Intervention de Jean Bassères

Réunion du 9 décembre 2014 à 17h15
Commission des affaires sociales

Jean Bassères :

Mesdames, messieurs les députés, sachez que je suis très honoré de me tenir devant vous aujourd'hui pour vous exposer les grands enjeux stratégiques auxquels Pôle emploi sera, de mon point de vue, confronté dans les trois années à venir.

Cela implique d'abord d'évoquer le bilan de Pôle emploi depuis sa création en 2008. L'établissement a connu trois premières années difficiles : la construction du nouvel opérateur s'est faite dans un contexte économique compliqué, à une période où le chômage connaissait une envolée sans précédent. Les trois années qui ont suivi ont été marquées par la volonté de donner plus de sens à cette fusion à travers un plan stratégique, « Pôle emploi 2015 », visant à donner aux collaborateurs de cet établissement des perspectives plus ouvertes et une vision plus claire.

Si je devais résumer ce que seront pour moi les trois prochaines années, je les qualifierai d'années de consolidation et de maturité.

Cinq enjeux majeurs s'offrent à nous.

Premier enjeu : mieux personnaliser l'offre de services en direction tant des demandeurs d'emploi que des entreprises.

S'agissant des demandeurs d'emploi, nous avons initié un changement majeur en remplaçant le suivi mensuel personnalisé par trois parcours d'accompagnement mieux adaptés aux besoins individuels. L'objectif central que nous nous étions fixé, à savoir faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin, est devenu réalité : environ 20 % de nos conseillers, suivant au maximum soixante-dix demandeurs d'emploi, se consacrent à l'accompagnement renforcé.

Les premiers résultats de cette évolution sont perceptibles : pour la première fois depuis 2009, nous avons amélioré le taux de satisfaction des demandeurs d'emploi quant à l'adaptation de l'offre de services à leurs besoins. Il a remonté de quatre points pour s'établir à 69 %, chiffre qui montre à la fois une avancée mais aussi le chemin qu'il reste à parcourir.

Pour aller plus loin, nous devrons nous donner plusieurs priorités.

La première est d'augmenter le nombre de demandeurs d'emploi bénéficiant d'un accompagnement renforcé.

La deuxième priorité consiste à développer notre partenariat avec les conseils généraux afin d'offrir aux demandeurs d'emploi confrontés à des difficultés d'insertion, la possibilité de bénéficier d'un double suivi : l'un par un conseiller de Pôle emploi, l'autre par un travailleur social du conseil général. Nous avons signé une vingtaine de conventions et les contacts que nous avons noués avec de nombreux départements nous laissent espérer qu'en 2015, soixante-dix départements seront engagés dans ce mouvement.

La troisième priorité vise à développer une offre de services intensifs à destination des jeunes grâce au déploiement en 2015 de 700 conseillers qui leur seront dédiés.

La quatrième priorité repose sur la mise en place de la nouvelle doctrine des opérateurs privés de placement, conçue pour nous permettre de mieux nous consacrer en interne aux demandeurs d'emploi les plus en difficulté.

Cette consolidation du plan stratégique n'exclut cependant pas que nous lui apportions des inflexions afin de répondre aux deux faiblesses principales dont souffre l'offre de services à destination des demandeurs d'emploi : la qualité du diagnostic, encore insuffisante, et le démarrage de l'accompagnement, trop tardif. Elle s'accompagnera, en outre, d'une ambition très forte : mettre en oeuvre le conseil en évolution professionnelle, qui suppose la poursuite de l'effort de formation au sein de Pôle emploi.

S'agissant des entreprises, nous devons poursuivre le même objectif de personnalisation. Nous avons déjà refondu l'offre de services en distinguant un service universel proposé à toutes les entreprises et un service renforcé pour les entreprises dont les structures dédiées aux ressources humaines sont moins développées.

L'impression qui prédomine est le besoin de reconquérir la confiance des entreprises, notamment des PME. C'est d'ailleurs moins la nature des services proposés qui pose question que la façon dont nous les rendons. Les expérimentations menées l'année dernière nous ont permis d'aboutir à des résultats concluants qui appellent une généralisation : désormais, chaque agence Pôle emploi comptera une équipe de conseillers spécialisés dans les relations avec les entreprises à côté d'équipes de conseillers qui se consacreront aux demandeurs d'emploi. Nous plaçons beaucoup d'espoir dans cette réorganisation, qui devrait être achevée au premier semestre 2015.

Le deuxième enjeu auquel nous sommes confrontés est la consolidation de la territorialisation de Pôle emploi tant il est clair que la bataille contre le chômage se gagne au plus près des territoires.

Nous pouvons nous appuyer sur un socle solide. Au cours des trois dernières années, nous avons considérablement accru les marges de manoeuvre des managers et des conseillers afin de leur donner la capacité de répondre aux sollicitations des acteurs locaux sans avoir à interroger les échelons supérieurs de leur hiérarchie. Nous avons mis un fort accent sur le diagnostic territorial et avons mis en oeuvre un très ambitieux programme de déconcentration et de fongibilité budgétaire.

Dans les trois prochaines années, nous souhaitons développer une logique partenariale : la territorialisation suppose des partenariats ancrés dans les territoires et visant la complémentarité pour plus d'efficacité. De ce point de vue, les liens que nous avons noués avec les conseils généraux me paraissent assez exemplaires de ce que doit être la mutualisation des compétences : l'accompagnement professionnel relève de Pôle emploi, l'accompagnement social des conseils généraux, sans qu'il y ait de conflit de territoires ou de pouvoirs. Un vaste champ de partenariat s'ouvre à nous. Citons entre autres exemples les parrainages, les interventions dans les quartiers en difficulté, les actions d'immersion, les bilans de santé.

S'impose aussi à nous la nécessité de contribuer, à notre modeste place, à la réussite de la loi du 5 mars sur la formation, à travers la nouvelle gouvernance quadripartite qui se met en place au niveau régional.

Ajoutons, pour être complet, que dans les tout prochains jours, nous allons conclure un accord de partenariat renforcé avec nos partenaires historiques que sont les missions locales, d'une part, et le réseau Cap emploi, de l'autre, toujours dans une logique de recherche de complémentarité et de lisibilité.

Le troisième enjeu renvoie à la nécessité de démontrer notre capacité d'innovation. Un service public qui n'innove pas est un service public menacé. À cet égard, nous sommes fiers d'avoir réussi au cours des derniers mois deux projets emblématiques.

Le premier est le dispositif d'accompagnement « 100 % Web ». Il offre la possibilité à des demandeurs d'emploi volontaires de bénéficier d'un suivi intégralement dématérialisé, les contacts avec le conseiller passant par une interaction via une webcam et des chats. La semaine dernière, nous avons franchi la barre symbolique de 120 000 offres d'emploi déposées sur le site pole-emploi.fr par des partenaires de l'emploi en ligne, acteurs privés comme publics. Nous tendons à offrir aux demandeurs d'emploi la vision la plus large possible des offres en ligne.

Le développement de l'offre de services numérique est pour nous essentiel : 40 % de la population active est née après le développement d'internet. Elle ne conçoit pas la relation avec un service public sans passer par une interface numérisée. Cela doit nous conduire à proposer de nouveaux services, en lien avec tous les acteurs du Web. C'est le sens du projet « Pôle emploi store » que nous sommes en train de développer. Le numérique doit aussi nous donner la capacité de mieux différencier notre offre de services : en développant des services numériques pour tous, nous pourrons nous concentrer sur les demandeurs d'emploi qui ont le plus besoin d'accompagnement.

Le deuxième projet repose sur la mise en place de plateformes collaboratives qui permettent aux conseillers de faire émerger les bonnes pratiques et des idées d'expérimentation.

Le quatrième enjeu est la consolidation de notre contrat social car en tant qu'opérateur de services, notre efficacité dépend de l'adhésion de nos collaborateurs à nos orientations stratégiques et de leur qualité de vie au travail.

Nous avons dans ce domaine-là également accompli des avancées. Le projet stratégique « Pôle emploi 2015 », élaboré de manière fortement participative, recueille aujourd'hui l'adhésion de nos collaborateurs. Au cours des trois dernières années, nous avons consolidé le socle social en menant une négociation sur la classification des emplois et en élaborant notre premier référentiel des métiers. Un accord est ouvert à la signature et nous verrons la semaine prochaine s'il sera signé par un nombre de syndicats suffisant pour être validé. Il me paraît constituer un élément très important pour apporter de la visibilité aux conseillers de Pôle emploi. Le troisième volet sera la mise en place d'une véritable gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, sur laquelle devrait porter une négociation en 2015.

Nous avons, par ailleurs, développé la formation de nos conseillers en dépassant les objectifs fixés. Nous avons inscrit ce programme de formation dans une ambition pluriannuelle et créé l'université du management sur laquelle je fonde beaucoup d'espoirs.

Enfin, un plan d'amélioration de la qualité de vie au travail a été adopté lors d'un comité central d'entreprise en octobre 2013.

J'ai la conviction qu'il nous faut progresser dans tous ces domaines dans le cadre d'un dialogue social que j'estime plus apaisé qu'il y a trois ans, même s'il y a des opinions divergentes sur ce point. Nous nous étions fixé un objectif de transparence : rien n'a été décidé sans débats préalables avec les instances représentatives du personnel. L'importante transformation de Pôle emploi s'est opérée sans conflit social significatif.

