La répression des trafics de main d'oeuvre est une priorité de l'Union européenne, Monsieur Dupré. Le dernier conseil des ministres de l'emploi et de la politique sociale a entériné la création d'une nouvelle plateforme visant à mieux prévenir et à décourager ces comportements concurrentiels déloyaux. Il s'agit de collecter le plus d'informations possible sur ces pratiques, insupportables économiquement et socialement et le plus souvent illégales au regard du droit communautaire, afin de détecter les situations inacceptables et de mettre au point, dans un second temps, les outils qui permettront de les réprimer.
M. Juncker, c'est indéniable, veut relancer la collégialité, qui n'était pas le fort du collège sortant, Monsieur Lequiller. Sans doute le fera-t-il en rassemblant les vice-présidents en configurations à géométrie variable, selon les sujets traités, pour restaurer une coordination et une cohérence qui faisaient défaut.
La réconciliation des opinions publiques avec le projet européen est intimement liée au retour de la prospérité. En 2005 déjà, le refus du traité constitutionnel était lié à la situation économique, et la crise qui a suivi n'a rien amélioré. Au-delà, il faut tirer les enseignements des événements de ces dernières années et renforcer les convergences, pour ne pas dire l'intégration. Dans un premier temps, pour tenir compte d'un ensemble de considérations nationales, il faut travailler à traité constant, en recensant tout ce qui peut être fait pour renforcer la coordination et la cohérence de l'action européenne, sans nécessairement modifier le droit primaire. Le sommet des chefs d'État ou de gouvernement de la zone euro, en octobre, a confié l'élaboration de propositions en ce sens à un groupe constitué des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne, de la BCE et de l'Eurogroupe. Je citerai pour seul exemple la nécessité de rendre plus efficaces, transparents, rationnels et compréhensibles les mécanismes qui régissent le Semestre européen, entrelacs de procédures absconses difficilement intelligibles même pour les initiés.
M. Cresta appelle de ses voeux une Union européenne de l'énergie. Le caractère stratégique de l'approvisionnement énergétique et du coût de l'énergie pour l'activité économique n'a jamais été ressenti avec autant de force qu'aujourd'hui. La difficulté est de parvenir à concilier la nécessité d'une action collective et des situations nationales très contrastées. Elles diffèrent en effet par les ressources dont disposent – ou ne disposent pas – les États, par le degré de dépendance des uns et des autres à l'égard de fournisseurs extérieurs, et aussi par les choix de politique énergétique, qu'il s'agisse du recours au nucléaire ou de l'autorisation de l'exploration, préalable à l'exploitation, de gaz de schiste et d'autres ressources en hydrocarbures non conventionnels.
Il faut tenir compte de cette diversité pour redéfinir la politique européenne de l'énergie selon cinq axes : la constitution d'un mix énergétique européen aussi faible en carbone que possible ; la prise de conscience que l'énergie est un facteur majeur de compétitivité pour l'économie européenne ; le renforcement de la recherche-développement pour identifier les ressources énergétiques de demain ; une organisation efficace du marché intérieur, une action collective pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement européen, ce qui peut passer par la prise en charge au niveau européen d'une plus grande proportion des relations avec les fournisseurs.
Dire que la constitution du marché intérieur n'exclut pas une telle démarche signale en creux l'insuffisance de la politique suivie jusqu'à présent : de fait, par « politique européenne de l'énergie », on a longtemps entendu « marché intérieur de l'énergie » et rien d'autre. Il est important de prendre conscience qu'un marché interconnecté, fût-il réglementé par des dispositions juridiques parfaites, n'assure spontanément ni la sécurité de l'approvisionnement et sa compétitivité, ni la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'Union européenne a maintenant la volonté de dépasser la vision excessivement restreinte qui a été la sienne jusqu'à présent. Que cela puisse entraîner la constitution de grands groupes énergétiques européens sera l'affaire des entreprises ; pour l'instant, il faut offrir un cadre juridique et politique aussi cohérent que possible, dans la ligne de ce que j'ai décrit.
J'en viens aux positions prises par le Royaume-Uni, particulièrement en matière d'immigration. Les principes rappelés par M. Lequiller sont les bons : l'Union européenne serait différente sans le Royaume-Uni, et le projet européen serait abîmé si ce pays devait quitter l'Union ; il revient au Royaume-Uni d'en décider ; il ne nous appartient pas de payer d'un prix excessif le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union, et certainement pas au détriment de nos intérêts ou de l'intégrité du projet européen. Mais il est intéressant de lire de discours de M. Cameron entre les lignes. En effet, le Premier ministre britannique exprime des revendications précises à propos de la circulation des personnes, notamment des travailleurs issus des nouveaux États membres, mais il se garde de toute déclaration qui aurait immédiatement rendu la discussion impossible. Ainsi n'a-t-il pas formulé la demande de fixation de quotas d'immigration strictement définis, ni celle, un moment agitée par le parti conservateur, d'un « frein d'urgence » qu'il faudrait serrer à tout moment où la pression migratoire serait devenue excessive pour arrêter les mouvements de personnes entre les États membres.
On ne peut donc dire que le principe fondamental de la libre circulation des personnes soit directement contredit par ce discours, mais l'on perçoit que le sujet est difficile et que nos amis britanniques chercheront à restreindre l'application de certaines règles – et cela, même si l'arrêt de la Cour de justice européenne relatif à l'affaire Dano, publié le 11 novembre, a opportunément rappelé que la libre circulation des personnes n'a jamais été absolue en Europe et que, comme toute liberté, elle est susceptible d'abus. La Cour a, avec pertinence, rappelé que les États peuvent appliquer des conditions de ressources et ne pas permettre l'accès aux prestations non contributives, dans les conditions définies par le droit européen.
Ma conclusion sur ce point est que le Royaume-Uni cherchera, dans les domaines qu'il considère comme les plus sensibles pour lui, à négocier très strictement les règles, qu'à ce jour M. Cameron n'a pas commis l'irréparable et qu'il y aura donc un espace de négociation. La discussion va commencer ; ce sera l'affaire des deux prochaines années. Pour des raisons de politique intérieure, M. Cameron s'expose à des difficultés considérables, mais tel est son choix.
Ce que l'on peut attendre de la conférence de Lima, qui n'est pas considérée comme décisive, c'est qu'elle ouvre la voie à l'adoption d'un nouvel accord mondial sur le climat, aussi juridiquement contraignant et aussi complet que possible, lors de la conférence de Paris, l'année prochaine.
M. Mario Monti s'est vu confier la présidence d'un groupe de réflexion sur le mécanisme des ressources propres de l'Union. La particularité de ce groupe est qu'il est constitué des meilleurs spécialistes de la question et que son président, outre qu'il connaît bien les contraintes du système européen, est un homme très réaliste. J'en veux pour preuve la question qu'il a posée aux membres de son groupe et au Coreper : « Quels sont les défauts du système actuel, qui a toujours permis, jusqu'à présent, le financement et le fonctionnement des politiques communes ? » . En d'autres termes, nous savons ce que nous avons, évitons de décrire ce système comme entièrement défectueux au risque d'être incapables d'inventer quelque chose de radicalement nouveau. Le fait même que nous disposions d'un long inventaire des ressources propres que l'on pourrait imaginer substituer aux ressources actuelles montre combien il est malaisé de trouver une base taxable aussi homogène que désirable pour assurer le fonctionnement des politiques communes dans des conditions équitables, transparentes et politiquement acceptables. Toutefois, l'opacité et la complexité du système ont été à nouveau démontrées il y a quelques semaines, quand on a découvert qu'il convenait de revoir les contributions nationales en raison de l'ajustement des assiettes TVA et PNB. Cette réflexion est donc nécessaire.
L'harmonisation fiscale, ou à tout le moins la lutte contre les comportements d'optimisation fiscale agressive et contre l'érosion des bases taxables, sera l'un des grands enjeux des années à venir. Dans une situation difficile pour les budgets nationaux, la concurrence inégale, l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale agressive sont intolérables pour les opinions publiques ; il faut agir. Ce sera la tâche du commissaire français, et c'est une très bonne chose. L'« affaire luxembourgeoise » confirmée ces dernières semaines a eu une première conséquence positive : il y a une bonne chance, et nous y travaillons activement, pour que le prochain conseil pour les affaires économiques et financières (ECOFIN) adopte une directive dont l'objet est d'interdire les techniques d'optimisation fiscale agressive par des montages reposant sur les prix de transfert au sein des groupes. J'ai observé que, le contexte aidant, quelques réserves exprimées sur le texte ont été levées ; il en subsiste une ou deux, et j'espère que nous pourrons progresser. D'une manière générale, il y a un vent favorable à l'harmonisation fiscale et à la lutte contre l'évasion fiscale. J'espère que nous en profiterons au niveau européen.
Les réflexions sur la taxe sur les transactions financières continuent, dans le cadre d'une coopération renforcée. Nous cherchons à définir l'assiette fiscale la plus efficace d'un point de vue budgétaire et assurant la plus grande égalité entre les États qui participent à la coopération renforcée. La question est difficile sur le plan technique, mais les ministres des finances ont collectivement renouvelé leur engagement d'aboutir avant la fin de l'année.