Intervention de Thierry Benoit

Réunion du 9 décembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit, président :

Je veux saluer, moi aussi, l'état d'esprit qui a présidé aux travaux de notre commission, et remercier Mme la rapporteure pour la qualité de son travail.

Votre président, qui a été à l'origine de la création de cette commission d'enquête, doit toutefois vous avouer sa frustration de ne pas avoir pu tenir la plume de ce rapport. Je m'étais pris à croire que le Gouvernement saurait se montrer ouvert et laisserait un membre d'un groupe minoritaire être le rapporteur de cette commission…

Nos travaux visaient à mesurer les conséquences de l'instauration des 35 heures, mais aussi à faire des propositions constructives. Depuis quinze ans, les questions de la réduction du temps de travail, des modalités de son application, de son coût, reviennent régulièrement : il fallait faire le point. J'ai beaucoup apprécié les nombreuses auditions que nous avons menées : des experts, des représentants de la société civile, des chefs d'entreprises, des syndicalistes, des membres du Gouvernement même sont venus de bonne grâce évoquer ce sujet en jurant de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Madame la rapporteure, votre propos introductif ce matin était, si je puis me permettre cette observation, plus lisse que le contenu de votre rapport ! Je ne parlerai pas de vent de fronde, mais il n'en reste pas moins que vous reprenez l'idée, formulée devant nous par Pierre Larrouturou, selon laquelle il faut poursuivre le mouvement de partage du travail, en allant vers la semaine de quatre jours et de 32 heures.

Je regrette qu'à l'issue des auditions, nous n'ayons pas réussi à briser le totem, à nous débarrasser du tabou, alors que nous avons entendu de façon récurrente que les 35 heures étaient une durée purement théorique, puisque le temps de travail moyen se situait plutôt à 39 heures, voire au-delà. Je suis assez d'accord sur ce point avec M. Gorges, et M. le Premier ministre l'a lui-même indiqué lors de son intervention télévisée dimanche soir. Aujourd'hui, nos dirigeants recherchent des artifices pour que nos concitoyens consentent à travailler plus : hier, c'était une journée de solidarité à la place du lundi férié de la Pentecôte, demain, ce sera la reprise du débat sur le travail dominical.

Vous dites, madame la rapporteure, que les dirigeants d'entreprise ne souhaitent pas revenir sur le dispositif actuel. Certains nous ont toutefois demandé plus de souplesse ; encouragez-nous, disent-ils, à dialoguer avec nos collaborateurs, branche par branche, entreprise par entreprise !

Le rapport, me semble-t-il, ne met pas suffisamment en avant les interrogations qui persistent. Les quelque 320 000 emplois créés sont-ils vraiment dus à la mise en place des 35 heures ou bien sont-ils un effet de la croissance qu'a connue la France à la fin des années 90 ? Vous ne soulignez pas non plus suffisamment, je crois, les grandes iniquités que ces lois ont engendrées : selon que vous êtes cadre ou employé, de statut public ou privé, salarié d'une grande entreprise ou d'une PME, votre situation est très différente.

En proposant de réduire à nouveau le temps de travail, le rapport aborde ces questions de façon très partisane, mais ne fait pas, à mes yeux, suffisamment de propositions nouvelles. J'ai donc, moi aussi, déposé une contribution, afin de tirer les leçons de nos travaux et de faire des propositions.

Nous devons proclamer – ce que le rapport ne fait pas – que le travail est créateur de richesse. Il faut le dire à tous, dès l'école : le travail conduit normalement au succès ! Vous laissez trop de côté la question de la compétitivité, madame la rapporteure ; vous affirmez même que la compétitivité horaire a augmenté. Mais le temps passé au travail revêt, lui aussi, une grande importance pour les résultats économiques ! La question du coût des 35 heures et de la charge qu'elles représentent pour nos finances publiques n'est pas non plus suffisamment étudiée.

