Les dispositifs évoqués sont-ils suffisants pour répondre aux problèmes rencontrés par les industriels électro-intensifs ? Il s'agit d'une question compliquée. Du chemin reste à faire : j'ai évoqué l'idée que l'hydroélectricité, patrimoine historique, qui peut, sous certaines conditions, délivrer de l'électricité à bas prix, puisse bénéficier aux entreprises électro-intensives, ce qui compléterait le dispositif.
Pour ce qui concerne l'Europe, nos prix de l'électricité restent moins élevés qu'en Italie ou au Royaume-Uni : pour les consommateurs non domestiques, le prix moyen en France est en moyenne de 40 % inférieur au prix moyen des pays membres de l'Union européenne. Pour les gros électro-intensifs, en revanche, il y a eu un tournant en 2013-2014 lié à l'effondrement des prix de marché de gros en Allemagne et à une politique très offensive de cette dernière par le biais d'exonérations de taxes ou d'aides au point que certaines ont dû être réduites sous la pression de la Commission européenne. L'équation est un peu impossible : il s'agit à la fois d'avoir une visibilité à long terme, tout en bénéficiant de prix les plus bas possibles . Grâce à un contrat à long terme, vous avez une garantie de visibilité, vous êtes protégé des hausses mais, a contrario, vous ne pouvez pas nécessairement bénéficier des baisses. L'ARENH est un dispositif souple :aujourd'hui personne n'est obligé d'acheter à l'ARENH, et certains peuvent décider de s'approvisionner sur les marchés de gros lorsqu'il est moins cher.
Vous m'avez ensuite demandé si le cadre européen était trop contraignant ou non. La question des contrats de long terme a toujours été difficile. La Commission européenne craignait que les contrats de long terme, en pérennisant la relation entre le client et un très gros fournisseur, ne freinent l'ouverture du marché à la concurrence. Elle a néanmoins autorisé la création d'Exeltium et, ayant pris conscience de l'importance du facteur compétitivité, elle ne semble plus considérer les contrats de long terme comme un tabou.
Pour ce qui est de la comparaison avec les autres continents, il faut savoir qu'avant même l'émergence des gaz de schiste aux États-Unis, qui a beaucoup fait baisser les prix, la question se posait déjà pour la pétrochimie ou l'aluminium : dans les pays du Golfe, le gaz est quasiment gratuit puisqu'il est un sous-produit de l'exploitation pétrolière. Autrement dit, il y a quelques années, on pouvait d'ores et déjà créer des usines d'aluminium en profitant de sources d'énergies à des prix imbattables. Mais si la question n'est pas nouvelle, elle est devenue encore plus aiguë avec la baisse des prix de l'énergie et la baisse, aux États-Unis, des prix de la matière première qu'est le gaz pour l'industrie chimique. Alors qu'elle était devenue sous-compétitive par rapport à la pétrochimie européenne qui a une tradition d'excellence et d'innovation, la pétrochimie américaine, investissant de nouveau dans les vapocraqueurs, a connu un rebond et se trouve sur le point non seulement de cesser d'importer, mais d'exporter, ce qui ne peut qu'inquiéter pour la chimie européenne.
On ne peut pas, avec les moyens de production européens – on ne dispose pas en Europe de ressources fossiles à bon marché –, avec une politique climatique – que nous soutenons totalement – qui aide à réduire la consommation d'énergies fossiles, développer une politique de bas prix de l'électricité produite par les énergies fossiles. On doit donc développer une électricité au meilleur prix entre le nucléaire, les énergies renouvelables et un peu de fossile.
Jusqu'à quel point apporter des aides ? Ces aides sont encadrées au niveau européen. On peut d'ores et déjà considérer que les gros consommateurs, à des degrés divers selon les pays et dans le cadre des limites fixées par la Commission européenne au mois d'avril, sont aidés. Doit-on aller plus loin ? C'est une question d'équilibre, mais aussi de soutenabilité dans le temps. Il faut avoir présent à l'esprit que le subventionnement du prix de l'électricité ou du gaz n'est pas forcément viable à terme et que de surcroît il n'incite pas à l'économie d'énergie et du coup à la réalisation des investissements les moins consommateurs d'énergie. On cherche au niveau national et au niveau européen à déterminer le bon niveau d'aide : depuis deux ou trois ans, des dizaines voire des centaines de millions d'euros y sont chaque année injectés et se répercutent sur l'ensemble de l'économie. Il n'y a pas de secret : ce que vous payez en moins au titre des réseaux de transport ou de la CSPE sera supporté par les entreprises non énergo-intensives ou par le consommateur domestique. On va vers plus de soutien pour les électrointensifs, mais il y a un équilibre à trouver.
Vous m'avez interrogé sur l'impact de la transition énergétique sur l'évolution des prix. Depuis plusieurs années, la reprise des investissements a conduit à une hausse des prix. Celle-ci peut s'expliquer également par d'autres facteurs comme, pour EDF, une anticipation de recrutements pour le renouvellement des compétences dans le secteur nucléaire. Il s'agit, et Mme Royal y est très attachée, d'être exemplaires et rigoureux sur la méthode et le calcul de l'ARENH et des tarifs réglementés, tout en se montrant incitatifs. C'est le sens de la dernière réforme tarifaire : ainsi la fourniture d'électricité hors nucléaire est répercutée non pas au coût comptable d'EDF mais au prix du marché, pour inciter à la maîtrise des coûts, sans pour autant s'éloigner fondamentalement de la couverture des coûts. EDF applique d'ores et déjà des plans de maîtrise des coûts ; il y en aura d'autres à l'avenir, afin que, tout en respectant ses obligations de sûreté, dans le parc nucléaire notamment, et ses obligations de performance des réseaux, le groupe facture l'électricité au juste prix.
Les prix de certaines énergies renouvelables restent parfois encore supérieurs au prix du nucléaire historique ou aux prix des énergies fossiles. L'objectif est de développer les ENR à hauteur de 23 % d'ici à 2020, tout en maîtrisant les coûts et en définissant des mécanismes et des trajectoires à même d'être pilotés. C'est pourquoi le texte de loi introduit non seulement la notion de programmation pluriannuelle de l'énergie, qui renouvelle et élargit la notion de programmation pluriannuelle des investissements en électricité, mais prévoit également un dispositif de contrôle avec la création d'un comité de gestion de la CSPE et la présentation, en annexe du projet de loi de finances, d'un rapport annuel au Parlement sur les évolutions prévisibles de la CSPE. Un avis sera ainsi rendu sur l'impact de chaque décision sur la CSPE.
En ce qui concerne l'impact de la transition énergétique sur les prix, notre direction générale a été une des instances rédactrices des propositions ministérielles qui ont abouti au projet de loi. Nous avons pu éclairer certains calculs d'objectifs, concernant l'électricité notamment, en termes de faisabilité et de trajectoire. On retrouve la trace de ces travaux préliminaires dans l'étude d'impact ; ils vont être approfondis puisque la programmation pluriannuelle de l'énergie – révisée tous les cinq ans – devra, pour une période de huit ans pour la première et pour des périodes de dix ans ensuite, tracer les objectifs pour le mix de production, pour le développement des réseaux, pour les capacités de stockage, et comprendre un volet sur l'impact macroéconomique de la transition et sur son impact sur les différentes catégories de consommateurs. Les évolutions seront affinées au cours de l'année 2015 puisque le projet de loi prévoit une première programmation, qui sera adoptée par décret pour la fin de la même année et qui sera élaborée à partir de scénarios de consommation. Nous ne travaillons pas forcément sur un scénario de baisse de consommation d'électricité mais plutôt de hausse réduite grâce aux économies d'énergie. L'un d'eux, élaboré par RTE, prévoit, pour une croissance moyenne annuelle du PIB de 1,7 % jusqu'à 2030, une augmentation de la consommation électrique de 0,4 % par an – sachant que les baisses prévues dans la loi visent d'abord les énergies fossiles. Ces travaux plus approfondis ont commencé et les programmations seront communiquées au Parlement.
Mme la rapporteure m'a interrogé sur le fait de savoir si la structure des entreprises était de nature à peser sur les coûts. L'ouverture à la concurrence est réelle et a tendance à s'accélérer : on le mesure au rythme des changements de fournisseurs. Ce phénomène est plus intense dans le secteur du gaz que dans celui de l'électricité : les marchés ne sont pas les mêmes. Néanmoins, tant pour les tarifs que pour la structure des offres, les fournisseurs alternatifs en électricité se sont fait une place.
Les tarifs réseaux sont régulés et, là aussi, il faut trouver un équilibre entre, d'une part, des besoins d'investissements forts et des demandes de renforcement de la qualité – qualité qu'il faut même rétablir dans certains cas, notamment en zone rurale –, et, d'autre part, le souhait d'éviter toute dérive des coûts. Mais ce n'est pas forcément le tarif des réseaux qui a été le plus générateur des récentes hausses de prix. Je rappellerai que le mouvement tarifaire de novembre 2014, qui incluait précisément la nouvelle méthode de calcul sur la fourniture et la prise en compte des réseaux, a conduit à une augmentation de 2,5 % pour les petits consommateurs, plus faible que prévu. En somme, je ne pense pas que la structure spécifique d'EDF, de RTE et d'ERDF pèse particulièrement sur les coûts. Ce n'est en tout cas pas le dessein de la structure et le besoin d'optimisation industrielle est déjà pris en compte par ces entreprises.