Intervention de Michel Pébereau

Réunion du 27 novembre 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Michel Pébereau, président d'honneur de BNP Paribas :

La population active de la France se décompose en trois : les travailleurs à temps plein, les travailleurs à temps partiel et les chômeurs. Il se trouve que la proportion de chômeurs est très élevée dans notre pays, non par rapport à la moyenne de la zone euro mais par rapport aux principaux pays européens, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Il est nécessaire d'analyser les trois populations de façon séparée. Si l'on voulait une analyse globale, comme celle que vous évoquez, il faudrait prendre en compte les chômeurs dont, par définition, la production est égale à zéro et l'on aboutirait à un nombre d'heures travaillées par Français encore plus faible par rapport à ces deux pays puisqu'ils comptent beaucoup moins de chômeurs que nous. C'est la raison pour laquelle il nous semble très important de faire une analyse séparée des trois populations. Il faut réduire le nombre de chômeurs et faire en sorte que le travail à temps partiel soit aussi élevé que possible. En matière de travail à temps partiel, comme nous sommes dans la moyenne européenne le problème ne se pose pas. Quant aux travailleurs à temps plein, ce sont à la fois les salariés et les non-salariés. Et nous avons bien souligné que la durée moyenne de travail des non-salariés à temps plein était élevée. Si nous voulons davantage de croissance, il faut réduire le nombre de chômeurs, au moins maintenir le temps de travail des travailleurs qui ne sont qu'à temps partiel et essayer d'augmenter le temps de travail des travailleurs à temps plein. C'est ainsi que l'on créera la possibilité d'avoir une force de travail supplémentaire. D'une certaine façon, la production, la croissance sont fortement coordonnées au temps de travail.

Vous demandez si les informations en provenance de Coe-Rexecode sont fiables. Cet organisme a été créé à la fin des années 1970, en même temps que l'OFCE et avec le même objectif, c'est-à-dire apporter à l'opinion publique et aux responsables politiques et économiques français des informations et des réflexions d'organismes indépendants sur la situation économique. Nous considérons donc que c'est un organisme fiable dans ses analyses. Nous n'avons pas réexaminé ses méthodes et, à ma connaissance, la décomposition qu'il a faite n'a pas été contestée par les autres organismes. Il n'y a donc pas de raison de la mettre en cause. La seule critique qui a pu être faite est celle que vous venez d'émettre. À cette critique, je répondrai que si l'on prend en compte l'ensemble de la population française, l'on aboutit à un temps de travail plus faible car il y a davantage de chômeurs en France qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne.

Nous sommes convaincus que l'on crée de la croissance à partir de l'offre. Mon expérience, aussi bien dans le secteur public – bien lointaine – que dans le secteur privé – plus longue et plus récente – montre qu'un emploi supplémentaire est de nature à créer de la croissance dans le secteur privé à partir du moment où il est fondé sur l'idée que s'il est créé c'est qu'il crée une valeur ajoutée. Or vous savez que le produit intérieur brut est la somme des valeurs ajoutées. La valeur ajoutée d'un emploi dans le secteur privé ou d'une heure de plus de travail dans le secteur privé se traduit directement, si je puis dire, dans la croissance économique. Est-il possible de créer des emplois supplémentaires dès lors que l'on travaille davantage ? Notre réponse est oui. L'interruption de travail d'un travailleur dans une entreprise n'est pas un moyen de créer un emploi supplémentaire, c'est la disparition d'une force de travail qui existe. L'emploi supplémentaire viendra de la nécessité d'une force de travail supplémentaire. Elle sera d'ailleurs bien différente de celle qui disparaît car les personnes âgées ont une grande expérience, donc une force qui par construction n'est pas remplaçable en tant que telle, et parce que les jeunes ont de très grandes connaissances et une très grande adaptation au monde moderne et donc répondent mieux à toute une série de besoins contemporains. La force de travail crée en quelque sorte une offre qui va susciter la demande.

Monsieur le président, je partage votre sentiment selon lequel il est nécessaire, en matière de formation initiale des jeunes et de formation professionnelle continue, de consentir des efforts importants pour améliorer la capacité créatrice et productrice des uns et des autres. Il est incontestable que notre capacité créatrice et productrice repose sur notre niveau culturel et sur la formation professionnelle qui vient s'accrocher à ce niveau culturel. De même, il est indispensable que les entreprises et le secteur public fassent des efforts de recherche et d'innovation considérables. La recherche et l'innovation sont en effet des facteurs fondamentaux de la création de richesses. Mais c'est un autre problème auquel nous n'avons pas consacré cette étude.

Le bon sens conduit à cette idée que si l'on travaille davantage, la chance que l'on a de produire plus est très élevée. Et en disant cela, j'utilise des termes raisonnables. Mon expérience personnelle m'a montré que c'est ainsi que les choses se passent. Le groupe de travail que nous avions rassemblé et dont vous avez vu qu'il était d'origine assez diverse a conclu dans le même sens.

Je le répète, notre objectif doit être de trouver des moyens pour relancer la machine économique française, et l'un de ces moyens consiste à travailler davantage. Les informations globales ont l'inconvénient d'être globales. Elles sont injustes par rapport à toute situation individuelle puisque ce sont des moyennes et qu'il y a des extrêmes dans les deux sens. La moyenne reflète donc seulement une tendance intermédiaire. L'insuffisance des informations sur le secteur public est facteur d'injustice. Je suis convaincu que le temps de travail dans certaines collectivités est beaucoup plus important que dans d'autres, parce que c'est la vie. C'est la même chose dans les entreprises. Nous devons analyser le problème entreprise par entreprise, ce que nous faisons. Le fait que l'État nous ait demandé de produire des bilans sociaux nous a permis d'objectiver cette analyse-là que nous faisons dans les entreprises avec les partenaires sociaux et qui est extrêmement féconde. C'est la raison pour laquelle il serait utile de procéder de la même façon pour les collectivités. Nous faisons l'objet, dans les entreprises, d'une analyse de nos performances par l'intermédiaire de nos actionnaires, et s'agissant des collectivités, les électeurs ont la capacité de faire de même. Il ne faudrait donc pas s'imaginer que notre analyse a pour conséquence de faire une comparaison globale entre le secteur public et le secteur privé. Ce serait injustice. Il existe certainement des entreprises du secteur privé qui travaillent moins que d'autres et des collectivités qui travaillent beaucoup plus que d'autres. Sachons que nous sommes toujours en train de raisonner sur des moyennes et que celles-ci ne rendent pas compte de la situation effective de chacune des collectivités.

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