L'État doit, à mes yeux, comme l'indique ma contribution, favoriser un dialogue social renouvelé et constructif. L'accord national interprofessionnel de janvier 2013 est un bon point de départ, et j'ai d'ailleurs voté la loi qui le mettait en oeuvre. L'État doit aider à corriger les inégalités, notamment entre secteurs public et privé – en remettant sur le métier la question du temps de travail, mais aussi en revenant sur la suppression du jour de carence dans la fonction publique. Le dialogue social doit être mieux organisé, et il faut favoriser la négociation dans chaque branche, et même dans chaque entreprise. Faisons confiance aux partenaires sociaux pour définir une position équilibrée afin de permettre aux entreprises d'être compétitives tout en garantissant aux salariés la possibilité de concilier vie personnelle et vie professionnelle.

Cela suppose plusieurs préalables. Tout d'abord, les entreprises dont les salariés souhaiteraient conserver une durée hebdomadaire du travail de 35 heures devraient le pouvoir. Les salariés soucieux d'augmenter la durée hebdomadaire du temps de travail dans leurs entreprises bénéficieraient du rachat progressif, par l'État, des jours de RTT.

Le dialogue social doit être conforté et la représentation salariale doit davantage s'adapter à la diversité des entreprises. Afin d'accompagner les entreprises qui souhaiteraient allonger la durée de temps de travail, un médiateur, élu par l'ensemble des membres de l'entreprise, pourrait jouer le rôle de tiers de confiance et favoriser les discussions. La création de ce médiateur devrait notamment permettre d'apporter une réponse à la question des entreprises dépourvues de représentants du personnel.

L'État, en association avec les collectivités territoriales et les acteurs économiques, devra enfin mettre en oeuvre un plan de valorisation des filières afin d'en renforcer l'attractivité.

Une réforme du temps de travail hebdomadaire doit également être menée dans la fonction publique, afin que celle-ci devienne plus souple et plus efficace : l'État doit se fixer comme objectif la mise en oeuvre progressive d'une durée du temps de travail de 39 heures hebdomadaires. Cette réforme s'articulerait autour de plusieurs principes. Tout d'abord, le passage aux 39 heures de durée hebdomadaire légale ne pourrait se faire que sur la base du volontariat – ce changement s'accompagnant nécessairement d'un rachat, par l'employeur public, des réductions temporaires de travail. Les contrats des agents publics nouvellement recrutés prévoiraient, en revanche, une durée légale hebdomadaire du travail de 39 heures, rémunérées 39 heures. Il faut également renforcer et moderniser le contrôle du temps de travail par le management, afin de lutter contre l'absentéisme.

Enfin, le passage aux 39 heures ne peut s'envisager que dans le cadre d'une réforme structurelle du périmètre d'intervention de l'État, des collectivités territoriales et d'une réforme de la carte hospitalière et de l'organisation des soins. C'est à ce prix que nous pourrons garantir un service public de qualité.

Notre enquête fait également apparaître l'intérêt d'une réflexion sur le temps de travail à l'échelle d'une vie, qui permettrait d'appréhender la question de manière globale, à l'instar du programme européen pour l'apprentissage tout au long de la vie. Plus que jamais, nous devons valoriser le travail comme un outil essentiel au service du financement des retraites, de la protection sociale, de la politique familiale, du handicap et de la grande dépendance.

Cette approche, sans doute plus adaptée à un environnement professionnel en profonde mutation, permettrait aussi d'aborder la question de l'âge effectif de départ à la retraite, celle de l'entrée sur le marché du travail pour les jeunes, celle des périodes durant lesquelles les salariées ou les salariés souhaiteraient diminuer leur activité pour des raisons personnelles, celle des périodes pendant lesquelles les entreprises ont besoin d'augmenter les cadences de travail pour rester compétitives, ainsi que la question de la valorisation de l'engagement au service de la communauté. Il serait opportun de développer les passerelles entre la fonction publique et le secteur privé afin de permettre un apprentissage réciproque et une plus grande souplesse des carrières.

Voilà mes propositions. Elles sont audacieuses mais offriraient un début de réponse aux problèmes de nos finances publiques ; j'espère qu'elles seront reprises par le Gouvernement. Le travail, il faut le répéter, est avant tout une source d'épanouissement et d'enrichissement humain. Il n'est pas aliénant.

Parce que le rapport, en proposant la poursuite de la réduction du temps de travail, ne me paraît pas tirer lucidement les leçons de quinze années de mise en oeuvre des 35 heures, je voterai contre les conclusions présentées par Mme la rapporteure.

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