Intervention de Catherine Rivière

Réunion du 23 octobre 2012 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Rivière, PDG de GENCI, Grand équipement national de calcul intensif :

Une stratégie pour la recherche civile dans le domaine du calcul intensif a été mise en place en France depuis 2007 avec la création de GENCI, qui compte 5 associés : le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'université et l'INRIA.

Qu'est-ce que le calcul intensif ?

Il s'agit tout d'abord de la simulation numérique, qui est le troisième pilier de la science aux côtés de la théorie et de l'expérimentation. La simulation numérique permet de résoudre virtuellement des problèmes qui ne peuvent l'être autrement. La climatologie, par exemple, ne peut s'étudier en laboratoire. Pour les industriels, la simulation numérique permet un gain de temps par l'amélioration de leurs procédés de production.

La simulation numérique nécessite des superordinateurs. Celui du CEA à Bruyères le Chatel, le plus puissant en France, septième dans le monde et troisième au niveau européen, a une puissance de 2 Petaflops (PFlops) c'est-à-dire qu'il réalise 2 x 1015 opérations par seconde. 1 Pflop équivaut à 100.000 ordinateurs de bureau coopérant efficacement.

Pourquoi faut-il une véritable politique publique dans ce domaine ?

Le calcul intensif est stratégique pour la science, pour l'industrie et pour les politiques publiques :

- C'est un outil stratégique pour la science, dans certains domaines où les résultats ne sauraient être compétitifs au niveau mondial sans recours au calcul intensif : par exemple en météorologie, climatologie, sciences de la terre, mais aussi pour les sciences de la vie c'est-à-dire la compréhension des mécanismes biologiques et la mise au point de molécules ciblées. En astrophysique, un premier scénario de formation de l'univers a été réalisé sur nos ordinateurs.

- Dans le domaine industriel, trois illustrations de l'utilité du calcul intensif peuvent être apportées :

Pour Safran, le calcul intensif a permis de réduire de six mois la durée de conception de moteurs d'hélicoptères, en aidant à résoudre des instabilités ;

Dans le domaine de l'aéronautique, Airbus a une ligne d'utilisation de calcul intensif jusqu'en 2020 pour concevoir l'avion de demain par ordinateur. La simulation a permis de réduire les tests en soufflerie de 20 %.

Pour Total, il s'agit d'éviter les forages inutiles, en apportant une aide à l'interprétation de la prospection sismique.

- Pour les politiques publiques, la simulation numérique est un outil d'aide à la décision, par exemple pour tester des scénarios d'évacuation de la population en cas de réalisation de risques naturels, pour modéliser la propagation de virus, ou pour connaître l'impact sur l'écosystème local à long terme de l'implantation d'un barrage.

Quel est le contexte du calcul intensif dans le monde ?

Les États-Unis sont leaders depuis plusieurs décennies, ainsi que le Japon et depuis cinq ans, la Chine, l'Inde et la Russie. En Europe, une communication de la Commissaire Neelie Kroes en date du 15 février 2012, a souligné le caractère stratégique du calcul intensif pour stimuler l'innovation en Europe. L'objectif est de passer d'un investissement de 600 M€an à 1,2 Md€an à partir de 2014, dans le cadre « Horizon 2020 ». Des initiatives ont également été prises en Allemagne et en Grande-Bretagne, notamment à l'intention des petites et moyennes entreprises qui jouent un rôle clef dans la compétitivité d'un pays. En 2010, une infrastructure de recherche de rang mondial a été créée (Partnership for advanced computing in Europe ou PRACE) qui met à disposition sur la base de l'excellence scientifique six machines dont 4 figurent parmi les dix premières mondiales. Il s'agit d'un investissement de 400 M€ sur 2010-2015, porté par 4 pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne). En juin 2012 a été lancée une plateforme de calcul intensif en vue de développer les technologies et services associés en Europe (ETP4HPC). Le paysage européen s'est donc récemment structuré.

Les États-Unis sont toujours leaders du classement des ordinateurs les plus puissants du monde pour la recherche académique. L'Europe a rattrapé l'Asie. La France est visible avec 3,8 Pflops accessibles pour les scientifiques européens (à comparer aux 50 Pflops américains). PRACE représente 80 % de l'effort européen pour la recherche académique. S'inscrire dans une logique européenne est en effet le seul moyen de demeurer dans la compétition au niveau mondial.

Pourquoi GENCI a-t-il été créé ? Quelles sont ses missions et réalisations ?

En France, l'écosystème du calcul intensif s'est structuré par la création de la société civile GENCI il y a cinq ans. GENCI compte 12 salariés et son budget est de 30 M€ par an. L'écosystème français est aujourd'hui organisé autour des fournisseurs de technologies, des infrastructures de pointe dont trois centres nationaux de calcul, des formations à l'utilisation de la simulation numérique et des communautés scientifiques et industrielles utilisatrices.

