Intervention de Anne Courrèges

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Anne Courrèges :

Madame la présidente, mesdames, messieurs, je suis très honorée d'être proposée pour occuper la fonction de directrice générale de l'Agence de la biomédecine et d'être devant vous aujourd'hui.

Les relations entre l'Agence et le Parlement sont extrêmement étroites. Parmi les missions les plus récentes de l'Agence, certaines sont issues d'amendements parlementaires, comme la veille en neurosciences. Il est particulièrement heureux que le législateur, en 2011, ait prévu cette procédure d'audition. Vos questions seront pour moi l'occasion d'entendre vos préoccupations et vos attentes à l'égard de cette agence.

Je vais d'abord vous présenter la situation de l'Agence, ses enjeux et ses perspectives. J'évoquerai ensuite en quelques mots mon parcours et mon engagement au service de l'Agence.

L'Agence a repris, en 2004, les fonctions de l'Établissement français des greffes pour ce qui concerne l'activité de prélèvement et de greffe d'organes, de tissus et de cellules. S'y sont ajoutées trois missions : la procréation, l'embryologie et la génétique humaines. En 2011, le législateur a conforté ces missions et en a ajouté d'autres, comme les neurosciences. En 2013, il a clarifié le régime juridique des recherches sur les cellules-souches embryonnaires.

Pour exercer ses compétences, l'Agence s'est vue confier un certain nombre de missions, qui lui donnent aujourd'hui une place singulière. Pour reprendre les termes de Jean-Louis Touraine dans l'avis sur le projet de loi de finances pour 2015, nous sommes en présence, à la différence d'autres agences sanitaires, d'une agence sanitaire opérationnelle. Succédant à l'Établissement français des greffes, elle a un rôle d'acteur et de pilote en matière de greffes.

S'y ajoutent quatre missions plus classiques pour une agence sanitaire.

Une mission d'encadrement, qui lui permet d'exercer des fonctions d'inspection et d'autorisation en matière de génétique, par exemple.

Une fonction d'accompagnement : c'est ainsi que l'Agence a calé le dispositif sur le don croisé d'organes, prévu en 2011 par le législateur et accompagne sa montée en puissance.

Une mission d'évaluation, comme l'évaluation systématique des centres d'assistance médicale à la procréation.

Une mission d'information enfin en direction des professionnels de santé, du Parlement, du Gouvernement et du grand public. Un site grand public vient d'être ouvert sur la génétique, sujet qui suscite beaucoup de fantasmes et de craintes dans l'opinion publique. Cette mission d'information se double d'une mission de promotion du don : une campagne de promotion du don de gamètes est d'ailleurs en cours.

Dans toutes ses missions, l'Agence veille à incarner les valeurs d'éthique, de transparence, d'équité et de solidarité qui fondent la loi de bioéthique. Pour les remplir, l'Agence compte un peu plus de 270 personnes et dispose d'un budget de 80 millions d'euros, dont la moitié au titre de son rôle d'intermédiation du registre France Greffe de Moelle, l'autre moitié étant constituée de subventions provenant pour deux tiers de l'assurance maladie et pour un tiers de l'État.

C'est donc une structure à taille humaine, mais je me permettrai d'y associer les 800 experts qui y apportent leur collaboration, ainsi que les associations de patients, d'usagers et de promotion du don, dans la mesure où l'Agence ne peut pas être perçue comme un élément isolé ; elle fonctionne en lien permanent avec son écosystème.

En 2015, l'Agence va fêter ses dix ans. D'après les contacts que j'ai pu avoir, ce sera l'occasion d'un bilan qu'elle pourra aborder sereinement. Elle est aujourd'hui respectée par ses différents partenaires et elle a su trouver sa place, ce qui n'était pas évident, compte tenu de son rôle de régulateur, qui n'est pas toujours spontanément accepté, et surtout de la très grande sensibilité de ses domaines d'intervention. Elle peut aussi se prévaloir de certains succès. Pour ne citer qu'un exemple, les objectifs fixés en matière d'unités de sang placentaire stockées – 30 000 – ou de donneurs inscrits pour une greffe de moelle – 240 000 – sont en passe atteints, et en avance sur le calendrier prévu.

