Sur le marché français de l'électricité coexistent des tarifs réglementés et des offres de marché. Les premiers restent très dominants dans le « bas de portefeuille » – 93 % dans le secteur résidentiel –, alors que, dans le « haut de portefeuille », les offres de marché représentent déjà 41 % en volume mais seulement 14 % des clients : il s'agit pour l'essentiel de gros clients. Certains éléments – les tarifs d'utilisation des réseaux, à savoir l'acheminement, et les taxes – sont communs à tout le monde ; c'est le prix de la fourniture qui est soumis à la concurrence.
Les prix de l'électricité sont plus élevés dans les autres pays de l'Union européenne qu'en France : plus 27 % en moyenne pour le consommateur résidentiel – mais le consommateur allemand la paie 84 % plus cher – et plus 40 % pour les consommateurs non domestiques. Nous sommes néanmoins confrontés à un problème spécifique pour certains gros consommateurs, qui ne tient pas tant à l'évolution de nos prix qu'à celle de certains marchés de gros de l'électricité, en particulier en Allemagne, où ont été de surcroît appliquées diverses exonérations. Les sites électro-intensifs français n'en restent pas moins compétitifs par rapport à leurs concurrents européens, d'autant que certaines réponses sont en voie de leur être apportées ; j'y reviendrai.
Les prix augmentent, certes, mais cette hausse doit être relativisée et appréhendée sur une longue période. Ils avaient fortement baissé dans les années 1980-1990 avec l'entrée en service rapide du parc électronucléaire ; pour la période 2000-2013, les prix hors taxe avaient baissé de 9 % en euros constants. On note en revanche, pour les ménages, une hausse de 2,8 % par an hors taxe en moyenne en euros courants pour les cinq dernières années. Ce mouvement inverse s'explique en particulier par une reprise de l'effort d'investissement dans tous les maillons du système électrique : au niveau de la production, les investissements ont repris dans le parc nucléaire afin d'assurer la maintenance lourde ou de financer premières prolongations de centrales, mais également dans le parc hydroélectrique et bien sûr dans le secteur des énergies renouvelables (ENR) dont le développement s'impute sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ; au niveau des réseaux également, des réinvestissements ont été nécessaires pour améliorer la qualité de la distribution, accroître les capacités d'échanges aux frontières et intégrer les énergies renouvelables. Parallèlement, la péréquation tarifaire pour les zones non interconnectées a entraîné un surcoût, réparti sur l'ensemble des consommateurs, dans la mesure où il a fallu renouveler des équipements majeurs de production (centrales électriques).
L'ouverture des marchés a impliqué de nombreuses évolutions compte tenu des particularités françaises parmi lesquelles, au-delà de la présence d'un producteur important, l'existence d'un parc historique très performant, mais très lourd, dans lequel un acteur isolé ne peut pas investir : le parc nucléaire. La loi de 2000 prévoyait que les tarifs réglementés de vente soient fixés en fonction des coûts comptables de l'opérateur intégré. La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME, a introduit le mécanisme dit de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), et précisé la construction des tarifs réglementés de vente. Les tarifs de vente, pour ce qui est de la fourniture, sont désormais calculés comme l'empilement de plusieurs « briques » : l'ARENH, le complément de fourniture, puisque tout ne vient pas du nucléaire, et les frais commerciaux (systèmes d'information et autres), enfin la rémunération de l'opérateur.
L'ARENH n'est pas qu'une simple composante des tarifs de l'électricité : l'idée est de garantir à tous les consommateurs l'accès à une électricité relativement bon marché, sur laquelle on peut avoir une visibilité à long terme, et ouverte à la concurrence. Par ce dispositif, EDF est tenue d'offrir un volume, aujourd'hui plafonné, aux fournisseurs alternatifs. Ce tarif régulé doit couvrir le coût de fonctionnement, le coût d'un entretien sérieux – qui doit prendre en compte, par exemple, les exigences de sûreté post-Fukushima – et le coût d'un certain nombre d'investissements passés et futurs.
