En 2010, le législateur avait prévu que la composition des conseils de communautés de communes et de communautés d'agglomération, ainsi que la répartition des sièges en leur sein, pourraient être déterminées de deux manières : soit par l'application d'un tableau précisant le nombre de sièges au sein de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) selon sa population, et les répartissant entre communes en fonction d'un principe de représentation proportionnelle aménagée ; soit par la conclusion, à la majorité qualifiée des communes membres, d'un accord de répartition des sièges.
Cette volonté d'harmoniser les règles de composition des conseils communautaires a ensuite trouvé un écho dans l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct par fléchage dans les communes de plus de 1 000 habitants, organisée par la loi du 17 mai 2013.
Cette évolution des règles de représentation et cette démocratisation de l'intercommunalité constituent en réalité l'aboutissement d'un long processus. La loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, qui a créé les communautés de communes, prévoyait déjà que la répartition des sièges au sein de leur organe délibérant soit assurée en fonction de leur population.
Ce principe était cependant tempéré par l'application de deux règles, jamais remises en cause depuis lors : d'une part, l'attribution d'un siège de droit à chaque commune, quelle que soit sa population, afin que toutes les communes soient représentées ; d'autre part, l'interdiction pour l'une d'entre elles de disposer de plus de la moitié des sièges, ce qui lui aurait permis de régir le conseil communautaire et d'exercer ainsi une forme de contrôle sur l'EPCI.
La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 avait maintenu cet encadrement. Toutefois, à l'initiative du Sénat, la possibilité de procéder à une répartition par accord local à la majorité qualifiée des communes avait été conservée aux communautés de communes et d'agglomération. Par la suite, la loi du 31 décembre 2012 relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d'agglomération avait rendu plus attractive encore la conclusion d'un tel accord, en portant à 25 % du total prévu par l'application des règles légales la proportion de sièges supplémentaires pouvant être répartis dans ce cadre. On estime que 90 % des 2 125 organes délibérants de communautés de communes et de communautés d'agglomération installés à l'issue des élections municipales de mars 2014 ont été constitués sur la base d'un tel accord local.
Cependant, le 20 juin dernier, dans le cadre de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à une requête de la commune de Salbris qui s'estimait insuffisamment représentée au sein de l'organe délibérant de sa communauté de communes, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales qui organisaient les modalités de la répartition des sièges de conseillers communautaires par accord local.
Cette décision a mis en cause un dispositif qui, en encadrant uniquement de manière marginale la libre répartition des sièges de conseillers communautaires par les élus municipaux, méconnaissait le principe d'égalité devant le suffrage en tant qu'il permettait de déroger dans une mesure manifestement excessive au principe général de proportionnalité démographique.
Le Conseil constitutionnel n'a toutefois contesté ni le principe même qui permettrait aux conseils municipaux de conclure un accord local de répartition des sièges au sein de l'organe délibérant, ni le fait que cet accord procède d'une majorité qualifiée des communes, à condition que les écarts de représentation qu'il prévoirait soient fondés sur des considérations d'intérêt général et encadrés par le législateur.
Par ailleurs, en vertu de cette décision, chaque annulation d'une élection municipale dans une seule des communes membres d'une communauté de communes ou d'agglomération, mais aussi toute modification du périmètre de l'un de ces EPCI, obligent à recomposer un organe délibérant selon la seule règle de stricte représentation démographique seule encore en vigueur, sans possibilité de recourir à un accord local. C'est la raison pour laquelle nos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, membres de la commission des Lois du Sénat, ont déposé le 24 juillet dernier cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité par la Haute assemblée le 22 octobre.
Malheureusement, le dispositif ainsi retenu ne semble que partiellement conforme à la jurisprudence constitutionnelle. En effet, celle-ci restreint les marges de manoeuvre que le législateur peut laisser aux élus municipaux pour fixer la composition de l'organe délibérant d'un EPCI, en exigeant que les écarts de représentation par rapport à la répartition sur des bases démographiques soient limités et justifiés par des motifs d'intérêt général.
Certes, la version initiale de la proposition de loi encadrait doublement ces écarts. D'une part, aucune commune ne pouvait voir sa représentation augmenter de plus d'un siège ; d'autre part, aucune délégation de commune ne pouvait voir sa part de sièges au sein de l'organe délibérant diminuer de plus de 20 %.
Cependant, ces règles ne garantissent en rien que la répartition soit conforme au principe d'égalité démographique. D'abord, dans la mesure où le gain potentiel ne peut dépasser un siège par commune, les communes les plus peuplées, dont la représentation est déjà limitée à la moitié des sièges au maximum, voient nécessairement leur part reculer : un gain d'un siège correspond à une augmentation de 5 % pour la commune qui dispose déjà de 20 sièges, mais à une hausse de 100 % pour celle qui n'en a qu'un. Ensuite, en permettant de diluer la part de chaque commune, dans la limite de 20 %, le texte ne tient pas compte des éventuelles sous-représentations, notamment dans le cas où plusieurs communes se sont vu attribuer des sièges supplémentaires à l'issue de la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne.
La commission des Lois du Sénat a bien observé que « l'écart en surreprésentation pourra, dans certains cas, excéder les limites posées par la jurisprudence constitutionnelle », tout en se demandant si cette tolérance ne pourrait pas être admise en tant que motif d'intérêt général. Néanmoins, et afin de garantir la plus grande sécurité possible, elle a renforcé l'encadrement de l'accord local prévu à l'article 1er, en adoptant plusieurs amendements de sa rapporteure, Mme Troendlé, et de M. Richard.
D'abord, une commune réunissant plus de la moitié de la population de l'EPCI ne bénéficierait pas de la garantie selon laquelle la part des représentants de la commune dans l'organe délibérant ne doit pas être inférieure de plus de 20 % à la part de la population communale dans la population totale de la communauté.
Ensuite, les communes ayant bénéficié de la garantie du siège de droit pour toutes les communes au titre de la loi de 2010 ne se verraient pas attribuer un siège supplémentaire.
Toutefois, un siège supplémentaire leur serait attribué au cas où leur représentation serait inférieure de plus d'un cinquième à la proportionnelle démographique.
Enfin, la sous-représentation d'une commune serait appréciée au vu de sa part dans la population totale de l'EPCI.
Cependant, ce dispositif ne correspond pas à l'encadrement dit du « tunnel » habituellement pratiqué par le Conseil constitutionnel. Je vous proposerai donc un dispositif respectant plus strictement les deux principes d'encadrement des marges de manoeuvre laissées aux élus municipaux.
Pour commencer, la marge de 20 % s'appréciera par rapport au nombre de sièges qui résulterait, pour la commune concernée, de l'application des règles légales en l'absence d'accord des communes sur la répartition des sièges. L'attribution de sièges supplémentaires doit maintenir dans cette limite toutes les communes qui s'y trouvent déjà soumises. À l'égard des autres communes, elle devra avoir pour effet de réduire l'écart à la moyenne, sans nécessairement ramener cet écart en deçà de 20 %.
Enfin, un dernier tempérament m'a été suggéré par Alain Richard, que j'ai rencontré pour tenter de parvenir à une rédaction consensuelle, dans la perspective d'un éventuel vote conforme au Sénat. Si la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ne permettait d'attribuer qu'un seul siège à une commune – situation différente de celle des communes qui ne pourraient bénéficier de l'attribution d'un siège en application de la règle résultant de la loi de 2010 –, l'accord pourrait lui en attribuer un second, afin de favoriser une représentation plurielle et paritaire de chacune des communes.
Par ailleurs, le VI de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que dans les métropoles et les communautés urbaines, à l'exception de la métropole d'Aix-Marseille, et, à défaut d'accord global, dans les communautés de communes et les communautés d'agglomération, les communes peuvent créer et répartir des sièges supplémentaires en nombre inférieur ou égal à 10 % du total issu de la répartition légale. Toutefois, cette répartition n'est encadrée par aucune règle visant à garantir le principe général de proportionnalité par rapport à la population. L'un de mes amendements propose donc d'appliquer les règles d'encadrement susdites à cette répartition de sièges supplémentaires.
Enfin, le cas d'espèce de la commune de Salbris, soumis au Conseil constitutionnel, a montré que les conditions de majorité qualifiée pouvaient conduire à ce qu'un accord local soit trouvé au détriment des communes les plus peuplées, au risque de déséquilibrer la gouvernance des EPCI. Aussi vous proposerai-je par voie d'amendement que l'accord local de répartition des sièges soit adopté dans les conditions de majorité qualifiée qui s'appliquent à la création d'un EPCI à fiscalité propre : soit à la majorité des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus de la moitié de la population, soit par la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus des deux tiers de la population totale, moyennant l'accord obligatoire du conseil municipal de la commune dont la population est la plus nombreuse, dès lors que celle-ci est supérieure au quart de la population totale.
Comme prévu par le Sénat, l'article 2 de la proposition de loi permet aux communes qui n'auraient pu négocier un accord local de le faire dans les six mois suivant la promulgation du présent texte, ou avant une élection partielle qui nécessiterait de recomposer un organe délibérant.
La liberté que nous souhaitons naturellement laisser aux élus locaux doit être encadrée, dans le respect des principes constitutionnels, d'où la nécessité de limiter les marges de manoeuvre dont ils disposent pour conclure un accord local de répartition des sièges. J'espère toutefois que mes amendements, notamment le dernier tempérament suggéré par Alain Richard, nous permettront de parvenir à un texte qui pourrait être soumis au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, afin de sécuriser les accords qui en découleront.