Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 12 novembre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je suis heureux d'avoir l'opportunité, dans le cadre de cet exercice nouveau, de vous présenter les enjeux de la réunion des ministres européens de la Défense, à laquelle je me rendrai le 18 novembre prochain.

Cette réunion sera un jalon important dans les efforts que nous menons depuis deux ans et demi pour redynamiser, par une approche pragmatique et concrète, l'Europe de la défense.

Elle sera un point d'étape car elle se tiendra presque un an après le Conseil européen de décembre dernier, qui a été en partie consacré aux questions de défense. Le fait même que les chefs d'État se soient emparés de ce sujet, ce qui n'avait pas été le cas depuis cinq ans, est en soi une avancée. Cette réunion a donné lieu à l'adoption de conclusions assez ambitieuses, qui ont fixé un nouveau cap pour l'Europe de la défense. Il s'agira donc de faire un premier bilan de leur mise en oeuvre.

Cette réunion permettra aussi de préparer le Conseil européen de juin 2015, où les enjeux de défense seront à nouveau à l'agenda de la discussion des chefs d'État et de gouvernement. Il s'agira également de la première réunion présidée par la nouvelle Haute Représentante, Mme Mogherini, qui, lors de son audition devant le Parlement européen, a marqué une grande détermination à s'investir pleinement sur les questions de défense. C'est une entrée en matière encourageante.

Nous serons tout d'abord réunis dans le format du comité directeur de l'Agence européenne de défense (AED) par sa directrice, Mme Claude-France Arnould, qui nous rendra compte de la mise en oeuvre des mandats qui lui ont été confiés par le Conseil européen.

Il s'agira en premier lieu de faire le point sur les grands programmes capacitaires, en cours ou à venir, qui constituent les illustrations de la démarche de mutualisation et de partage que nous souhaitons promouvoir.

Le premier est le programme MRTT, qui vise à corriger, à l'horizon 2020, une des lacunes critiques des armées européennes. Plusieurs pays européens se sont rassemblés sous le leadership des Pays-Bas pour procéder à une acquisition en commun de ravitailleurs en vol. Compte tenu de la spécificité de nos besoins, liés à la dissuasion, et du calendrier de remplacement de nos ravitailleurs, nous ne participons pas à cette phase d'acquisition. En revanche, nous avons mis sur la table des propositions ambitieuses pour mutualiser l'emploi, le soutien et la maintenance de notre future flotte avec nos partenaires. La réunion du 18 novembre sera donc l'occasion de faire le point sur le calendrier d'acquisition de nos partenaires et de confirmer la perspective de disposer à terme d'une flotte européenne de ravitailleurs en vol. Je viens d'ailleurs d'engager, lors du débat budgétaire, la commande de 12 MRTT.

Le deuxième programme, cette fois en devenir, porte sur une autre capacité critique : les drones de surveillance. Le principe du développement d'un drone MALE européen à l'horizon 2025, c'est-à-dire au moment où devra être renouvelé notre matériel actuel, a été acté lors du Conseil européen de décembre dernier. Il faut maintenant lui donner une impulsion politique, qui doit reposer sur un nombre restreint d'États membres, c'est-à-dire ceux qui ont à la fois la capacité et la volonté de développer un tel outil. Nous avons bien avancé avec nos partenaires allemands : nous venons de nous mettre d'accord avec mon homologue sur un calendrier de travail qui consiste à consolider la définition commune du besoin – je suis allé à Berlin la semaine dernière à cet effet et nous nous sommes revus hier –, et à élargir le projet à nos partenaires italiens en vue de lancer une première étude dans le courant de l'année 2015. La réunion du 18 novembre sera l'occasion de confirmer cette impulsion franco-allemande et de définir les contours du soutien que l'AED peut nous apporter, en particulier sur l'enjeu clé de l'insertion des drones dans le trafic aérien européen.

Le troisième programme concerne les satellites de communication, programme dont l'Espagne a pris le leadership et sur lequel je ne m'attarde pas dans la mesure où nos besoins nationaux ne sont pas immédiats dans ce domaine.

Nous aborderons également un sujet que nous avons porté en décembre dernier : les incitations, notamment de nature fiscale, à la coopération dans un cadre européen. C'est un sujet difficile car nos partenaires sont réticents à faire le lien entre le levier de la fiscalité et les questions de défense. Mais je persiste cependant à penser qu'il s'agit d'un sujet clé si nous souhaitons progresser et franchir un palier dans la coopération sur le plan capacitaire. L'Agence européenne de défense s'est emparée de ce sujet et doit nous soumettre des propositions qui pourraient aboutir à la mise en place d'un mécanisme d'exemption de TVA pour certains programmes d'étude. Si cette proposition, que nous soutiendrons, est acceptée, il s'agira d'un premier pas important pour rendre plus attractif le cadre européen.

Enfin, il sera question de la désignation du futur directeur ou de la future directrice de l'AED. Mme Claude-France Arnould, à l'issue d'un travail remarquable, terminera en effet son mandat en janvier prochain. Plusieurs pays, dont l'Espagne, ont annoncé leur intention de briguer ce poste qui est crucial pour l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Le deuxième temps de la réunion sera consacré aux opérations militaires de l'Union européenne qui sont aujourd'hui effectuées au Mali, en Centrafrique, en Somalie, dans le golfe d'Aden et en Bosnie-Herzégovine.

L'enjeu immédiat de la réunion du 18 novembre concerne la République centrafricaine et la suite à donner à l'opération EUFOR RCA. À notre initiative, l'Union européenne s'est engagée à nos côtés dans ce pays au travers de cette opération, à laquelle participent environ 750 hommes, dont 600 déployés à Bangui, pour assurer des tâches de sécurisation de l'aéroport et de deux arrondissements de la ville. Cette mission, qui se déroule bien, a été à notre demande prolongée jusqu'au 15 mars. En même temps, la force des Nations unies, la MINUSCA, se déploie de façon plutôt positive et commence même à occuper des territoires sur lesquels nous étions intervenus au début de notre engagement. L'enjeu de la réunion est la question de la poursuite de l'engagement européen en RCA au-delà de cette date, non sous la forme d'un dispositif EUFOR, mais d'un dispositif qui pourrait être une étape vers une mission de type EUTM, c'est-à-dire une mission de formation et non pas une opération militaire.

Il est important que nous puissions reconstituer les FACA, armée de 7 500 soldats sans leadership ni cohésion. Nous avons eu des entretiens sur ce sujet avec les Espagnols, les Italiens, les Portugais et les Allemands, qui vont nous soutenir. J'ai également évoqué cette question avec mon collègue britannique, dont j'ai cru comprendre qu'il ne s'y opposerait pas. Je me mobiliserai en priorité sur ce sujet.

Même si aucune décision n'est attendue, la réunion du 18 novembre sera l'occasion de faire le point sur deux autres opérations.

D'abord, l'opération Atalante, qui est parvenue à ramener les actes de piraterie dans le golfe d'Aden à un étiage. Notre débat sera orienté sur l'avenir de cette opération, ou plutôt sa stratégie de sortie, car il faut savoir terminer une opération lorsque sa mission est accomplie. Notre objectif est de capitaliser sur le succès d'Atalante pour continuer à impliquer l'Union européenne sur les enjeux de sécurité maritime. C'est le sens de la stratégie de sûreté maritime qui a été annoncé lors du Conseil européen de décembre dernier et qui doit se concrétiser par un texte sur lequel nous travaillons, en particulier avec l'Italie, visant à décliner cette stratégie sous la forme d'un plan composé d'actions concrètes. Nous nous efforçons bien sûr d'y faire figurer les priorités françaises, en particulier la prise en compte des enjeux de sécurité dans le golfe de Guinée. Les Européens du sud sont très mobilisés sur cette question et nous les appuierons.

Nous aurons également un échange sur l'opération EUTM Mali. Cette opération incarne à mon sens un bon exemple de ce que nous pouvons réaliser dans le cadre de la PSDC : une initiative française, qui se concrétise par une forte participation de notre part – les Français étant au départ largement majoritaires dans les 500 militaires affectés à cette tâche – et que les Européens s'approprient progressivement. Cette mission est désormais commandée par un général espagnol, avec 20 États membres contributeurs et une contribution française se limitant désormais à 10 % des effectifs de formateurs. Si cette action doit se poursuivre, je suis plus réservé sur la façon dont la MINUSMA agit au Mali, par différence avec la MINUSCA en RCA.

Dans le cadre de ces opérations, je poserai à mes homologues européens deux questions qui sont à mon sens cruciales et révélatrices de la possibilité de faire avancer l'Europe de la défense.

La première est celle du financement des opérations militaires de l'Union européenne. Ce financement repose sur un mécanisme, dit Athena, qui, à ce jour, ne couvre qu'environ 10 % des coûts engagés par les États qui contribuent à une opération européenne. Lors du Conseil européen de décembre dernier, le président de la République avait souligné que ce fonctionnement n'était pas satisfaisant et obtenu que la révision de ce mécanisme soit engagée au cours de l'année 2014, ce qui a bien été le cas.

Nous avons alimenté cette discussion par des propositions précises qui visent à accroître la solidarité européenne mais aussi à améliorer la réactivité de l'Union européenne. Nos propositions tendent en effet, non pas à étendre massivement le périmètre des coûts communs, mais à cibler certaines dépenses clés pour le déploiement d'une opération et à les rendre éligibles à un financement en commun. Si nous y parvenons, il s'agira d'une puissante incitation pour élargir le champ des contributeurs potentiels aux opérations de l'Union européenne.

La réunion du 18 novembre sera donc un moment de vérité pour évaluer la disponibilité de nos partenaires à consentir à ces avancées. Il s'agirait de prendre en charge par exemple les coûts de transport tactique ou les frais d'installation. Il est probable que certains blocages ne pourront pas être levés – mon homologue britannique n'a pas manifesté un enthousiasme considérable – mais ma détermination est entière sur ce point, dont l'aboutissement devrait avoir lieu au Conseil européen de juin prochain.

Une autre question de crédibilité pour l'Europe de la défense est celle des groupements tactiques. Ce concept, qui a été inventé il y a près dix ans pour donner une capacité de réaction rapide à l'Union européenne, est toujours resté sur étagères. Il est donc temps de poser la question de vérité : voulons-nous utiliser les groupements tactiques ?

Il n'y a pas vraiment de volonté politique affichée pour l'instant, mais la Suède est très active en la matière et elle aura la responsabilité de prendre des initiatives pour le premier semestre 2015. En tout cas, nous la soutiendrons à cet effet. Peut-être pourrons-nous alors aboutir à des décisions au Conseil européen de juin prochain.

La dernière partie de la réunion sera consacrée à un échange sur les enjeux de sécurité dans le voisinage européen et à la préparation du Conseil européen de juin 2015.

Lors du sommet de l'OTAN, dans le contexte de la crise ukrainienne, nous avons fait la démonstration que nous étions au rendez-vous pour répondre aux préoccupations de sécurité de nos alliés à l'est de l'Europe. Notre participation à la fois précoce et substantielle aux mesures de réassurance l'a illustré. Le 18 novembre sera l'occasion de souligner que nous devons préserver un équilibre entre la prise en compte des menaces, réelles, qui persistent à l'est et celles, croissantes, du flanc sud. C'est le message que nous sommes convenus de porter avec mes homologues espagnol, italien et portugais, qui sont particulièrement soucieux que la crise ukrainienne n'éclipse pas les défis auxquels nous sommes confrontés au Moyen - Orient, en Méditerranée, au Maghreb et en Afrique. À ce titre, nous avons encouragé la nouvelle Haute Représentante à se saisir pleinement du sujet de la situation en Libye, notamment au sud, qui est un défi devant être abordé dans un cadre européen, au-delà des efforts conduits par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en mission sur place. Vous vous souvenez que l'Union européenne avait décidé de déployer une mission destinée à appuyer la sécurisation des frontières. Un des enjeux de la réflexion européenne est de s'entendre sur l'avenir de cette mission.

S'agissant du Conseil européen de juin 2015, outre les défis déjà mentionnés, je voudrais en singulariser un qui, à mon sens, constitue une des avancées fondamentales du Conseil européen de décembre dernier. Nous avons en effet obtenu que la Commission européenne engage, pour la première fois, un effort de recherche dans le domaine de la défense. À cette fin, un programme pilote pourrait être engagé à partir de l'année prochaine. Si cet essai se révèle concluant, nous pourrions alors obtenir qu'une enveloppe substantielle du prochain programme cadre de recherche et développement (PCRD) européen soit consacrée à la défense. Il s'agirait d'une révolution intellectuelle. Nous devons réussir ce programme test, convaincre nos industriels de jouer le jeu et trouver les modalités d'un jeu coopératif avec la Commission européenne. C'est un sujet sur lequel je souhaite mobiliser la Haute Représentante, qui a annoncé sa ferme volonté de s'investir sur cette question.

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