Je travaille depuis une dizaine d'années sur la question des emplois du temps, en particulier sur l'influence des horaires de travail sur la sociabilité familiale. Je commencerai par évoquer un élément de contexte, celui de la participation des femmes au marché de l'emploi, qui n'a cessé de croître en France depuis la fin des années 1960. La question du travail est donc devenue de plus en plus souvent collective, c'est-à-dire qu'il est de plus en plus rare qu'au sein d'un couple, l'homme soit le seul à avoir un emploi. La forte participation des femmes au marché de l'emploi s'inscrit elle-même dans un autre contexte, celui de la tertiarisation de l'économie française, massive depuis les années 1960 et associée à une forte croissance des emplois qualifiés, notamment de cadres.
Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, cette tertiarisation a abouti à une large diversification des horaires de travail par rapport aux années 1960, où l'on n'avait que les horaires de bureau d'un côté, le travail posté en usine de l'autre – avec un horaire atypique, mais restreint à la population ouvrière et pouvant le plus souvent être prévu largement à l'avance. Le développement du secteur des services s'est accompagné de la généralisation de la pratique consistant à ajuster en temps réel le nombre de personnes nécessaires pour rendre un service en fonction du nombre de personnes présentes pour consommer ce service. Ainsi, dans la grande distribution, le nombre de caissières en poste est ajusté très exactement, tout au long de la journée, en fonction de l'affluence des clients – cette optimisation de la masse salariale dans le temps étant rendue possible par l'informatique. Pour les personnels concernés, cela se traduit par l'introduction d'horaires atypiques, puisque leur présence est requise principalement à certains moments de la journée.
À première vue, on pourrait considérer que les personnes ayant choisi de travailler dans un hypermarché ont également choisi de travailler selon des horaires atypiques. Une étude de l'INSEE montre cependant que lorsque les horaires de travail sont fixés par l'entreprise – ce qui est le cas pour deux employés sur trois –, les salariés ont plus souvent des horaires standard, c'est-à-dire des horaires de bureau, mais aussi des horaires longs – 16 % – et des horaires décalés – 22,5 %. Les horaires longs sont ceux comportant des journées d'au moins dix heures de travail, tandis que les horaires décalés correspondent au travail de nuit, ou effectué très tôt le matin ou très tard le soir.