Intervention de Barbara Romagnan

Réunion du 9 décembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Romagnan, rapporteure :

Monsieur le président, je comprends votre frustration ; mais je veux vous rassurer : le Gouvernement n'est vraiment pour rien dans le fait que je sois rapporteure de cette commission d'enquête.

Le bon esprit dont vous vous félicitez, à juste titre, n'a rien à voir avec les divergences qui s'expriment, et qui sont parfaitement naturelles. Nous pouvons nous accorder sur certains constats sans le faire sur l'ensemble du rapport, et surtout sur ses conclusions, qui sont encore un peu plus personnelles. J'ai la prétention d'avoir pris en considération toutes les auditions. Pour autant, ce rapport n'en est pas une simple synthèse.

J'ai ressenti une certaine consternation en entendant le ton adopté par M. Bernard Accoyer tout à l'heure : parler d'effets catastrophiques est évidemment très excessif, surtout pour une période où l'on a vu le chômage et les déficits publics se réduire fortement.

Je voudrais apporter ici quelques compléments, sans toutefois répéter ce que j'ai déjà dit en introduction.

J'ai entendu que nous serions les seuls à avoir choisi la voie de la réduction du temps de travail : c'est faux, et cela a été rappelé à plusieurs reprises. Certes, ce calcul tient compte du temps partiel, mais pourquoi écarter les salariés qui travaillent à temps partiel ? Il a également été rappelé que les pays où l'on travaille le plus ne sont pas forcément de ceux dont nous pourrions envier le niveau de développement.

Il faudrait, nous dit-on, travailler plus pour créer plus de richesses. Mais ce qui compte, c'est bien le nombre global d'heures travaillées : or, lorsque Lionel Jospin était Premier ministre, ce nombre a sensiblement augmenté, parce que beaucoup de gens travaillaient. Bien sûr, l'appréciation du nombre d'heures travaillées peut varier si l'on se place au niveau individuel : la rentabilité du travail diminue au fur et à mesure que la journée s'allonge, ou la semaine, peut-être parce qu'un travailleur finit par se fatiguer…

Madame Le Callennec, notre commission d'enquête visait justement à éviter de nous contenter de ce que nous avons tous, bien naturellement puisque nous avons tous notre idéologie et que nous appartenons à des groupes politiques différents, « tendance à penser ». Nous voulions justement aller au-delà de ces préjugés et rassembler des éléments objectifs – je ne dis pas que vous n'avez pas fait cet effort, bien sûr. La question du coût du travail ne doit pas être séparée de celle de la valeur créée par ce travail : un salarié bien payé peut produire beaucoup plus de richesses qu'un salarié moins bien payé, qui crée beaucoup moins de richesses. Il ne faut, de surcroît, pas oublier que nous sommes en concurrence avec des pays où les coûts du travail sont très bas : nous ne les rattraperons pas.

J'ai consacré de longues pages du rapport à la question de la croissance et de la compétitivité. La croissance mondiale, je le rappelle, était à peu près identique avant, pendant et après la législature durant laquelle M. Jospin était Premier ministre – elle avait même fléchi pendant ce mandat. Il ne faut pas non plus oublier que, si la croissance européenne était forte alors, c'est aussi parce qu'elle était tirée par la croissance française. On ne peut donc pas attribuer les fortes créations d'emplois de la période 1997-2002 à la seule croissance mondiale.

Quant à la rigidité, il faut bien reconnaître – que ce soit pour s'en réjouir ou pour le regretter – que les 35 heures ont justement accrû la flexibilité.

Monsieur Taugourdeau, si j'esquissais une comparaison avec l'Italie, c'était pour montrer que c'est plutôt, à l'échelle européenne, l'Allemagne qui fait figure d'exception dans le domaine des exportations. Si l'Allemagne est extrêmement compétitive, c'est en effet parce que, comme le mark était fort et régulièrement réévalué, les Allemands ont su prendre de bonnes habitudes et se montrer compétitifs sur autre chose que le coût. Il ne faut pas non plus oublier qu'ils ont pu substituer des sous-traitants d'Europe de l'Est, c'est-à-dire de pays où le coût du travail est très bas, à leurs anciens partenaires qui étaient notamment français et italiens.

Madame Coutelle, je note votre remarque sur les femmes, moins bénéficiaires des 35 heures parce qu'elles travaillent souvent à temps partiel. C'est effectivement un oubli de ma part dans ma présentation. Elles en ont toutefois profité quelque peu malgré tout, parce qu'elles ont pu passer à temps complet ou tout simplement retrouver du travail.

Monsieur Gorges, vous vous demandez pourquoi les 35 heures n'ont pas été supprimées. Les négociations avaient été longues, parfois difficiles, et sans doute les entreprises n'ont-elles pas eu envie d'y revenir. Mais il faut aussi souligner qu'elles en ont retiré des avantages réels sous forme de gains de productivité – surtout les plus grandes d'entre elles, j'en conviens. Au total, le coût du travail a très peu augmenté, en raison de la modération salariale durant au moins dix-huit mois, des baisses de cotisations et des aides de l'État.

Je retiens vos nuances, monsieur Taugourdeau, sur l'utilisation des machines, mais l'augmentation de 10 % du temps d'utilisation de matériel, sans investissement supplémentaire, a constitué un avantage considérable.

J'entends toutes vos propositions et critiques. Je voudrais revenir sur la toute dernière partie du rapport, qui a été très caricaturée. Nous pouvons, je le crois vraiment, entretenir un rapport différent avec la productivité : préférons-nous 500 vaches qui s'entassent dans une seule ferme et sont nourries d'OGM importés, ou autant de vaches qui paissent tranquillement dans des prés, qui sont soignées par quarante paysans, et qui produisent ainsi du lait et de la viande de bonne qualité ? Bien sûr, la première solution est celle de la rentabilité immédiate ; mais est-ce là ce que nous voulons ? Cette partie des conclusions du rapport doit être envisagée comme une invitation à la réflexion.

La baisse des cotisations sans condition parfois pratiquée doit être mise en regard de ce qui s'est fait lors de la mise en place des 35 heures : c'est parce qu'elles avaient pour contrepartie des embauches et une réduction du temps de travail que les baisses de cotisations ont eu un effet positif. Je rappelle à nouveau, en effet, que les 35 heures ont été plutôt positives pour nos finances publiques, puisque les cotisations versées par les salariés et les rentrées fiscales ont augmenté, tandis que les indemnités de chômage à verser diminuaient.

Beaucoup, je vous l'accorde, reste à faire : nombreux sont encore ceux qui ne sont pas aux 35 heures, à commencer par les chômeurs et les travailleurs à temps partiel. Nous avons encore de grands progrès à réaliser sur les conditions de travail.

Merci à tous, encore une fois, de votre attention et de la qualité de nos échanges. Je veux remercier chaleureusement les fonctionnaires de l'Assemblée, qui n'ont pas ménagé leur peine.

Je vous invite à voter ce rapport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion