Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 9 décembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard :

Je me félicite de l'ambiance dans laquelle notre commission a travaillé jusqu'à présent, même si le début de notre réunion d'aujourd'hui n'en est pas représentatif. Jean-Pierre Gorges indique dans sa contribution que la question des 35 heures est un totem pour la gauche et un tabou maléfique pour la droite, et il nous invite à dépasser ce débat théologique qui n'a plus lieu d'être. Je ne saurais mieux dire. Je crois, en effet, que cette commission nous aura permis d'y arriver. Alors qu'un vrai travail a été réalisé, je regrette que l'on en revienne à ce qui me paraît relever davantage d'imprécations que d'analyses.

Je tiens à féliciter Mme la rapporteure et M. le président pour le travail qui a été accompli. On peut partager un certain nombre de constats. D'abord, nul ne nie que la réduction du temps de travail est un processus historique de long terme : 1936, 1982, 1998 ; loi Robien – avec non seulement un volet défensif, mais aussi un volet offensif qui permettait de réduire le temps de travail en dehors de tout contexte de difficulté économique –, lois Aubry. Ce processus n'est pas purement français, on l'observe dans tous les grands pays industriels comme dans les pays industriels plus petits. La réduction du temps de travail n'est jamais que la conséquence de la très forte augmentation de la productivité : en une heure de travail, on produit beaucoup plus aujourd'hui qu'il y a vingt ou a fortiori cent ans.

J'ajoute que les négociations qui ont accompagné le passage aux 35 heures ont elles-mêmes été un facteur de gains de productivité – sur ce point les auditions se sont montrées convergentes –, puisqu'elles ont contraint les entreprises à réorganiser les processus de production. La compétitivité accrue qui en est résultée a compensé au moins en partie le surcoût salarial dû à la réduction du temps de travail avec maintien du niveau des salaires. Du reste, de nombreuses négociations ont abouti au gel des salaires pendant trois ans pour permettre aux entreprises d'étaler la charge de la réforme.

Pour ce qui concerne les effets de la politique de réduction du temps de travail, nous disposons de peu d'informations objectives sur ce qui est advenu après 2002 : toutes les évaluations portent sur les années 1998-2002. La création de 250 000 à 350 000 emplois imputables aux 35 heures s'inscrit dans un contexte de croissance forte, supérieure en France à ce qu'elle était en Europe, et de croissance riche en créations d'emplois – près de 2 millions en cinq ans, ce qui n'est pas rien.

Les 35 heures se sont accompagnées d'une flexibilisation des horaires : on est passé de la norme relativement rigide des 39 heures à la possibilité d'annualiser le temps de travail, de passer au forfait jours pour les cadres – dont je doute, du reste, qu'il se soit in fine traduit, pour ces derniers, par une réduction du temps de travail, au contraire même.

Les 35 heures paraissent avoir dissimulé un mouvement tout aussi profond que la réduction du temps de travail : le changement de politique relative aux cotisations salariales et patronales. Les cotisations salariales n'ont pas été réduites mais les charges patronales, elles, ont baissé. Cette évolution concerne non seulement les années 1998-2002 mais également la période suivante, avec la loi Fillon puis avec le CICE, enfin avec le pacte de responsabilité. Ainsi, majorité après majorité, la même politique de réduction du coût du travail est menée par le biais de la baisse des charges sociales. Or ce que l'employeur considère comme un coût du travail correspond pour le salarié à une rémunération du travail. Dès lors qu'il s'agit des deux faces d'une même pièce, il me semble qu'il y a défaut de négociations. Car ce mouvement de fiscalisation de plus en plus marquée du financement de la protection sociale s'opère en silence, sans que le partage de la baisse de rémunération du travail soit négocié, alors que ce devrait pourtant être un point important à discuter par les partenaires sociaux.

L'impact de la réduction du temps de travail dans la fonction publique a été d'autant plus fort qu'elle n'y était pas prévue. Or ce qui n'est pas anticipé n'est pas forcément bien maîtrisé, comme le montre l'exemple du secteur hospitalier. La directrice de la fonction publique a néanmoins rappelé qu'avant la loi sur les 35 heures, aucun horaire vraiment légal ne s'appliquait à la fonction publique. On est donc passé d'un horaire arbitrairement déterminé par des notes de service à un horaire plus précisément encadré. De ce point de vue, le passage aux 35 heures paraît un progrès important pour l'ensemble des fonctions publiques. Pour ce qui est plus précisément de l'hôpital, il semble, d'après les auditions auxquelles nous avons procédé, que le passage aux 35 heures est aujourd'hui acquis, digéré. Il convient, par conséquent, de considérer que les problèmes du secteur hospitalier ont d'autres causes que les 35 heures, qui ne doivent pas être le bouc émissaire, ce qui, de surcroît, empêcherait toute réflexion.

On compte environ 500 branches professionnelles, en France, dont 200 fonctionnent et 50 organisent une vraie négociation collective active. Nous n'avons pas besoin d'attendre le remodelage des branches que permet la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, pour faire avancer la négociation. La question est plutôt de savoir ce que l'on fait des entreprises dépourvues de représentants syndicaux, notamment celles de moins de vingt salariés. De ce point de vue, les partenaires sociaux sont en train de discuter, et j'observe que les lois Aubry sont un bon exemple de ce qu'on peut faire puisqu'avec la notion de salarié mandaté, il a été possible de négocier entreprise par entreprise, y compris dans des entreprises de petite dimension, là où il n'y avait pas de délégués syndicaux, avec des salariés extérieurs dûment mandatés par le syndicat.

Parmi les propositions du projet de rapport, qui recoupent en partie celles de M. Gorges, je retiendrai qu'à terme nous regrouperons probablement le compte personnel de formation, le compte pénibilité, peut-être le compte épargne-temps au sein d'un compte social universel, unique qui puisse porter l'ensemble des droits différés. Ces droits seront-ils gérés depuis l'extérieur et suivront-ils les salariés d'entreprise en entreprise ? Une fongibilité entre ces différents droits est-elle par ailleurs envisageable ?

Le travail de la Commission m'a beaucoup intéressé, et je souhaite que nous en retenions l'idée que nous pouvons dépasser nos contradictions en acceptant de cesser de faire des 35 heures, je le répète, un bouc émissaire bien utile pour ne pas se poser de questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion