont intervenus pour protéger les vigiles et reprendre le site, et le 26, après que des affrontements ont été déclenchés à zéro heure vingt par les manifestants, 489 grenades et balles de LBD ont été tirées : 305 grenades lacrymogènes, 76 grenades F4 ou GLI, 40 grenades offensives et 68 cartouches de LBD.
Sur ces 489 grenades, 40 sont offensives, preuve qu'on a utilisé d'abord les grenades lacrymogènes, puis des grenades lacrymogènes contenant une dose explosive (GLI). Au total, les grenades lacrymogènes ou à effet mixte constituent les quatre cinquièmes des grenades lancées pendant les deux engagements. On a tenté le plus possible de maintenir les manifestants à distance avec des fusils lance-grenades, les Cougar. Ceux-ci ont eu peu d'effet car les manifestants possédaient des masques respiratoires. Quant aux tasers et aux flashballs, leur utilisation est interdite dans les opérations de maintien de l'ordre.
Vous m'avez demandé si, sur le site du barrage de Sivens, la situation était plus violente qu'à Notre-Dame-des-Landes. Selon les fiches de nos services de renseignement, au moins treize personnes signalées à Notre-Dame-des-Landes se trouvaient aussi à Sivens, où elles pouvaient communiquer des informations, dispenser une formation ou opérer un « transfert de culture ».
Pour savoir si les moyens qui ont servi sur place sont utilisés ailleurs en Europe, je vous renvoie, monsieur Folliot, à la page 4 de l'annexe n° 3 du rapport. Les photos présentées dans la colonne de droite « Z.A.D. de Sivens » prouvent l'emploi de pipe bombs, engins incendiaires exclusivement utilisés en Irlande du Nord. Sur une photo, l'engin explose aux pieds des CRS. Sur une autre, il est en feu, tandis qu'un autre engin arrive sur les forces de l'ordre. Les clichés ont été pris l'après-midi du 25 octobre. Il n'est pas impossible que des scènes semblables se soient déroulées dans la nuit du 25 au 26. Le 26, les enquêteurs n'ont pas pu pénétrer sur le terrain. Ils ne l'ont découvert que quelques jours plus tard, une fois nettoyé. On a pu voir à la télévision les tas de grenades ou de reliquats de grenades, témoignant que les lieux avaient été ratissés.
Dans la nuit du 25 au 26 octobre, il n'y a eu aucun blessé du côté des manifestants, en dehors de Rémi Fraisse. L'information provient non de la gendarmerie ni de la police, mais des pompiers du SDIS 81, appelés chaque fois qu'il y a un blessé. Entre la fin août et le 26 octobre, treize gendarmes et policiers ont été blessés, dont sept ont été évacués vers l'hôpital d'Albi. Les deux blessures les plus graves ont été infligées à des CRS dans l'après-midi du 25. Pendant la même période, sept opposants ont été blessés, dont cinq ont été évacués. Le 26 au soir, les incidents de Gaillac, évoqués par M. Folliot, ont fait 43 blessés. Autour de l'affaire de Sivens, tous lieux de manifestations confondus, y compris Nantes, on déplore, d'après les fiches des SDIS, 78 blessés dans les rangs des forces de l'ordre.
Vous m'avez interrogé sur la légitimité de la présence de la gendarmerie. Celle-ci exécute les ordres délivrés par l'autorité préfectorale.
Il est exact que les manifestants ont harcelé la population locale, mais cette information est hors sujet, puisque le rapport concerne le comportement des forces de l'ordre et l'exercice de la force légitime de l'État. Au reste, des photos montrant l'état actuel du site laissent deviner ce qu'il se serait passé la nuit du 25 au 26 si la gendarmerie l'avait laissé libre : il aurait été occupé, barricadé et piégé. Des photos montrent que, depuis lors, des constructions de campagne, un mirador et une tour de guet y ont été édifiés, et que son accès est interdit par une barricade.
Si les forces de l'ordre avaient abandonné le site, il aurait fallu chaque matin rouvrir les axes routiers, permettre l'accès au chantier et protéger les ouvriers, ce qui supposait des opérations de longue durée, impliquant des risques collatéraux considérables, puisque les itinéraires auraient été piégés.