L'Agence peut se prévaloir du très grand professionnalisme de ses agents. J'en profite pour saluer ses anciennes directrices générales, et notamment Emmanuelle Prada-Bordenave, qui a été auditionnée plusieurs fois par votre commission, ainsi que par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cela tient aussi à la qualité et à la fluidité des relations que l'Agence a su entretenir avec ses différents partenaires et interlocuteurs, y compris avec les médias. Il est très important, compte tenu de la sensibilité des sujets traités, d'avoir des relations de confiance avec les médias, dans un souci de pédagogie, mais aussi pour faire passer des messages, particulièrement en ces temps de crise. Les relations avec le Gouvernement et le Parlement sont également une priorité.

Le premier enjeu de l'Agence est celui de la continuité, dans un contexte en renouvellement permanent. Cela est devenu tout à la fois plus simple parce qu'elle a accumulé des savoir-faire et noué des relations de confiance, et plus compliqué en raison de l'extrême rapidité des progrès médicaux et scientifiques, comme en attestent tous les rapports de l'OPECST et de l'Agence. Si la thérapie cellulaire, la génétique, les recherches sur les cellules-souches ouvrent de nouveaux horizons sur le plan médico-scientifique, elles posent de redoutables questions éthiques et ont également un impact sur l'organisation de notre système de santé et le financement de l'assurance maladie. D'où l'intérêt que l'Agence reste mobilisée sur son rôle de veille et d'anticipation.

Les chantiers 2015 sont largement prédéterminés par le contrat d'objectifs et de performance dont ce sera, en principe, la dernière année, ainsi que par les plans pluriannuels annexés, comme le plan greffe. La greffe et la lutte contre la pénurie en matière de greffe sont un axe prioritaire de l'action de l'Agence. Ce travail a été initié par le législateur en 2011 et l'Agence en assure la montée en charge, concernant, par exemple, le don croisé d'organes et l'élargissement du vivier des donneurs vivants. Nous devons aussi travailler sur le don d'organes par des personnes décédées qui reste la source principale de prélèvements.

À cet égard, une grande vigilance doit être accordée en 2015 à un sujet très sensible : les prélèvements sur donneurs décédés après arrêt circulatoire contrôlé, suite à un arrêt des thérapeutiques actives, dits « Maastricht III ». À la suite de l'audition par l'OPECST, un élan décisif a été donné à ce sujet sensible puisqu'il concerne des patients en fin de vie. Un protocole rigoureux a été mis en place après concertation, y compris avec les associations d'usagers et de patients. Il prévoit une étanchéité très forte entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement, de façon qu'elles n'interfèrent jamais l'une avec l'autre. Une convention vient d'être signée avec le centre hospitalier d'Annecy et cette année sera celle de la première mise en oeuvre. Il faudra faire preuve d'une grande vigilance, car aucun droit à l'erreur n'est permis sur ce sujet.

L'année 2015 sera aussi consacrée à d'autres chantiers prioritaires, comme la préservation de la fertilité, dans le cadre du plan cancer 3, qui sera mis en oeuvre en lien avec l'Institut national du Cancer (INCa). Pour autant, il ne faut pas négliger les chantiers organisationnels et administratifs : comme tous les opérateurs, l'Agence est soumise à des impératifs d'efficience. En outre, l'expérience montre qu'un certain nombre de difficultés rencontrées aujourd'hui, s'agissant en particulier des disparités régionales, peuvent pour partie tenir à des questions d'organisation.

Une action est menée aujourd'hui sur la formation des professionnels de santé, par exemple, sur la façon d'aborder avec les proches la question du don d'organes dans le but de faire baisser le taux de refus. Une plate-forme d'enseignement à distance va être mise en place pour toucher le maximum de professionnels.

Une action de réorganisation des services de régulation et d'appui qui travaillent en région est également mise en oeuvre, afin de mettre le système sous tension.

Ce sera par ailleurs l'année de la loi de santé : l'Agence sera extrêmement attentive aux travaux de votre commission et du Parlement, dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles d'influer sur ses missions.

