Intervention de Jean-Philippe Bénard

Réunion du 4 décembre 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge :

Vos questions portent notamment sur les critères d'électro-intensivité, sur l'impact des décisions européennes, et sur l'ARENH. Je vais essayer de vous décrire la situation de l'industrie cimentière française face à ces enjeux.

Avant tout, je voudrais dire que nous avons accueilli de manière très positive la création de cette commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité car 95 % de la facture énergétique des adhérents du SFIC dépend de tarifs réglementés. Vos travaux ne peuvent qu'être positifs pour notre industrie.

La facture d'électricité est constituée de trois éléments : les taxes, c'est-à-dire la contribution au service public de l'électricité (CSPE), les coûts de transports et l'énergie électrique.

La CSPE, dont le taux est plafonné à 0,5 % de la valeur ajoutée, représente environ 5 % de notre facture totale. Nous redoutons un déplafonnement de cette contribution, à la suite des orientations définies en avril dernier par la Commission européenne, visant à refondre les modalités d'exemption des taxes de financement de l'énergie verte. Le système français fait l'objet d'une enquête. Il est possible que la CSPE soit scindée en deux pour distinguer, d'une part, le financement des énergies renouvelables et, d'autre part, le financement des zones non interconnectées et la cogénération. Le déplafonnement pourrait conduire à une hausse représentant jusqu'à 40 millions d'euros de la contribution annuelle de l'industrie cimentière. Il s'agirait là d'une conséquence de décisions européennes.

Les coûts de transport représentent environ 20 % de la facture électrique des cimenteries. En mai dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a pris une décision visant à faire bénéficier certains consommateurs d'un rabais exceptionnel de 50 % sur leurs frais de transport d'électricité. Pour ce faire, elle a défini des critères d'électro-intensivité comparables à ceux qui avaient été élaborés lors de la création du consortium d'achat Exeltium. Aucune cimenterie n'a été retenue dans cette catégorie très limitée de consommateurs, pour des raisons de taille. Selon ces critères, les cimenteries ne font pas partie des industries électro-intensives alors que l'électricité représente pourtant une part substantielle de leurs coûts de production. Il n'y a donc pas qu'une seule définition des industries électro-intensives et, jusqu'à présent, les cimenteries françaises ont eu un peu de mal à être considérées comme telles.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique prévoit la segmentation des coûts de transport en fonction de critères qui prennent en compte la stabilité et le caractère anticyclique de la consommation. Comme l'a rappelé Jean-Yves Le Dreff, la consommation d'électricité des cimentiers est décalée par rapport à la consommation nationale. Le projet de loi prévoit des baisses de coûts de transports qui peuvent atteindre jusqu'à 60 % ; en Allemagne, les dispositifs similaires sont encore plus généreux puisque la baisse peut aller jusqu'à 90 %. Ce serait une bonne idée de s'aligner sur les meilleures pratiques. Nous ne savons pas si la mesure concernera les cimenteries puisque les critères seront détaillés dans les décrets d'application d'une loi qui reste à adopter. Nous serons vigilants pour que les cimenteries soient classées parmi les industries électro-intensives. Si la décision de la CRE nous avait été appliquée entre août 2014 et juillet 2015, nos charges de transport auraient baissé de 10 millions d'euros.

L'ARENH représente la quasi-totalité de la part « énergie » de la facture des cimenteries. Compte tenu de sa nature, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'un tarif, ce qui me fait dire que plus de 95 % de notre facture énergétique dépend de tarifs réglementés. L'ARENH joue un rôle important en matière de compétitivité de notre industrie. Au mois de mars, le gouvernement a lancé une consultation concernant la détermination du prix de l'ARENH jusqu'en 2025 et le projet de décret est actuellement soumis à l'approbation de la Commission européenne. Le gouvernement envisage une hausse de deux euros par mégawattheure au 1er juillet 2015 ; quant à la CRE, elle table sur une hausse annuelle de deux euros par mégawattheure au cours des années suivantes, sans que nous sachions si ce rythme est prévu jusqu'en 2025 – évidement nous espérons que non ! Si un tel rythme de progression est maintenu jusqu'en 2020, la hausse représenterait environ 24 millions d'euros pour la profession. Une telle hausse va grever très fortement notre compétitivité, sachant que les pays voisins – l'Allemagne ou l'Autriche, par exemple – cotent l'énergie à 34 euros et que nous partons de 42 euros. Je le répète : l'ARENH représente la quasi-totalité de la part « énergie » de la facture des cimenteries.

Dans le même temps, la ministre, Mme Carole Delga, a indiqué devant l'Assemblée nationale qu'un nouveau dispositif allait être mis en place pour les « ultra-électro-intensifs », une catégorie aux contours encore flous. Quoi qu'il en soit, la facture électrique de l'industrie cimentière risque bien d'augmenter de 60 millions d'euros, c'est-à-dire que nous payerons l'électricité 50 % plus cher qu'en Allemagne, l'écart se situant déjà actuellement à 30 %.

L'ARENH est appelé à jouer un rôle croissant pour les particuliers : le décret du 28 octobre 2014 organise le transfert d'une partie des tarifs bleus vers l'ARENH qui représentera quelque 60 % des futurs tarifs. L'ARENH, qui a donc effectivement tous les attributs d'un tarif, devrait entrer dans le périmètre d'étude de votre commission. Le projet de décret sur la détermination de son prix jusqu'en 2025, actuellement soumis à l'approbation de la Commission européenne, nous pose quelques problèmes en ce qu'il semble instituer une hausse régulière.

Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d'abord, la date de 2025 ne correspond pas à la durée des investissements réalisés dans le parc nucléaire. Les consommateurs vont payer ces investissements pour des centrales qui vont vraisemblablement continuer à fonctionner après 2025, et il aurait été souhaitable d'allonger la durée d'amortissement.

Le texte ne semble pas introduire de régulation incitative des coûts du nucléaire. Le prix de l'ARENH, imposé à une partie de la consommation française, va faire l'objet de hausses successives. Pourquoi ne pas avoir prévu des baisses, en fonction de gains de productivité du parc nucléaire, par exemple ? Le texte aurait pu introduire un mécanisme de contrôle des coûts du nucléaire et un système de variation – à la hausse et à la baisse – du prix de l'ARENH en fonction des coûts constatés.

Saisie du projet de décret, l'Autorité de la concurrence constate que la méthodologie envisagée s'écarte des principes comptables classiques pour certaines composantes de coûts, afin de répondre à un objectif de financement rapide des investissements d'EDF pour le renouvellement du parc de production. Cette anticipation des futurs investissements de renouvellement du parc nous entraîne assez loin de l'idée de départ : l'utilisation de l'énergie issue du parc historique. Ce surcoût va peser sur les consommateurs.

Le texte n'a rien prévu non plus pour récompenser ceux qui, à l'instar des cimentiers, aident le système grâce au caractère anti-cyclique de leur consommation. Or il aurait été possible de segmenter le prix de l'ARENH pour tenir compte de la spécificité de certains électro-intensifs dont nous faisons partie. Il existe des pistes permettant, à court terme, de regagner en compétitivité sans nuire à la couverture des coûts du nucléaire. Il n'est peut-être pas trop tard de les intégrer dans le texte.

Le schéma Exeltium peut-il répondre en tout ou partie à nos problématiques ? Sûrement. Depuis l'ouverture des marchés, les industriels demandent de la visibilité et de la compétitivité, afin de pouvoir programmer d'éventuels investissements. Exeltium a donné de la visibilité à ses adhérents dont nous ne faisons pas partie, comme d'autres électro-intensifs. Lors de son audition par votre commission, Jean-Pierre Roncato, le président d'Exeltium, a rappelé que le consortium couvre une partie de l'approvisionnement de certains électro-intensifs, et non pas la totalité de leurs besoins.

En conclusion, je dirais que nous partageons totalement les objectifs de votre commission d'enquête. Comme vous, nous pensons qu'il apparaît urgent d'élaborer une nouvelle méthode de calcul devant satisfaire aux objectifs suivants : mettre fin à la spirale de hausse continuelle et parvenir à des tarifs raisonnables ; avoir des tarifs fiables et stables.

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