Intervention de Gérard Mestrallet

Réunion du 4 décembre 2014 à 8h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Gérard Mestrallet, président de GDF Suez :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la période actuelle est extrêmement importante pour le secteur de l'énergie. Hier soir, se tenait, sur notre initiative, à l'université de Paris-Dauphine, un forum qui a réuni 1 500 personnes sur le thème : « L'énergie en état de choc ». L'énergie est en effet en état de choc. Ce choc est à la fois technologique, « régulatoire », industriel – on le voit avec E.ON, qui a longtemps été la première entreprise allemande par la capitalisation et qui en est aujourd'hui réduite à se scinder en deux –, choc également climatique, pétrolier et économique, puisque l'on constate, sur le plan énergétique, une perte de compétitivité de l'Europe par rapport aux États-Unis.

Je rappellerai brièvement l'histoire de GDF Suez. Il y a un peu moins de vingt ans, Suez a décidé d'abandonner toutes ses activités bancaires pour construire, par une succession d'alliances – avec la Lyonnaise des eaux, la Générale de Belgique, Tractebel, Electrabel, Gaz de France puis International power – un groupe qui est aujourd'hui, avec Total, l'un des deux groupes français à figurer parmi les trente premiers mondiaux, tous secteurs confondus. Notre activité s'exerce donc désormais exclusivement dans le secteur de l'énergie. Le chiffre d'affaires du groupe s'élève à 80 milliards d'euros, Suez Environnement, dont GDF Suez détient toujours 35 %, ayant son autonomie et réalisant un chiffre d'affaires de 15 milliards dans le secteur de l'eau et des déchets.

Nous avons donc vécu l'ouverture des marchés, qui est l'un des phénomènes qui, ces quinze dernières années, ont influé sur la structure des marchés de l'énergie en Europe. Parmi les autres facteurs, il faut citer le facteur technologique. L'énergie est en effet produite par des unités non seulement renouvelables, mais aussi de plus en plus petites, de sorte qu'elles peuvent être installées sur l'ensemble du territoire, au plus près des consommateurs : individuels, industriels et collectivités locales. En outre, la technologie digitale, en convergeant avec la technologie énergétique, est à l'origine d'une véritable révolution.

GDF Suez a fait, de longue date, le choix d'être présent en Europe à la fois dans le secteur de l'électricité et dans celui du gaz, notamment dans le cadre de sa grande alliance avec Gaz de France. Aujourd'hui, le groupe produit deux fois plus d'électricité en dehors d'Europe qu'en Europe. Sa capacité installée totale est d'environ 120 gigawatts, dont 10 en France, 40 dans le reste de l'Europe et 70 dans le reste du monde, ce qui fait de GDF Suez le deuxième producteur mondial d'électricité, derrière EDF (hors acteurs Chinois). C'est un des rares secteurs où les deux leaders mondiaux sont français. Je pense, du reste, que le changement de gouvernance nous permettra, à l'avenir, de coopérer davantage, notamment au grand international.

Ce qui se passe depuis quelques années en Europe nous a amenés à réagir. Nous avons ainsi annoncé, au début de cette année, une inflexion de notre stratégie, fondée sur la vision suivante. La transition énergétique est un mouvement puissant, profond et irréversible. Même si ses conséquences sont parfois douloureuses pour certains acteurs européens – je pense notamment à E.ON ou à RWE en Allemagne –, il est positif et souhaitable. Dû à la technologie et à l'attitude des consommateurs, dont le rapport à l'énergie est en train de changer – ils veulent savoir d'où vient l'électricité, la contrôler et parfois la produire eux-mêmes –, ce mouvement provoque un déclassement accéléré de ce que j'appelle le monde ancien, celui de l'énergie centralisée produite par de grandes unités.

Si la transition énergétique est mondiale, elle produit – et j'insiste sur ce point – des effets différents en Europe et dans les pays émergents. En effet, les progrès technologiques permettent de réaliser un gain d'efficacité énergétique d'environ 2 % par an, de sorte que, dans les économies européennes, où la croissance économique est nulle, la consommation d'énergie décroît d'autant – et, après tout, c'est une évolution vertueuse. Aux États-Unis et dans les pays émergents, on observe le même phénomène mais, comme ces pays connaissent un taux de croissance économique de 3 % à 4 % pour le premier et d'au moins 5 % pour les seconds, la consommation d'énergie continue d'y augmenter.

En Europe, dont le basculement date de la crise de 2008-2009, on constate par ailleurs une aspiration générale à développer la production d'énergies renouvelables. Certes, le rythme de leur croissance peut être ajusté : il était beaucoup trop élevé en Italie, en Espagne et en Allemagne, dont je rappelle qu'elle produisait dix fois plus d'EnR que la France. Mais le mouvement de construction de capacités renouvelables additionnelles – auquel, du reste, nous contribuons en tant que premier producteur en France d'énergie éolienne, géothermique et de biomasse – est général et se poursuit. Quelle est sa traduction dans un environnement où la consommation d'énergie baisse ? Eh bien, toute capacité renouvelable supplémentaire tue une capacité traditionnelle, thermique ; en France, il s'agit essentiellement de gaz.

Nous avons donc décidé, au début de cette année, de prendre acte de cette évolution et, plutôt que de la subir ou de la freiner, d'aller de l'avant en dépréciant massivement le monde ancien pour accélérer dans le monde nouveau. Cette stratégie comporte deux volets. Premièrement, nous avons l'ambition d'être le leader européen dans le domaine de la transition énergétique, ce qui suppose de se développer dans trois secteurs : l'énergie renouvelable, l'efficacité énergétique –secteur avec des services fortement créateurs d'emplois – et les nouveaux métiers de la transition énergétique, au croisement des technologies de l'énergie et du digital. Deuxièmement, nous voulons devenir l'énergéticien de référence dans les pays à forte croissance.

En France, nous souhaitons donc jouer notre rôle, en nous inscrivant dans la transition énergétique. Au demeurant, nous avons toujours considéré que la loi de transition énergétique, qui accompagne et encadre cette évolution, était une bonne loi ; elle ne se concentre pas uniquement sur le nucléaire mais couvre l'ensemble des autres champs de la transition énergétique de façon appropriée, qu'il s'agisse de la chaleur ou du gaz renouvelables.

En ce qui concerne l'électricité, nous détenons environ 7 % des capacités installées françaises – sachant qu'EDF en possède 90 %, cela laisse peu de place pour les autres opérateurs. Nous voulons acquérir, dans ce secteur, une position qui soit plus conforme à celle que nous occupons dans le monde, car la France est notre pays. Au cours des quinze dernières années, nous avons consenti d'importants efforts pour tenter d'y occuper une place plus importante. Ces efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès, mais nous allons les poursuivre, car nous sommes « indécourageables ».

Quels sont les enjeux de la construction des prix de l'électricité pour GDF Suez ? Le cadre législatif et réglementaire doit, selon nous, permettre une réelle concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité et refléter le coût réel de l'énergie, qui tient compte de sa rareté et de son impact environnemental, afin d'inciter les consommateurs à prendre les bonnes décisions et à adopter un comportement vertueux. Parallèlement, il convient de garantir le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises, en protégeant les consommateurs les plus sensibles. De façon générale, si les tarifs doivent refléter parfaitement les coûts, ce principe peut supporter deux exceptions qui concernent les consommateurs en situation de précarité énergétique et les industries électro-intensives. Enfin, ce cadre légal doit permettre une juste rémunération des investissements. Le principe directeur est donc que les tarifs et les prix de chaque énergie doivent couvrir les coûts directs et indirects d'un fournisseur efficient.