Le gouvernement s'emploie actuellement à définir la méthodologie de fixation du prix de l'ARENH, en s'appuyant sur les travaux de la commission Champsaur. Un décret a été préparé et transmis à la Commission européenne avec laquelle nous avons des échanges approfondis depuis plusieurs semaines ; c'est ce qui peut expliquer un relatif décalage, puisque nous pensions adopter l'ensemble des textes au mois de novembre afin que les fournisseurs réservent leur ARENH en fonction des nouvelles conditions, ce qui suppose de connaître l'avis de la Commission sur le projet de décret. L'ARENH reste donc au prix de 42 euros par mégawattheure jusqu'au 1er juillet 2015. À partir de cette date, nous disposerons de la nouvelle méthode et d'un nouveau prix qui, sous réserve de l'affinement de la CRE, devrait se situer autour de 45 euros, valeur 2014, en moyenne sur la période 2014-2025. Plusieurs assouplissements ont été introduits pour les fournisseurs, portant sur la clause de tolérance en cas d'erreur d'estimation des besoins et les délais de paiements, notamment.
L'existence du dispositif n'est pas contestée, même si certaines modalités et son montant font l'objet de débats. Aussi devrait-il perdurer jusqu'à la loi prévue pour 2025. La CRE exerce un suivi du dispositif, dans le cadre de sa mission de surveillance du marché. Il faudra, assez rapidement, réfléchir au post-2025. Le secteur nécessite en effet une certaine visibilité pour tous les acteurs : EDF, fournisseurs alternatifs ou consommateurs.
Pour ce qui est des tarifs réglementés de vente pour les gros et moyens consommateurs – les tarifs jaune et vert que vous avez mentionnés –, la loi NOME prévoit leur extinction à la fin 2015. Il s'agit par conséquent de préparer cette évolution en termes d'information des consommateurs, mais également de dispositions techniques.
Déjà, en cette fin d'année, plusieurs tarifs du gaz s'éteignent ; nous avons tout intérêt à nous nourrir de cette expérience pour l'électricité. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation prévoit l'information régulière des consommateurs – je rappelle que 400 000 entreprises basculeront du droit aux tarifs réglementés de vente (TRV) à l'offre de marché. Des modèles de courriers les plus neutres possibles vis-à-vis de l'ensemble des fournisseurs seront préparés, que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie devront valider. Toujours en nous inspirant de ce que nous avons fait pour le gaz, une offre transitoire de marché sera proposée par les fournisseurs historiques à l'attention de tous ceux qui n'auraient pas pu ou su, avant l'échéance du 31 décembre 2015, souscrire à un nouveau tarif. Reste qu'il s'agit bien d'une offre transitoire limitée à six mois. Cette limitation dans le temps était nécessaire du point de vue de la concurrence : se contenter de laisser perdurer tacitement les anciens contrats n'aurait pas assez incité à l'ouverture du marché. Par ailleurs, afin de ne pas mettre le couteau sous la gorge des clients, les fournisseurs sont tenus de leur donner la possibilité de souscrire une offre n'excédant pas douze mois, ce qui évite de se retrouver engagé trop rapidement pour plusieurs années sans avoir eu le temps de s'y préparer.
Cette transition est aussi un défi industriel pour le secteur de l'électricité. Les plus petites entreprises concernées ont une puissance de raccordement un peu supérieure à trente-six kilovoltampères de puissance, ce qui représente l'équivalent de quatre à six logements, mais, dans le lot, on trouve aussi de gros consommateurs qui sont encore aux TRV. Les fournisseurs, de leur côté, devront être aptes à répondre à une forte sollicitation. En outre, tout un travail technique reste à réaliser pour les gestionnaires de réseaux de distribution au niveau des systèmes d'information. Nous allons d'ailleurs faire évoluer la procédure de changement de fournisseur, puisque nous passerons (pour ces consommateurs) d'une procédure cadencée au 1er de chaque mois vers une procédure « au fil de l'eau ». Par ailleurs, les clients peuvent être amenés, en réfléchissant à leurs nouvelles fournitures, à changer de puissance, donc il peut y avoir un besoin d'intervention sur le compteur.
Aussi la CRE a-t-elle mis en place des groupes de travail pour préparer au mieux l'extinction des TRV : un groupe ad hoc « Communication et information », un groupe sur les procédures et les relations entre les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux de distribution et un groupe de travail « Systèmes d'information ».
Ce basculement vers les offres de marché ne sera pas toujours simple ; quelques cas nous ont été d'ores et déjà signalés de gros consommateurs qui avaient optimisé leur consommation en fonction de la grille des TRV et dont la facture globale pourrait augmenter, dans la mesure où ils ne retrouveront peut-être pas une offre identique.
On peut aussi se demander si, à la fin du processus, on ne se retrouvera pas avec des clients « orphelins », les fournisseurs pouvant être tentés de faire un tri en fonction de critères de solvabilité. Il n'y a pas forcément de réponse simple à cette question. On évoque souvent la notion de fournisseur de dernier recours, qui serait obligé de faire une offre. Seulement, comment désigner ce fournisseur de dernier recours et à quel tarif ? On peut imaginer que les fournisseurs se délestent d'un certain nombre de clients ayant des difficultés d'impayés, et qu'un fournisseur de dernier recours se retrouverait à devoir tous les accueillir. Faut-il dès lors songer à un système de compensation des impayés par l'ensemble de la collectivité ? Ce n'est pas forcément un mécanisme très simple : la Belgique en avait un pour les ménages, et elle serait en train d'y renoncer. On peut imaginer un renforcement des obligations de service public afin de dissuader les fournisseurs de faire ce genre de tri, étant bien entendu que les clients mauvais payeurs, de leur côté, ne doivent pas être encouragés à continuer. Nous n'avons pas encore toutes les réponses à ces questions.
Vous m'avez interrogé sur les électro-intensifs. Il s'agit d'entreprises qui se répartissent dans divers secteurs, particulièrement dans l'industrie lourde, avec des problèmes identiques – un poids important de l'électricité et souvent du gaz, dans leurs coûts d'exploitation –, mais également des profils parfois très différents. Certaines ont un profil de consommation très stable, d'autres un profil plutôt contracyclique. Le sujet est double : se pose d'un côté la question de la compétitivité de l'énergie européenne, sachant que la marge de manoeuvre franco-française n'est pas considérable, par rapport à d'autres zones riches en ressources à très bas prix, qu'elles soient fossiles – dans les pays du Golfe, aux États-Unis où la baisse du prix du gaz a entraîné celle du charbon – ou qu'elles soient hydroélectriques – on pense à l'Islande, où se met en place une industrie de l'aluminium alimentée par une électricité très bon marché. De l'autre côté, il faut veiller à offrir un terrain de jeu garantissant un minimum d'égalité entre les entreprises européennes pour que, à situation comparable, on ait des prix comparables.
Depuis 2012, le Gouvernement a mis en place un certain nombre d'actions destinées à soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives. Les dispositifs de soutien à la cogénération ont été refondus : le dispositif des tarifs d'achat pour les cogénérations de moins de 12 MW perdure ; en 2013, la loi dite Brottes visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, prévoyait une prime pour les cogénérations de plus de 12 MW qui réinvestissaient puisqu'arrivées en fin de contrat d'obligation d'achat. La prime n'était pas fonction de l'électricité vendue mais de la puissance afin de prendre en compte l'apport aux périodes de pointe. Une question prioritaire de constitutionnalité a conduit le Conseil constitutionnel à annuler cette disposition au motif qu'elle excluait certaines cogénérations. Elle sera bientôt à nouveau soumise à l'examen du Parlement en prenant en considération, cette fois, tous les cas de figure.
Un deuxième ensemble de dispositions vise à ouvrir plus largement les dispositifs d'ajustement, d'effacement mais aussi d'interruptibilité – en particulier en ce qui concerne les appels d'offres de Réseau de transport d'électricité (RTE) –, avec des conditions et des volumes plus importants de puissance appelée, pour mieux valoriser l'apport de certains gros consommateurs au système électrique du fait de leur consommation flexible. Peuvent également se porter candidats les opérateurs d'effacement qui travaillent avec des gros consommateurs, mais aussi sur le diffus.
Troisièmement, une discussion a été menée, avec l'appui du Gouvernement, pour reconfigurer le contrat d'achat à long terme entre le consortium Exeltium et EDF. Ce contrat offre l'avantage de la visibilité, mais certaines de ses clauses avaient conduit à une forte dégradation de sa compétitivité. Il a donc été remis sur les rails en septembre dernier afin d'être reformaté et de retrouver tout son intérêt.
Deux dispositions sont à l'étude. La première, déjà bien avancée, vise à diminuer les coûts de transport d'électricité pour les électro-intensifs. La CRE a en effet pris une mesure d'abattement de 50 % pour 2014-2015, considérant que nous disposions d'une certaine marge de manoeuvre sur le compte de régularisation des charges et des produits, tout en insistant sur le caractère exceptionnel de cet abattement. Parallèlement, le projet de loi sur la transition énergétique a introduit la possibilité de tenir compte des avantages qu'apportent les électro-intensifs à la gestion du système électrique par la prévisibilité et, dans certains cas, la stabilité de leur consommation. Le texte de loi, dans sa dernière version en date, prévoit qu'un décret fixera la méthodologie sur la base de laquelle la CRE établira un tarif tenant compte de ces apports, qui permettra d'opérer une réduction pouvant atteindre 60 % par rapport au calcul de base.
La seconde disposition doit prévoir comment, à l'occasion du renouvellement ou de la prolongation des concessions hydroélectriques, les gros consommateurs pourraient, d'une façon ou d'une autre, être associés à la gestion de ces concessions et bénéficier d'un accès à l'électricité qu'elles produisent à un tarif intéressant et, là encore, dans une perspective de long terme. Ce dispositif fait l'objet d'un travail interministériel. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer quelles pistes seront retenues – sinon que les mesures envisagées seront très probablement de nature législatives.
Ces mesures peuvent se chiffrer en dizaines voire centaines de millions d'euros pour l'ensemble du secteur ; d'une manière générale, le dispositif a été significativement renforcé ces deux dernières années.
Un autre sujet est en cours d'examen. Il découle des dernières lignes directrices européennes sur les aides à l'énergie et à l'environnement : les gros consommateurs – les industriels, certes, mais aussi, par exemple, la SNCF – bénéficient de fortes exonérations de CSPE. Or de nouvelles règles vont être adoptées dans toute l'Europe pour ces types d'exonérations avec une période transitoire et un plan d'ajustement. L'objectif est que leur spécificité reste globalement – certains vont bien sûr y gagner et d'autres y perdre – prise en compte. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne sur le sujet.
Vous m'avez enfin interrogé sur l'effacement de la consommation électrique. Celui-ci recouvre plusieurs réalités physiques, qu'il s'agisse de l'effacement des gros consommateurs ou bien d'effacements diffus, par le biais de signaux tarifaires (heures pleines et heures creuses, effacement en jours de pointe, tarifs dit Tempo, autant de systèmes développés depuis longtemps en France et ailleurs) ou non.
Les études réalisées ont montré que la pointe de consommation d'électricité montant plus vite que la consommation globale, il y avait là un potentiel à développer. Des réflexions ont été menées, d'une part, sur la meilleure manière d'organiser la coexistence entre les opérateurs d'effacement et les fournisseurs et, d'autre part, sur la mise au point de signaux destinés à favoriser l'effacement – activité qu'il convient de rémunérer à un juste prix afin d'éviter l'appel à des puissances de production en pointe très coûteuses et de surcroît émettrices de dioxyde de carbone. À cet effet, plusieurs dispositifs ont été mis en oeuvre ou renforcés.
Certains appels d'offres prévoient ainsi des effacements avec un préavis très court – ce qu'on appelle l'interruptibilité –, gérés par RTE et concernant plus particulièrement les gros consommateurs qui, sans préavis, sont capables de s'interrompre. D'autres appels d'offres de RTE visent à valoriser la capacité, à savoir la puissance qu'en pointe on ne consommera pas. Par ailleurs, la loi Brottes a prévu la valorisation des externalités positives – économies d'énergie, moindres émissions de dioxyde de carbone, etc. Plusieurs dispositions sont en cours de définition et seront prochainement examinées par le conseil supérieur de l'énergie : elles visent à établir des conditions de rémunération avec, d'un côté, les primes touchées par les opérateurs d'effacement et, de l'autre, les versements que ces derniers devront effectuer au bénéfice des fournisseurs « effacés ».
Ces dispositifs n'épuiseront pas pour autant le sujet : il s'agit d'appliquer un nouveau modèle. Le cadre législatif a d'ailleurs fait l'objet de retouches à l'occasion de l'examen sur le projet de loi relatif à la transition énergétique par l'Assemblée. L'idée sera de tenir compte des retours d'expérience et en particulier de distinguer les effacements-reports et les effacements-économies d'énergie qui, du fait de leurs incidences économiques et environnementales, n'ont pas à être rémunérés de la même façon. De même, le projet de loi introduit le principe de priorité à l'effacement dans certains outils, dont les appels d'offres sur le marché d'ajustement de RTE.