Enfin, j'en viens au dernier enjeu : la poursuite des efforts d'efficience. Nous avons atteint nos objectifs grâce à un programme d'économies sur les crédits de fonctionnement : à la fin de 2011, Pôle emploi était en déficit de 87 millions d'euros ; il finira l'année 2014 en léger excédent, ce dont nous nous félicitons. Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé à la réduction des fonctions de support afin que plus de conseillers soient au contact des demandeurs d'emploi et des entreprises.

Ces efforts, nous devrons les poursuivre puisque toutes les évolutions de l'offre de services nécessitent de dégager du temps pour les conseillers. Le contexte budgétaire actuel rendant difficile d'envisager des créations d'emploi, il nous faudra rechercher en interne des sources de redéploiement. Cela suppose d'avancer en matière d'inscription et d'indemnisation et de travailler aux modalités de l'accueil, de façon à passer de l'accueil par flux à l'accueil sur rendez-vous, plus utile aux demandeurs d'emploi et plus efficace pour l'organisation du travail des conseillers.

Nous voulons également développer la culture de la performance. Ces dernières années, nous avons abouti à plusieurs avancées en recentrant le dialogue de performance et en développant les enquêtes de satisfaction au niveau des agences. L'un des critères d'efficacité de Pôle emploi, outre le retour à l'emploi, est en effet la satisfaction des demandeurs d'emploi et des entreprises et si nous ne donnons pas aux agences des instruments pour la mesurer, nous aurons du mal à progresser. Nous avons également mis en place des processus novateurs d'accompagnement managérial des agences.

Beaucoup de chemin reste à parcourir et l'ambition qui est la mienne est d'aboutir dans les mois qui viennent à une convention tripartite ciblée sur un nombre restreint d'indicateurs de pilotage – une quinzaine –, concentrés dans un tableau de bord unique partagé de la direction générale aux conseillers des agences afin que nous disposions tous d'une vision claire des objectifs que nous devons atteindre. À cet égard, il serait bon de développer des outils de performance comparée, élément extrêmement important à mes yeux.

Après avoir exposé les enjeux qui s'offrent à nous dans les années à venir, j'aimerais partager avec vous un regret, qui est une forme d'échec : notre incapacité ou disons plutôt, pour rester optimiste, notre difficulté à améliorer l'image et la réputation de Pôle emploi. Certes, l'attention a tendance à se focaliser sur les trains qui arrivent en retard, mais je reste très surpris par l'ampleur des critiques à l'encontre de notre établissement. Cette audition est aussi pour moi une occasion de rendre hommage au professionnalisme et à l'engagement de ses collaborateurs, qui exercent un métier extrêmement difficile et qui souffrent de nos problèmes à faire valoir nos résultats, pourtant indéniables. Rappelons-les.

Dans un contexte difficile – plus de 520 000 chômeurs de catégorie A supplémentaires depuis janvier 2012 –, Pôle emploi a obtenu de très bons résultats en matière de délais pour les inscriptions – 90 % sont réalisées dans les dix jours suivant le premier contact – et les indemnisations. Je considère que maintenir une telle qualité de service dans un contexte de charge aussi fort constitue tout simplement une performance. Cette année, nous avons largement contribué au succès des plans gouvernementaux dédiés aux formations prioritaires et aux contrats aidés, pour lesquels nous avons atteint un objectif de 100 %, ce qui n'avait rien d'évident. Soulignons enfin que nous avons atteint notre cible ou sommes en progrès pour douze des quinze indicateurs de résultats figurant dans la convention tripartite avec l'État et l'UNEDIC.

Nous n'avons donc pas à rougir de ce que nous avons accompli même si je suis le premier à reconnaître qu'il y a des marges de progrès. Tout l'enjeu des trois prochaines années est d'améliorer encore notre efficacité. Le « Pôle emploi bashing » si à la mode est contre-productif pour la qualité des services que nous devons rendre aux demandeurs d'emploi et aux entreprises. Mes fréquents déplacements dans les agences me donnent l'occasion de prendre connaissance de nombreuses expériences innovantes et originales. À nous de les valoriser. À nous aussi de faire comprendre que transformer un réseau de 50 000 personnes présentes sur l'ensemble du territoire ne se fait pas en trois mois : nous avons besoin de temps pour installer dans la durée des changements significatifs.

À quelques jours de la signature d'une nouvelle convention tripartite, alors que les dernières négociations sont en cours, je me félicite de l'existence d'un très fort consensus avec l'État et l'UNEDIC sur les objectifs. Cette future convention nous permettra tout à la fois de consolider nos acquis et de procéder à quelques inflexions pour améliorer le diagnostic et accélérer le démarrage de l'accompagnement. J'espère être le directeur général qui aura la charge de mettre en oeuvre ces orientations. Soyez assurés, mesdames, messieurs les députés, de ma grande motivation et de mon grand enthousiasme à mener ces missions à bien.

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