Intervention de Laurent Bigorgne

Réunion du 27 novembre 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne :

En ce qui concerne l'absentéisme, on assiste à une dérive de l'ordre de 10 à 15 % sur une période de six ans, voire 20 % dans certains cas, ce qui est inquiétant. On est donc bien au-delà de l'erreur statistique. On pourrait peut-être rechercher quelles conditions sociologiques, sociales ont accompagné cette dérive.

Vous nous avez interrogés sur les temps pleins et les temps partiels. Il est clair que la France a fait le choix de diminuer le temps de travail des salariés à temps complet. C'est un choix fort qui a produit des effets économiques, notamment le renchérissement du coût du travail pour les moins qualifiés, de sorte qu'aujourd'hui la France est l'un des pays européens où le coût du travail non qualifié est le plus élevé en ce qu'il vient tamponner le salaire médian. Selon les travaux réalisés par MM. Gilbert Cette, Philippe Aghion, et Élie Cohen, la France a les ratios les plus importants d'Europe. Si l'on veut raisonner en coûts complets, il faut s'interroger sur le coût social mais aussi économique de la destruction d'emplois généré par cette situation qui est assez bien établie par ces trois auteurs dans leur ouvrage Changer de modèle et qui s'interroge sur le modèle que nous avons choisi.

J'ajoute que les questions de productivité dont nous avons débattu tout à l'heure pourraient trouver un éclairage nouveau et intéressant dès lors que l'on considérerait que l'on a fait reposer la production, et donc la productivité française, sur une population active dont on a éliminé plus qu'ailleurs énormément de jeunes, et dont on continue à éliminer plus qu'ailleurs beaucoup de gens vieux. La population active française étant en correspondance avec les âges qui ont la plus forte productivité, c'est-à-dire entre trente et cinquante ans, ce qui correspond à des âges où l'on a de l'expérience et où l'on est en bonne santé, il n'est pas complètement anormal qu'elle soit très productive. Le contraire serait fâcheusement inquiétant. Je rappelle que l'on a fait, là aussi, le choix public qui tient à la structuration du marché de l'emploi. Je ne dis pas que c'est la conséquence des 35 heures : quantités de facteurs expliquent cela. Les résultats auxquels on aboutit sont normaux dès lors que la population active est ainsi structurée. Evidemment, ce n'est pas la population active que le consensus des économistes et, je pense, des citoyens appelle de ses voeux.

Au terme d'un travail qui a exploré d'abord et avant tout le temps de travail sur le cycle annuel, je serais gêné de vous dire quels sont les avantages ou les inconvénients des 35 heures, n'étant moi-même pas sociologue. Cette question ressemble à la théorie des « insiders » versus les « outsiders » dont les économistes du travail, de tous les horizons philosophiques – et nous en avons d'excellents dans ce pays – se font l'écho. Il est important de poser la question des effets des 35 heures sur ceux qui travaillent, dans un pays où 10 % de la population active est au chômage, où 20 % des jeunes sont au chômage voire 40 % dans les quartiers de la politique de la ville. Mais je me demande si la question est celle des « insiders » versus les « outsiders », c'est-à-dire opposer ceux qui travaillent à ceux qui souhaiteraient travailler et qui ne le peuvent pas, mon souci étant principalement que dans notre pays les travailleurs non qualifiés sont victimes d'une trappe à chômage parce que le renchérissement du coût du travail non qualifié a conduit à leur éviction très forte du marché du travail depuis assez longtemps.

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