Intervention de Jacques Myard

Réunion du 3 décembre 2014 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard :

Le projet de la BEI est une véritable usine à gaz, ne serait-ce qu'au regard du nombre de fonds qu'il fait intervenir. Par ailleurs, le fait qu'il n'ait pas vocation à produire ses effets avant 2015 ne répond absolument pas à l'urgence de la situation. En économie, on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, comme vous l'avez vous-même reconnu en décrivant les effets potentiellement récessionnistes de l'annonce d'une baisse des prix. Quant à l'harmonisation fiscale, ce n'est pas la peine d'en parler : quand nous ne sommes pas même capables de définir la base de taxation, il est vain d'évoquer ce que devraient être les taux. La France, qui accuse toujours les autres pays de faire du lobbying fiscal, devrait commencer par réduire sa propre fiscalité.

Sur le fond, il est évident que la France est en voie de récession, comme toute la zone euro. Quand on entend dire que la situation de l'Espagne, du Portugal et de l'Italie s'est améliorée, c'est archifaux : dans ces pays, le taux de chômage des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans atteint 50 %. Quant à l'équilibre primaire en matière de balance des paiements ou de remboursement de la dette, il ne s'explique pour les États que j'ai cités que par le fait qu'ils n'importent plus et que leurs économies sont atones : c'est la paix des cimetières qui règne –l'Italie, par exemple, n'a toujours pas retrouvé son niveau de PIB de 2007. Un tel constat impose de s'interroger sur l'outil mis en oeuvre et sur la zone euro dans son ensemble.

Le multiplicateur de la dépense publique s'établit à 1,6 : quand on coupe 100 dans la dépense publique en période de récession, cela se traduit par une baisse du PIB de 160. C'est tout de même cette politique à la Laval que l'on continue de mettre en oeuvre en dépit du bon sens, en confondant déséquilibre budgétaire et perte de compétitivité. Comme vous le savez, la banque d'Angleterre et la FED sont entrées dans une période d'assouplissement quantitatif. La seule solution aujourd'hui réside donc dans la création monétaire, sous la forme d'avances des banques centrales aux États pour des investissements immédiats, et non pas aux calendes grecques, comme avec le plan de la BEI. Malheureusement, l'Allemagne ne l'entend pas de cette oreille et la reine de Prusse continue à faire preuve d'une désolante rigidité dogmatique dans ce domaine. Avec son nouveau programme OMT (Outright Monetary Transactions), la BCE n'a pas vraiment changé de politique : elle rachète sur le marché secondaire des OMT de dettes souveraines, et les banques ne prêtent pas davantage.

Chaque baisse de l'euro profite plus à l'Allemagne qu'à la France, c'est pourquoi cette monnaie est tout à fait inadaptée à notre situation. Nous allons droit dans le mur, et je suis effaré de l'absence de débat sur l'instrument monétaire en France. Alors qu'il a lieu partout ailleurs, notamment au Royaume-Uni et en Italie, chez nous, c'est l'omerta. Mais, à un moment donné, nous serons bien obligés d'ouvrir les yeux.

Enfin, laissez-moi rire quand j'entends qu'on s'émerveille qu'avec l'union bancaire les banques se garantiront elles-mêmes. En réalité, seules 123 banques européennes – essentiellement les plus grandes – ont fait part de leur décision de prendre part à ce dispositif, alors que le danger provient surtout des plus petites, qui risquent de faire sauter le système en détenant des mauvaises créances issues de la titrisation. Les 55 milliards d'euros du Fonds de résolution des crises bancaires ne représentent rien du tout ; qui plus est, notre contribution sera de 16 milliards et s'il fallait recapitaliser, nous devrions payer à hauteur de 31 %. Tout cela, c'est du lip service – du soutien de façade, pour parler français. Ce n'est pas à la hauteur de la crise que nous traversons, et je crains fort que nous ne soyons déjà dans le mur.

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