GENCI a été créé suite à trois rapports en 2004-2005 ayant souligné que la question du calcul intensif était cruciale et que la France connaissait un retard important. En 2000, l'OPECST avait également publié des préconisations à ce sujet en conclusion d'une étude de MM. Christian Cuvilliez, député, et René Trégouët, sénateur, sur le rôle des très grands équipements de recherche.

Les missions de GENCI sont triples :

- Coordonner la stratégie française autour des trois centres nationaux de calcul et en lien avec les centres régionaux de calcul : GENCI possède la maîtrise d'ouvrage des moyens de calcul nationaux répartis dans trois centres de calcul qui ont un rôle de maîtrise d'oeuvre (CEA-Bruyères-le-Châtel, Montpellier pour l'enseignement supérieur, CNRS à Orsay). Un seul critère est retenu pour l'usage de ces moyens : l'excellence scientifique, jugée par des comités indépendants. En 2011, 615 projets ont été retenus pour un total de 454 millions d'heures de calcul. Les ressources sont utilisées au maximum. Il y a 1,5 à 2 fois plus de demandes que de ressources disponibles. Nous nous appuyons aussi sur des moyens régionaux que nous avons contribués à développer, dans le cadre du programme d'investissement d'avenir, grâce à un Equipex dont nous bénéficions. Nous avons dix partenaires académiques et universitaires au niveau régional. Les moyens ont été doublés. Ils permettent de relayer localement des initiatives en faveur des PME.

- Participer à la réalisation d'un espace européen du calcul intensif, par une forte implication dans PRACE (GENCI y représente la France) : lancée en 2007, cette initiative réunit aujourd'hui 26 pays. C'est une association de droit belge dont le budget annuel est de 500 M€. Fin 2012, 15 Pflops sont disponibles en Europe grâce à PRACE, ainsi que des services à haute valeur ajoutée (formation, support). Notre objectif est de construire une pyramide de calcul intensif : base régionale, centres nationaux, équipements européens (en France, celui de Bruyères-le-Châtel).

- Promouvoir la simulation et le calcul intensif pour la recherche et l'industrie : une initiative lancée avec OSEO et INRIA en direction des PME vise à leur faciliter l'accès aux moyens de la simulation numérique et du calcul intensif. Vingt à trente PME sont aujourd'hui concernées, dans tous les domaines et dans toute la France. Par exemple : Danielson Engineering (moteurs prototypes pour l'automobile, l'aéronautique et la défense), PROTOMED (ingénierie biomédicale) et HydrOcean (ingénierie navale, offshore, nouvelles énergies).

En cinq ans, nous avons multiplié par 80 la puissance de calcul disponible pour les scientifiques français. Nous avons simplifié l'accès aux moyens de calcul. Plus de 600 projets par an sont retenus, dont des premières mondiales. Nous avons mis l'accent sur le soutien à la compétitivité avec l'initiative en faveur des PME.

A titre d'exemple, dans le domaine de la recherche fondamentale, nous avons contribué à une première mondiale pour la compréhension de la formation et de l'évolution des galaxies. L'évolution des 500 milliards de particules issues du Big Bang a été modélisée à Bruyères-le-Châtel, ce qui représente une précision inégalée à ce jour. Dans le domaine de la santé, la simulation numérique a servi à mieux comprendre les mécanismes chimiques, à l'échelle moléculaire, impliqués dans le développement de la maladie d'Alzheimer. Dans le domaine des risques naturels, le calcul intensif permet de progresser dans la prédiction des répliques de séismes en comprenant les modes de propagation des ondes sismiques générées lors d'un tremblement de terre. Nous avons par exemple été sollicités par le gouvernement italien après le tremblement de terre de l'Aquila en 2009 pour la prédiction des répliques. Dans le domaine de l'environnement, une équipe de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) a travaillé à l'optimisation de la combustion des moteurs automobiles dans l'objectif de réduire la consommation d'essence, les émissions de CO2 et autres polluants. Dans le domaine de l'énergie, la conception du programme ITER ne peut se faire sans la simulation numérique. Pour la première fois, une description détaillée de la dynamique de la turbulence du plasma a été réalisée par une équipe du CEA de Cadarache. Enfin, dans le domaine de la musique, le calcul numérique sert à modéliser le fonctionnement d'un piano, en vue de la fabrication des instruments.

En conclusion, la France a rattrapé son retard dans le domaine du calcul intensif. Des scientifiques français reviennent en France pour cette raison. Notre objectif est maintenant de consolider les réalisations de GENCI pour valoriser les investissements financiers et humains réalisés, en renouvelant régulièrement les ordinateurs (tous les quatre ans environ), en favorisant et amplifiant la coopération interdisciplinaire et l'innovation, en développant les compétences, en attirant les meilleurs chercheurs et en soutenant la compétitivité nationale.

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