Les fiches d'information font clairement état d'un degré de violence élevé tant sur la ZAD de Sivens qu'à Notre-Dame-des-Landes, ce que confirment tous les gendarmes qui ont servi sur les deux sites.
Au-delà de la sophistication des moyens, on constate, en regardant les films des manifestants – notamment celui réalisé l'après-midi du 25 –, que les éléments les plus violents sont équipés de masques de campagne et se protègent des forces de l'ordre avec des panneaux indicateurs ou des couvercles de poubelles. Ils emploient la tactique de la tortue romaine. En somme, pour user d'un terme militaire, ils savent manoeuvrer.
Les grenades offensives sont des armes de protection de courte distance, qu'on n'utilise que dans les situations extrêmes, en cas de présence rapprochée des manifestants. Dans les autres cas, on tire à distance, au fusil. Les GLI F4 et les grenades lacrymogènes peuvent aussi bien être tirées de loin que de près, c'est-à-dire au fusil qu'à la main.
M. Fourage s'est intéressé à l'information des instances supérieures. Je rappelle le contexte. Un incident gravissime – la mort d'un manifestant est ce qui peut arriver de pire lors d'une opération de maintien de l'ordre – survient de nuit, tandis que les agressions continuent. Une fois Rémi Fraisse évacué par les pompiers, les forces de l'ordre sont confrontées pendant une heure aux manifestants et ne se désengagent qu'une heure plus tard, sur ordre du commandant de groupement.
La première information qui remonte est une alerte, qui devra ensuite être précisée. Elle justifie plusieurs hypothèses, que j'ai rappelées. Le rapport détaille la remontée de toutes les informations avérées – on ne diffuse que le certain – vers les autorités judiciaires, préfectorales et ministérielles. De leur côté, les pompiers font également remonter l'information vers le ministère.
J'ai rappelé que, lorsqu'on repère une personne au sol, trois hypothèses sont envisageables. Le premier examen médico-légal, qui a lieu à l'arrière du dispositif, révèle que la blessure présente une physionomie si inhabituelle que ni les enquêteurs de la gendarmerie ni les médecins ne peuvent avoir de certitude. Il faut attendre l'analyse de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), menée au laboratoire interrégional de police scientifique (LIPS) de Toulouse. En tant qu'inspecteur général, je m'en tiens aux faits. Le doute n'est levé que le mardi soir, ce qui contraint le procureur d'Albi à indiquer, durant sa conférence de presse, qu'il ignore la cause de la mort de Rémi Fraisse. Celle-ci était concomitante à un jet de grenade, mais on ne pouvait encore établir de lien direct entre les deux événements.
Les propos enregistrés que l'on prête aux gendarmes mobiles ont été tenus dans le feu de l'action. L'un dit : « Ils ne vont pas être contents. » Tous ceux qui ont participé à des opérations de maintien de l'ordre savent qu'en cas de mort d'homme la psychologie change radicalement dans les deux camps. Face au choc, on exprime son opinion, ce qui est normal dans une République. Ensuite, il faut lever le doute. Certains ont voulu exploiter le fait que l'incertitude ait régné pendant deux jours. C'était le délai nécessaire à l'autorité judiciaire pour fonder sa conviction sur des informations étayées.
Les enquêteurs étaient intrigués par l'explosion du haut du sac à dos, par la physionomie de la blessure et par le fait que l'explosion se soit produite à la nuque. Même à l'autopsie, les médecins n'ont pas pu éclairer les faits. On n'écarte que le mardi soir l'hypothèse que Rémi Fraisse ait été blessé par une GLI F4 – qui aurait laissé des traces de gaz lacrymogène – ou par un engin incendiaire explosif de campagne ou un engin artisanal monté par les manifestants. Dans la blessure, le LIPS n'a décelé la présence que de TNT.
Le 25 octobre au soir, le directeur général a appelé le commandant de groupement auquel il a donné une consigne claire. Si les forces de l'ordre avaient eu la volonté de « casser », celle-ci se serait traduite mécaniquement par des blessés ou des morts. Or, les chiffres du rapport sont éloquents : pendant des mois, il y a eu très peu de blessés parmi les manifestants comme parmi les forces de l'ordre, compte tenu du nombre d'engagements et des effectifs en présence.