J'en viens maintenant au projet de décret concernant l'ARENH. La loi relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité de 2010, dite loi « NOME », avait pour objectif, d'une part, de permettre aux fournisseurs alternatifs, dont nous faisons partie, de concurrencer les tarifs réglementés de vente offerts par EDF dans un système où ce dernier bénéficie du monopole de la production nucléaire et, d'autre part, de faire profiter les consommateurs de l'avantage économique du parc nucléaire historique. L'ARENH a en effet été instauré parce que, contrairement à ce qui s'est passé dans tous les autres pays européens, le gouvernement français n'a pas voulu demander à l'ancien monopole de céder des capacités de production à ses concurrents. En Belgique, par exemple, où GDF Suez détenait 95 % du marché, nous y avons été contraints. E.ON, Luminus et EDF nous ont ainsi racheté des capacités nucléaires, si bien que nous détenons aujourd'hui moins de 50 % du marché belge. En France, les deux seules mesures qui contribuent à l'ouverture du marché de l'énergie sont l'ARENH, instauré par la loi NOME, et l'ouverture prochaine des concessions hydroélectriques. Et notre intention est bien de saisir cette opportunité pour accroître nos capacités hydroélectriques : nous ne voulons pas être cantonnés à nos 7 %, qui, encore une fois, sont trop peu au regard de ce que nous représentons dans le monde.

L'ARENH a ainsi pour objectif de permettre à EDF de conserver toutes ses capacités de production en cédant une partie de la production à ses concurrents afin de faire profiter les consommateurs de l'avantage économique que présente le parc historique.

Par ailleurs, la loi NOME prévoit une construction des tarifs de vente de l'électricité par empilement des coûts, qui doit entrer en vigueur au plus tard à la fin de l'année prochaine. Les tarifs réglementés de vente doivent pouvoir être concurrencés par un fournisseur alternatif efficient tout en tenant compte d'une rémunération normale du fournisseur historique, EDF. La règle consiste donc à empiler les coûts : le prix de l'ARENH, le prix du complément à la fourniture d'électricité nucléaire, le prix du marché de gros, le Tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) et les coûts de commercialisation, auxquels s'ajoute la rémunération normale du fournisseur. Si les différentes briques reflètent bien les coûts, cette méthode permet de répondre à l'objectif de concurrence. Le consommateur doit, en outre, s'acquitter de la CSPE.

Quelles sont nos observations sur ce point ?

La méthode proposée par le Gouvernement permet à EDF d'amortir la totalité des investissements nécessaires à la prolongation des centrales nucléaires entre les travaux et 2025, date de la fin de l'ARENH. Or, la majorité des réacteurs continueront à fonctionner après cette date. EDF bénéficiera ainsi, me semble-t-il, d'une double rémunération : pendant la période de régulation, et après 2025. En conséquence, l'ARENH augmentera de 4 %, au lieu de 2 % si la rémunération des investissements était normale.

Par ailleurs, la production nucléaire du parc historique est modulée au cours de l'année pour prendre en compte les variations de la consommation d'électricité en France, qui est très liée au climat. Or, le décret ne prend pas en compte cette modulation, qui a pourtant une valeur sur le marché, que l'on estime à 1,50 euro par MWh. Ainsi, cette valeur est captée par l'opérateur historique au lieu d'être rétrocédée aux consommateurs. Il nous semble donc que la méthode employée ne respecte pas entièrement les exigences de la loi NOME, qui sont de rémunérer normalement le capital de l'opérateur historique et de restituer au consommateur final l'avantage économique de la production nucléaire.

S'agissant du plafond du volume de l'ARENH, la loi le fixe actuellement à 100 TWh, sachant que le volume utilisé est aujourd'hui de 70 TWh. Au 31 décembre 2015, les tarifs verts et les tarifs jaunes seront supprimés. Or, aujourd'hui, la concurrence n'existe pratiquement pas sur ce segment. Les besoins d'ARENH vont donc augmenter de façon importante, alors que l'on est actuellement près d'atteindre le plafond. Aussi ce plafond devrait-il, afin de tenir compte de cette situation, être doublé pour atteindre 200 TWh.

Quant aux coûts commerciaux, qui sont ceux d'un fournisseur au moins aussi efficace qu'EDF, ils doivent tenir compte du coût du service à la clientèle, des risques contractuels mais aussi des coûts d'acquisition des nouveaux clients par les opérateurs alternatifs, charge qui, bien entendu, n'incombe pas au fournisseur historique. Nous sommes favorables à cette approche, sur laquelle nous n'avons pas d'observations à formuler.

J'en viens maintenant à la CSPE. Son évolution à la hausse, liée au développement des énergies renouvelables, est renforcée par la baisse du prix de marché de l'électricité. Car, si les prix croissent pour les consommateurs, ils ont été divisés par deux ces dernières années sur les marchés de gros : de 80 eurosMWh en 2008, ils sont passés à 43 eurosMWh en France, à 36 eurosMWh en Allemagne et ils sont inférieurs à 35 eurosMWh en Scandinavie. Or, plus les prix de marché baissent, plus la CSPE, à volume identique, augmente. En effet, si l'on garantit un prix fixe, 83 eurosMWh par exemple, pour l'éolien onshore, il faut compenser la différence entre ce prix et celui du marché. Très faible en 2008, cet écart s'est creusé depuis. En fait, la CSPE est restée stable jusqu'en 2010, en dépit de l'accroissement des charges à financer ; depuis, elle augmente régulièrement, sachant que cette augmentation est plafonnée à 3 eurosMWh chaque année. Selon l'analyse de la CRE, le système est désormais sous contrôle. La hausse se poursuivra jusqu'en 2017, permettant la résorption, fin 2018, de l'avance de trésorerie, y compris les frais financiers, consentie par EDF avant 2010. Cette hausse sera ensuite de 2,3 % par an entre 2017 et 2025, puis on observera, à partir de 2025, une stabilisation de la CSPE à hauteur de 30 eurosMWh. L'incertitude concernant la trajectoire est assez limitée, car cette dernière est fondée sur des installations existantes et des projets qui sont déjà décidés pour près de 60 % des charges correspondantes.

La CSPE ne nécessite donc pas de réformes dans son principe. Le rapport de la CRE démontre du reste que le statu quo est satisfaisant. Le dispositif est assaini, puisque la dette de l'opérateur sera entièrement résorbée en 2018. La trajectoire conduit à une stabilisation des charges à couvrir à un niveau soutenable pour l'avenir. Par ailleurs, la programmation pluriannuelle de l'énergie – innovation que nous soutenons beaucoup, car elle fournira un cadre utile aux acteurs du secteur –, ainsi que le comité de gestion de la CSPE sont des outils qui permettront au Parlement de mieux maîtriser les coûts de développement des EnR, d'encourager les filières les plus compétitives et d'ajuster les trajectoires si l'on devait constater des dérives qui, pour l'instant, n'existent pas. En effet, je le redis, contrairement à ce qui s'est passé en Espagne pour l'éolien, en Italie pour le solaire et en Allemagne pour l'un et l'autre, le développement des énergies renouvelables est resté, en France, maîtrisé et raisonnable.

Le nouveau système de soutien des EnR – qui résulte d'une décision de la Commission– substitue au feed-in tariff, c'est-à-dire à l'obligation d'achat, des systèmes de primes. Il garantit ainsi, nous semble-t-il, la poursuite du développement de ces énergies sans comporter le risque de provoquer une explosion des volumes comparable à celle qui avait été observée en Allemagne, où n'importe quelle personne construisant une éolienne dans son champ était assurée de toucher des subventions pendant vingt ans.

Pour GDF Suez, il convient de bien maîtriser les coûts de développement des EnR et de privilégier les plus compétitives d'entre elles, sans remettre en cause le principe de la CSPE.

Je sais que se pose périodiquement la question de l'extension de cette dernière aux énergies fossiles. Nous n'y sommes évidemment pas favorables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion