Intervention de Vincent Beaugrand

Réunion du 3 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Vincent Beaugrand, directeur du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, Fonds CMU :

Cette audition est, pour nous, l'occasion de présenter nos analyses et de vous faire part de nos propositions afin de discuter des enjeux liés à la protection sociale complémentaire des personnes les plus démunies.

Le Fonds CMU est un petit établissement public national – nous sommes dix équivalents temps-plein (ETP) –, créé en 2000, suite à la loi de 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.

Nous gérons le financement de deux dispositifs.

D'une part, la CMU complémentaire (CMU-C), c'est-à-dire le financement d'une complémentaire gratuite, qui s'adresse aux personnes en situation de pauvreté – personnes seules ayant un revenu de moins de 720 euros par mois. Ces personnes, qui sont bien au-dessous du seuil de pauvreté, bénéficient d'une complémentaire gratuite correspondant à un panier de soins et du tiers payant intégral ; elles ne paient ni franchise ni participation forfaitaire ;

D'autre part, l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, créée en 2004 pour gérer les effets de seuil liés à la couverture maladie universelle complémentaire. Il s'agit d'une aide du type « chèque santé », qui participe au financement d'une complémentaire santé pour les personnes qui sont au-dessous du seuil de pauvreté et qui disposent, pour une personne seule, d'un revenu mensuel de 720 à 973 euros.

Concernant ces deux dispositifs, le Fonds CMU a deux domaines de compétences principaux. Premièrement, il garantit l'accès aux soins et aux droits des personnes les plus précaires. Deuxièmement, il a un rôle d'assureur complémentaire et d'observatoire, en quelque sorte, des complémentaires santé, dans la mesure où le financement de cette assurance complémentaire provient d'une taxation sur leur chiffre d'affaires.

Le Fonds CMU est, en effet, financé à hauteur de 85 % par la taxe de solidarité additionnelle sur le chiffre d'affaires des complémentaires santé, soit 2 milliards d'euros. Les 15 % restants, soit environ 400 millions d'euros, proviennent d'une part affectée des taxes sur le tabac.

Ces recettes, dont nous assurons le recouvrement dans le cadre d'un partenariat avec l'URSSAF – principalement de Paris – et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), restent dynamiques, même dans la période actuelle, qui connaît une croissance proche de zéro. Cette année, le chiffre d'affaires des complémentaires santé a augmenté de 3 %. C'est une augmentation forte et supérieure à l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), qui nous permet de financer la hausse des dépenses. Des réformes sont en cours, telles que la définition d'un panier de soins minimal par l'Accord national interprofessionnel (ANI), et les décrets sur les contrats responsables qui vont probablement bouleverser cette croissance et ce mode de financement. Néanmoins, nous restons assez confiants dans la perspective de croissance de nos ressources.

Vous venez d'adopter une disposition concernant la fusion de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d'assurance (TSA) et de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA), qui taxe les contrats complémentaires santé en fonction de leur caractère responsable ou non. Cette disposition n'aura pas d'impact financier sur nos recettes, mais elle en aura du point de vue organisationnel.

Comme nous traversons une phase d'accroissement de la pauvreté, les dépenses sont, elles aussi, dynamiques. Elles évoluent en fonction du nombre de bénéficiaires et du coût moyen par personne. Le nombre de bénéficiaires est en forte hausse depuis plusieurs années, du fait de l'intensification de la crise, donc de la pauvreté. Fin juin, la CMU-C comptait 5,1 millions de bénéficiaires, soit une hausse de 9,6 % en un an, et l'ACS 1,18 million, en hausse de 11,4 %. Les chiffres concernant la CMU-C suivent à peu près la même courbe que celle du taux de chômage, avec un décalage d'un an.

Dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, le Gouvernement a décidé de relever exceptionnellement les plafonds d'entrée dans la CMU-C et l'ACS. Grâce à cette mesure, le retard pris dans la généralisation de la complémentaire santé va être rattrapé : à terme, entre 600 000 et 750 000 personnes seront couvertes par une complémentaire santé à travers la CMU-C et l'ACS.

Les bénéficiaires des dispositifs consomment plus de soins, mais ils ne surconsomment pas par rapport à leur état de santé. Il s'agit de personnes qui ont été longtemps éloignées des soins. Quand elles rentrent dans le système de soins, il y a donc une phase de rattrapage. Toutes les études montrent que l'état de santé des personnes justifie pleinement les soins qu'elles consomment, autrement dit il y a adéquation entre le besoin de soins et les soins pratiqués.

Je rappelle qu'il existe de fortes inégalités sociales en matière de santé. Les personnes qui sont en bas de l'échelle sociale ont un état de santé plus dégradé et une espérance de vie inférieure à la moyenne constatée dans les classes sociales plus aisées. Par conséquent, leur besoin de soins est plus élevé quand elles entrent dans le système.

Il semble néanmoins que le coût moyen de la prise en charge par la CMU complémentaire baisse depuis environ un an et demi, ce qui tendrait à justifier les hypothèses selon lesquelles, d'une part, plus il y a de personnes qui entrent dans le dispositif, plus la différence de consommation de soins par rapport à la moyenne diminue ; d'autre part, après un certain temps, une fois le retard de soins rattrapé, les personnes ont des consommations de soins qui se rapprochent davantage de la moyenne.

En revanche, le coût moyen des chèques ACS versés aux complémentaires santé a légèrement augmenté depuis l'année dernière, en raison notamment de la disposition que vous avez adoptée l'an dernier, portant le montant de l'ACS de 500 euros à 550 euros par an pour les personnes de plus de soixante ans. À ce jour, le coût moyen de l'ACS est de 290 euros.

On observe donc une croissance positive des recettes et une croissance maîtrisée des dépenses. En termes de soutenabilité financière du Fonds, nous avons une visibilité tout à fait correcte jusqu'en 2017. Nous n'avons pas de besoin de financement jusqu'en 2017, et nous n'en aurons pas après si, comme nous l'espérons, le nombre d'entrées dans le dispositif diminue, car nous estimons être dans la phase basse de la crise économique.

La répartition des bénéficiaires du dispositif est inégale selon les régions ; elle est le reflet de celle de la pauvreté en France. Lorsque, en moyenne, 6 % des Français bénéficient de la CMU complémentaire, dans les départements les plus défavorisés – Nord, Bouches-du-Rhône, Seine-Saint-Denis –, le taux dépasse 10 % ; il avoisine 30 % dans les départements ultramarins. Rappelons qu'à ce jour, la CMU-C n'existe pas à Mayotte.

Du point de vue de la pyramide des âges, la CMU complémentaire suit les contours de la pauvreté en France. Aujourd'hui, 45 % des bénéficiaires ont moins de vingt ans, 5 % seulement plus de soixante ans, le minimum vieillesse étant au-dessus du plafond de la CMU-C, et le nombre de femmes, plus important, atteint 55 %. Le profil de la pauvreté, chez les bénéficiaires de la CMU-C, correspond fréquemment à des familles monoparentales. Les jeunes sont plus souvent des ayants droit issus de familles monoparentales que des jeunes indépendants pauvres.

Contrairement à certaines caricatures, ces personnes respectent le parcours de soins : 92 % d'entre elles font le choix d'un médecin traitant, soit 0,3 % de plus que la moyenne des Français. Il y a très peu de fraude : 841 cas ont été relevés en 2012, pour un montant représentant 600 000 euros. Cela étant, l'intérêt de frauder est très faible, car pour bénéficier de la CMU complémentaire, il faut être malade. Il ne s'agit pas de percevoir un revenu.

Parmi les bénéficiaires, 85 % choisissent une prise en charge par le régime général, 15 % par des organismes complémentaires. Leur état de santé étant plus dégradé que dans la population générale, ils ont besoin de plus de soins, mais, encore une fois, ne surconsomment pas.

L'ACS s'adresse davantage à des profils de travailleurs pauvres. Il y a également plus de personnes âgées : 30 % ont plus de soixante ans, ce qui s'explique par le fait qu'on est juste au-dessus du seuil de l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Enfin, 30 % ont moins de vingt ans.

Initialement, l'objectif des dispositifs était de faire baisser le renoncement aux soins, qui a de multiples facettes, parmi lesquelles le frein financier, que la CMU-C et l'ACS participent à lever. On estime que le renoncement aux soins a été divisé par deux grâce à la CMU complémentaire, qui l'a fait passer de 40 % à 20 %. Néanmoins, il existe toujours, car il a d'autres causes.

Pour ce qui est de l'ACS, le taux de recours étant plus bas, nous sommes un peu moins affirmatifs. Nombre de personnes qui pourraient bénéficier de l'ACS n'en bénéficient pas.

Avec l'ACS, les bénéficiaires ont aujourd'hui accès à l'ensemble du marché et peuvent acheter n'importe quelle complémentaire santé. Toutefois, les couvertures offertes sont très peu élevées, si bien que, outre le coût d'adhésion, ils doivent acquitter un reste à charge sur prestation. Des réformes sont en cours pour y remédier.

En permettant d'accéder aux soins, ces dispositifs contribuent à améliorer l'état de santé de la population. S'ils n'existaient pas, les inégalités sociales en matière de santé seraient encore plus fortes dans notre pays. Cela étant, il existe, hors du soin, d'autres facteurs déterminants que ces dispositifs ne suffisent pas à résoudre.

Beaucoup est fait pour améliorer le taux de recours. Au sein des administrations, des travaux d'information et de simplification sont en cours, en particulier pour aplanir les difficultés à remplir les dossiers. Toutefois, les critères d'entrée sont définis dans la loi par le législateur, sur proposition du Gouvernement, et ils sont différents selon les dispositifs. Une simplification absolue nécessiterait de revoir l'ensemble des dispositifs ainsi que l'ensemble des droits d'accès. Plus qu'une simplification administrative, c'est un vrai travail de fond au niveau législatif qu'il faudrait mener.

Des travaux portent également sur l'animation des réseaux, assurée par les caisses primaires d'assurance maladie, les caisses d'allocations familiales, les conseils généraux, les centres communaux d'action sociale (CCAS), et tous les intervenants auprès des personnes en situation de précarité. Des approches telles que les rendez-vous des droits ou les guichets uniques traitant l'ensemble des droits des bénéficiaires fonctionnent bien ; il faut continuer à les développer. La Mutualité sociale agricole (MSA), par exemple, qui fonctionne en guichet unique, est très efficace et performante en matière d'ouvertures de droits de la CMU complémentaire.

Des réformes de fond sont également menées. En particulier, celle de l'ACS a conduit, depuis deux ans, à une très nette amélioration. Dans le cadre de l'avenant 8 à la convention médicale, un droit au tarif opposable a été mis en oeuvre, grâce auquel les bénéficiaires de l'ACS ne subissent plus les dépassements d'honoraires. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale de 2014 a instauré une procédure de sélection des contrats à partir d'un panier de soins défini par l'État. Seuls les meilleurs contrats seront retenus et accessibles aux bénéficiaires de l'ACS. La qualité de la couverture sera ainsi grandement améliorée. Vous venez également de voter une mesure sur le tiers payant généralisé, pour les bénéficiaires de l'ACS dans un premier temps, ainsi que la suppression des franchises et des participations forfaitaires, ce qui lève un frein financier en matière d'accès aux soins. Par ailleurs, dans le projet de loi relatif à la santé, la ministre a proposé la mise en place par les ordres d'un observatoire sur les refus de soins.

Le dispositif de l'ACS s'est donc fortement amélioré. Tout l'enjeu sera d'améliorer la communication pour atteindre les bénéficiaires potentiels, car 30 à 40 % seulement des personnes éligibles au dispositif y accèdent réellement.

La loi portant création de la CMU, qui a quinze ans, n'a connu que des avancées, et cela continue. De nombreux petits chantiers de simplification et d'amélioration concernant les droits sont en cours, ainsi que des études sur le panier de soins CMU-C. Des améliorations sont toujours possibles, et le rôle du Fonds CMU est de faire des propositions dans ce but.

La réforme de fond de l'ACS entre progressivement en vigueur. Les décrets viennent d'être publiés et la mise en concurrence va être lancée. Nous avons donc tous les outils pour la réussir sur le fond. Ensuite, il s'agira de la réussir de manière effective, c'est-à-dire d'atteindre, par un travail de communication adapté, les personnes éligibles à l'ACS pour les en faire bénéficier.

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