M. Gorges a soulevé de nombreuses questions. Tout d'abord, la complexité, ce n'est pas nous qui l'inventons. Le monde de l'énergie est aujourd'hui un monde à trois vitesses : dans les pays émergents, les besoins sont croissants ; en Amérique du Nord, la situation est bouleversée par l'apparition des gaz et pétroles de schiste ; et l'Europe est marquée par ce que j'appelle « les 4 D » : la dérégulation, qui du reste n'en est plus une aujourd'hui ; la décentralisation, rendue possible par la technologie et la miniaturisation des unités de productions ; la digitalisation, c'est-à-dire la convergence des technologies numériques et énergétiques, qui joue un très grand rôle en matière d'efficacité énergétique ; et la décroissance.
Je ne suis pas du tout favorable à la décroissance européenne, au contraire. Simplement, je constate que la croissance est absente aujourd'hui. J'espère de tout coeur qu'elle sera de retour, et elle le sera sans doute. En tout état de cause, on observe désormais un écart, de l'ordre de 2 % par an, entre la croissance économique et la croissance de la consommation d'énergie. C'est une donnée que l'on observe partout dans le monde. Mais, comme l'Europe est la seule zone économique du monde dont la croissance du PIB se situe autour de zéro, et ce depuis 2008, la consommation d'énergie y décroît depuis cette date. Mais elle n'est pas pour autant condamnée à décroître quoi qu'il arrive. Si la croissance économique européenne était à nouveau supérieure à 2 %, la consommation d'énergie croîtrait également ; mais aujourd'hui, elle est négative. Cela dit, je le répète, le décrochage entre croissance du PIB et croissance de la consommation d'énergie est une tendance structurelle.
Ainsi, en tant que groupe industriel, nous vendons, en Europe, moins de gaz et d'électricité, mais nous vendons davantage de services d'efficacité énergétique. Nous avons du reste créé une division spécialisée dans ces services – composée d'entreprises telles que Cofely, Ineo, Endel, Axima et Tractebel Engineering –, qui emploie 90 000 personnes et qui est en croissance. Nous constatons donc actuellement à la fois une baisse de la consommation d'énergie en volume et une croissance de la demande en matière de services d'efficacité énergétique. J'ajoute, au passage, que cela crée de l'emploi. Si nous avons un programme de 45 000 embauches en France sur cinq ans, c'est notamment grâce à la croissance de ces services. En revanche, lorsque nous fermons des centrales à gaz, nous détruisons de l'emploi – peu, heureusement, car ces centrales fonctionnent presque de manière automatique. Mais elles coûtent très cher en capital. Lorsqu'on en ferme une, on fait donc un important write-off, c'est-à-dire une dépréciation, et on supprime l'emploi de vingt personnes, que nous n'avons aucun mal à recaser, compte tenu de cette dynamique d'embauche.
Par ailleurs, vous avez peut-être eu le sentiment, monsieur Gorges, que j'étais antinucléaire.