Enfin, il y a des chantiers de moyen et long terme, plus structurants et stratégiques. Nous arrivons en principe, je l'ai dit, à la dernière année du contrat d'objectifs et de performance, il faudra donc en élaborer un nouveau, qui sera l'occasion d'un dialogue extrêmement utile avec la tutelle pour prioriser les actions.

Les travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique, qui doivent aboutir au plus tard fin 2018, seront précédés par un bilan de la loi bioéthique et des états généraux de la bioéthique, qui relèvent du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). L'Agence a vocation à apporter son expertise et son éclairage, notamment au Parlement, comme elle l'a toujours fait jusqu'à présent. Ce sera un chantier prioritaire.

En ce qui concerne mon parcours, ma candidature à l'Agence de biomédecine est en quelque sorte un retour aux sources. J'ai en effet commencé ma carrière dans le secteur sanitaire, en tant qu'élève-directeur d'hôpital. C'est à cette occasion que j'ai été sensibilisée pour la première fois à la question des greffes. J'ai fait un stage d'aide-soignante et j'ai passé un certain temps dans des services de dialyse et de néphrologie. Cela m'a permis de saisir les aspects humains qui se cachent derrière des enjeux lourds d'un point de vue éthique, mais aussi budgétaire et médical, et de mieux appréhender le fonctionnement et l'organisation de notre système de santé.

À ma sortie de l'École nationale d'administration, j'ai eu la chance de rejoindre le Conseil d'État. C'est tout naturellement que je me suis à nouveau spécialisée dans les questions sanitaires et sociales, que ce soit au contentieux ou à la section sociale du Conseil d'État, ce qui m'a permis de voir passer les décrets d'application de la loi bioéthique de 2004.

Mes activités extérieures ont également porté sur ce secteur puisque j'ai rejoint la mission juridique d'appui des ministères sociaux, qui a préfiguré la direction des affaires juridiques. J'ai eu le plaisir de travailler avec Emmanuelle Prada-Bordenave, qui était à l'époque chef de mission. J'étais, pour ma part, plus particulièrement en charge de la Direction générale de la santé (DGS) et de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS).

Pour la petite histoire, ma première saisine portait sur la possibilité, par amendement législatif, de déroger à titre expérimental pour permettre des recherches sur les cellules-souches embryonnaires. Ces quatre dernières années, mes activités m'ont plutôt portée vers les questions éducatives. Mais dès que j'en ai eu l'occasion, notamment au travers de mes compétences sur l'enseignement supérieur et la recherche, c'est avec un grand plaisir que j'ai retrouvé ces sujets. Je crois que, lorsqu'on a la fibre, la passion ne s'éteint pas, même s'il faut, autant que faire se peut, les traiter de façon dépassionnée. Les chantiers sont très intéressants et donnent l'occasion de travailler avec des gens venant d'horizons très divers, ce qui est aussi une des richesses de l'Agence.

Je suis extrêmement motivée et j'ai la faiblesse de croire que mon expérience et les compétences que j'ai acquises au Conseil d'État peuvent être utiles. Je crois avoir le sens du service public, la capacité d'analyser et de restituer des sujets complexes, le sens de la collégialité, le souci de l'objectivité, le respect des institutions et de la loi, ainsi qu'une forme de solidité, c'est-à-dire la capacité de décider, d'assumer et de m'exprimer sur des sujets humainement difficiles ou éthiquement lourds.

Ces acquis ont été confortés par mon expérience de directrice d'administration centrale, ainsi qu'en cabinet, où j'ai acquis d'autres compétences, notamment la capacité de gérer les urgences et les situations de crise, mais aussi d'interagir avec des gens issus d'univers très variés. Je crois pouvoir me prévaloir d'une bonne connaissance des rouages de l'État et des relations entre l'administratif et le politique. Toutes ces expériences peuvent être utiles, dans le contexte actuel de l'Agence, pour faire face aux défis qui l'attendent. En tout cas, j'ai très envie de les mettre au service tant de l'Agence que des pouvoirs publics.

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